Alternatives au glyphosate : l'INRA invente l'hybride x Brassicapra
M. Nicolas Hulot ne pouvait pas faire moins "bien", question posture et gesticulations, que Mme Ségolène Royal...
Résumé des épisodes précédents – sans remonter à Mme Ségolène Royal et le bouquet de fleurs offert par les activistes anti-glyphosate, fin mai 2017, si loin déjà... et sans détailler toutes les péripéties ni les couacs.
Le glyphosate – et en fait l'agriculture et l'alimentation françaises – a été sacrifié sur l'autel de la pax gubernamentalis, mais aussi, si on lit bien le programme électoral de M. Emmanuel Macron, la démagogie politicienne (voir ici et ici). La France – enfin le gouvernement français – s'est donc raidie dans une posture d'opposition au renouvellement de l'autorisation de mise en marché du glyphosate au niveau européen.
Le 25 septembre 2017, le Premier Ministre a publié un communiqué dont il convient de reproduire les poins essentiels :
« La Commission a proposé de ré-autoriser le glyphosate pour 10 ans. C’est une durée trop longue compte tenu des incertitudes qui subsistent sur ce produit et la France votera contre cette proposition, comme elle l’a clairement indiqué dès le mois de juillet.
[…]
Pour les autres usages, et notamment l’usage agricole, le Premier ministre a demandé au ministère de l’agriculture et de l’alimentation et au ministère de la transition écologique et solidaire de lui présenter - avant la fin de l’année et en fonction des conclusions des états généraux de l’alimentation - les conditions d’un plan de sortie du glyphosate, compte tenu de l’état de la recherche et des alternatives disponibles pour les agriculteurs.
Le Gouvernement arrêtera alors sa position, qu’il confrontera à celles de la Commission et des autres Etats-membres, pour trouver les conditions d’une transition raisonnable vers la sortie du glyphosate. »
Le Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation Stéphane Travert n'est pas sur cette ligne. Nolens volens, il a mené une bataille d'arrière-garde et fini par mener des escarmouches, pour ne pas dire plus, sur la durée du crépuscule du glyphosate. Le 8 octobre 2017, il annonçait que l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) avait été saisi. Mais ce fut sur la base d'une déclaration peu claire :
« ...il faut qu'un avis scientifique puisse dire exactement quand le glyphosate est présent dans les pesticides et ce qui met en danger la santé de nos concitoyens […] nous avons demandé à l'INRA de mener une évaluation sur la portée de l'action du glyphosate dans un certain nombre de pesticides. »
L'INRA fut saisie le 2 novembre 2017. Finalement... et par quatre ministres. On peut supputer que la pax gubernamentalis n'a pas été très sereine. En clair : le mandat a été négocié par les ministères pour qu'il produise, non pas ce qu'il faut entendre, mais ce que l'un ou l'autre souhaitait voir dire.
Le 27 novembre 2017, à la surprise générale, les États membres de l'Union Européenne ont réussi a trouver une majorité en faveur d'un renouvellement de cinq ans de l'autorisation du glyphosate.
Quasiment dans l'heure qui a suivi, le Président Emmanuel Macron gazouillait :
« J'ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. »
Manifestation de dépit (ridicule car, comme l'a bien expliqué le ministre allemand de l'alimentation et de l'agriculture Christian Schmidt, la Commission Européenne aurait dû prendre la décision telle que proposée en l'absence de majorité) ? On est tout de même surpris par tant d'incohérence.
D'une part, M. Macron bazarde ses promesses en matière de sur-transposition des règles européennes et de péjoration de la compétitivité de l'économie française.
D'autre part, il est signifié que la sortie du glyphosate se fera fin 2020 nonobstant l'absence de solutions « alternatives ».
Le nouveau monde VS l'ancien monde, ça donne cela ⬇️ Donc pour @EmmanuelMacron, les mêmes règles partout en Europe, ce n'est finalement plus si important... L'agriculture Française, grand secteur économique du pays n'est finalement pas si importante non plus... #Glyphosate pic.twitter.com/P22y1OGKTF
— La FNSEA (@FNSEA) 28 novembre 2017
L'INRA a rendu sa copie [nouveau lien] le 30 novembre 2017. C'est un hybride entre la chèvre et le chou... x Brassicapra.
À partir de là, nous avons trois solutions de lecture.
On peut s'en remettre aux comptes rendus des journaux. Le Monde a été très rapide, histoire de donner le ton. Sous la signature de M. Pierre Le Hir, il trouve que « Pour l’INRA, des alternatives au glyphosate existent ». En chapô :
« Un rapport remis au gouvernement identifie différentes solutions pour remplacer l’herbicide controversé, mais pointe aussi des "impasses". »
Génial ! Dans la mesure où les « alternatives » dans le titre désignent des solutions de remplacement dans le cadre de l'abandon du glyphosate, le chapô laisse entendre qu'il n'y en a pas.
Notons aussi, dans la partie introductive :
« Cette contribution pèsera lourd dans le débat sur l’herbicide controversé, que l’Europe vient de réautoriser pour cinq ans, alors même que le Centre international de recherche sur le cancer l’a classé "cancérogène probable". »
Décidément, nous ne sortirons jamais de cette médiocrité journalistique et propagandiste. Mais l'article est plutôt de bonne facture, même s'il conclut avec gourmandise :
« Les conclusions de l’INRA coupent en partie l’herbe sous le pied de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), farouchement opposée à une interdiction du glyphosate en l’absence d’"alternative viable". "Ce rapport montre que, dans la plupart des cas, les solutions sont déjà là, réagit ainsi François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures. Il faut désormais une position politique claire." »
Ce face à face illustre ce qu'on pourrait appeler une guerre médiatique asymétrique : Générations Futures ? Combien de membres ? Quel poids économique ? Mais quel poids médiatique ?
Le labour... très mauvais pour les vers de terre...
Beaucoup de décideurs, on peut le craindre, se contenteront de la lecture du résumé exécutif du rapport de l'INRA, six pages en tout, trois et demie effectives.
On ne s'étonnera pas que :
« L’analyse des résultats des recherches et expérimentations et des pratiques des agriculteurs ne recourant pas au glyphosate a permis d’identifier différentes alternatives techniques. »
Mais s'agit-il vraiment d'alternatives ? Dans la deuxième partie, les auteurs identifient :
« ...des situations de difficulté et d’impasses au regard des leviers et connaissances disponibles à ce jour. On considère qu’il y a impasse quand la seule alternative envisageable à court terme consiste à réaliser la destruction à la main de la flore vivace. »
Les décideurs prêteront-ils attention à la première situation, celle qui correspond à des pratiques vertueuses et hautement recommandables (y compris pour la réduction des gaz à effet de serre par captation dans les terres agricoles) :
« le cas particulier de l’agriculture de conservation ; actuellement 4% environ des surfaces de grande culture. Il n’y a pas d’alternative efficace au glyphosate pour entretenir une parcelle dans la durée sans travailler le sol. Cette agriculture qui restaure les sols et stocke du carbone a été construite car le glyphosate permettait cette double action de détruire les couverts d’interculture (directive nitrate) et gérer la flore vivace. Ces agriculteurs pourraient être conduits à renoncer à leur principe et à réintroduire un travail superficiel, voire parfois un labour ».
Les autres « impasses » sont « les agricultures menées dans des conditions difficiles sans bénéficier d’une forte valeur ajoutée » – une allusion implicite à un glyphosate solution de désherbage très bon marché – et certaines cultures spécialisées. Les superficies ne sont chiffrées que pour celles-ci : à notre sens 5 % de la surface de terres arables.
La suite se devait d'être politiquement correcte : on ne désespère pas ceux qui tiennent les cordons de la bourse, directement ou par influence... et c'est bien là un des drames des expertises demandées à des institutions de notre société qui ne jouissent pas de l'indépendance financière et qui, malheureusement aussi, ont abandonné leur liberté de pensée et de parole pour succomber au politiquement et médiatiquement correct.
Donc, « [l]'évaluation du surcoût économique est délicate ». C'est un jet de l'éponge dès le premier round : des calculs ont été faits en France, et aussi, notamment, en Allemagne et au Royaume-Uni. L'abandon du glyphosate se chiffre en milliard(s) pour l'agriculture et à quelque 500 millions pour la SNCF.
Et, bien sûr, « [l]'adaptation à un arrêt du glyphosate passe et passera par des changements profonds » – belle lapalissade – dont « nombre [...] sont compatibles avec une réduction de la dépendance aux herbicides au-delà du seul glyphosate. »
Cela vaut la lecture – ce n'est pas spécialement long – pour prendre la mesure de la difficulté qu'il y a eu a « tourner autour du pot ».
Voici un exemple :
« La recherche et la recherche appliquée ont depuis plus de 20 ans réalisé des travaux pour minimiser les usages, voire se passer du recours aux produits phytopharmaceutiques. Des systèmes de cultures innovants, ayant démontré la faisabilité technique dans des dispositifs de longue durée, ont été conduits. Nombre visaient d’autres pesticides jugés plus préoccupants que le glyphosate, notamment des insecticides dommageables à l’entomofaune utile. Le désherbage mécanique y occupe logiquement une place de choix, mais ces dispositifs soulignent l’importance d’avoir réfléchi à l’échelle du système en amont de sa réalisation. »
« ...voire se passer du recours aux produits phytopharmaceutiques » ? Vraiment ? Même l'agriculture biologique ne peut s'en passer, sauf à se contenter de rendements dérisoires et d'une prise de risque économique et sanitaire importante. Et que viennent faire ici les insecticides ? Et on tourne autour de la seule solution de substitution (qui n'en est pas vraiment une car affligée de nombreuses contraintes) : le désherbage mécanique.
Et pour conclure, il y a les mesures d'accompagnement. Oublions le petit couplet final sur la contribution de la « recherche et la recherche appliquée » :
« Elles incluent les aides à l’investissement, la mobilisation des MAEC (Mesures AgroEnvironnementales et Climatiques) Systèmes, la mobilisation des dynamiques collectives d’agriculture et le conseil et la formation, l’utilisation de la réglementation et notamment des CEPP (Certificats d’Economie de Produits Phytopharmaceutiques) et les organisations de filières, notamment en favorisant la reconnaissance de produits issus de filières sans glyphosate. »
Traduit en langage clair : argent public supplémentaire – et ce, pour remplacer une solution efficace par des méthodes qui le sont beaucoup moins ; détournement de l'argent public actuellement consacré à des mesures de soutien.
Mais une filière « sans glyphosate » est une riche idée. Tout d'abord, elle suppose que le glyphosate ne sera pas abandonné. Ensuite, elle permettrait de prendre la mesure exacte de l'incidence de l'hystérie activiste et médiatique sur les comportements des consommateurs lambda.
Il vaut la lecture, notamment pour les informations factuelles qu'il apporte. Des informations qu'on aurait aimé voir publiées plus tôt, alors qu'elles pouvaient encore – rêvons... – éclairer la décision politique. C'est le cas de la figure suivante :
Notre lecture : lorsqu'une technique devient impossible faute de glyphosate (de désherbage chimique), l'agriculteur doit recourir à une technique plus à droite sur le graphique, laquelle est moins favorable du point de vue environnemental.
Mais c'est le tableau ci-dessous qui est le plus accablant pour une décision d'une extraordinaire stupidité. Il se passe de commentaires.
Euractiv a repris un article du Journal de l'Environnement, « Comment débarasser (sic) l’agriculture du glyphosate ». Superbement illustré, mais sans nul doute au grand dam de l'auteure car, selon la légende, « [s]e passer du glyphosate, c'est possible, à condition de le remplacer par l'huile de coude. » L'article reproduit un graphique du rapport (sur l'utilisation du glyphosate selon les modes de culture).
Nous avons commenté :
« C'est curieux que vous n'ayez pas reproduit le tableau de la page 60. »
C'est le tableau ci-dessus, qui dit tout. Euractiv a censuré...
"L’Inra a remis au gouvernement son rapport sur l’analyse des usages et alternatives au glyphosate dans notre agriculture.
En se basant sur des pratiques n’utilisant pas cet herbicide, les chercheurs ont tenté d’identifier des solutions applicables à l’ensemble des exploitations.
Le retour au labour, le recours au gel hivernal des couverts intermédiaires, le hachage de la végétation… sont des techniques qui fonctionnent mais pour lesquelles, hélas, les agriculteurs ont noté, avec leurs expériences, plus d’inconvénients que d’avantages. Ce serait donc un grand pas en arrière qui leur serait demandé et qui marquerait également l’abandon de l’agriculture de conservation (agro écologie).
L’utilisation d’autres herbicides à profil éco-toxicologiques plus défavorables peut-elle être considérée comme une solution d’avenir ambitieuse ?
Parmi les freins majeurs, l’Inra pointe l’impact économique et le temps de travail. D’après l’institut de recherche, toutes les exploitations doivent envisager de nouvelles pratiques. Des investissements plus ou moins importants (irrigation surélevée – machinisme) sont à envisager.
Les mesures d’accompagnement adoptées par l’Institut ne réjouiront pas les agriculteurs en ce sens qu’elles tiennent plus de l’utopie que de la réalité. Les aides à l’investissement, la mobilisation des MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques) sont déjà largement sur-utilisées, quant aux CEPP et à la valorisation des produits issus de filières sans glyphosate, les professionnels n’y croient pas une minute.
La période de Noël encourage aux rêves et à l’irréalité. On peut considérer que les conclusions de ce rapport expéditif de l’Inra ont été écrites dans ce contexte.