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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Glyphosate : un rapport d'évaluation parsemé de mines

20 Juillet 2023 Publié dans #Glyphosate (Roundup), #EFSA, #Union Européenne, #Politique, #Activisme

Glyphosate : un rapport d'évaluation parsemé de mines

 

 

Si ce tracteur pulvérise du glyphosate, le maïs doit être OGM... interdit à la culture en Europe. (Source)

 

 

Les premières communications de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) sur la nouvelle évaluation du glyphosate sont étonnantes à plus d'un titre. En bref, les experts ont peut-être refilé la patate chaude aux décideurs politiques tout en se mettant à l'abri.

 

 

Un consensus médiatique ambivalent

 

Il y a un large consensus dans les médias, illustré par exemple par ce titre du Monde de M. Stéphane Foucart (version électronique), « Glyphosate : l’Autorité européenne de sécurité des aliments ouvre la voie à une réautorisation ». En chapô :

 

« L’agence dit n’avoir identifié aucun "élément de préoccupation critique", mais renvoie le pouvoir politique à ses responsabilités. Cette terminologie signifie que certains usages de l’herbicide peuvent être considérés comme sûrs et que son interdiction ne s’impose donc pas. »

 

Les termes sont choisis ! « L'agence dit... », « certains usages … peuvent être... ». Pour les usages, cela laisse entendre que la majorité ne seraient pas sûrs... du grand art !

 

Cet article vient avec un dessin qui fait dire à un représentant de l'EFSA : « Les lobbyistes sont formels... les experts rémunérés par la société tirant profit du glyphosate affirment clairement que le sentiment de nocivité est à relativiser. »

 

Difficile de faire pire dans le discrédit jeté sur le processus d'évaluation, sur les agents de l'EFSA, sur les experts (en fait, des États membres), sur une entreprise (Bayer-Monsanto qui n'a plus, depuis plus de deux décennies, de droits exclusifs (lire : « monopole ») sur la molécule et les produits) et sur le résultat de l'évaluation...

 

Si l'on met de côté les médias qui ont cherché à rester factuels, ce consensus est sous-tendu par deux démarches opposées : les « pro-glyphosate » croient à une issue heureuse des négociations à venir à Bruxelles et expriment leur soutien à la ré-homologation du glyphosate en fin d'année (l'autorisation actuelle expire en décembre) ; les « anti-glyphosate » annoncent une décision qui serait funeste et attisent les peurs et l'indignation, dans l'espoir que les gouvernements trancheront en leur faveur.

 

Les grandes manœuvres ne se sont pas fait attendre. L'EFSA devait annoncer ses conclusions le 4 juillet 2023. Le 5, le Cabinet de la Première Ministre recevait la petite entreprise incorporée sous forme d'association Générations Futures et s'est vu remettre une lettre signée par 14 ONG demandant que la France prenne position contre la ré-autorisation de « cette substance dangereuse pour la santé et l’environnement ». Lorsque les faits vous contredisent, ignorez-les... Mais ce qui est le plus préoccupant ici, c'est la complaisance des sphères gouvernementales pour l'activisme, même si, en l'occurrence, le membre du Cabinet aurait laissé entendre que la France suivrait l'avis de l'EFSA.

 

 

(Source)

 

 

Communiqué de presse de l'EFSA : anglo-germaniques c. latins (avant correction)

 

Mais l'avis de l'EFSA n'est pas limpide. Rappelons quelques faits pour le mettre en perspective.

 

Le glyphosate est commercialisé et utilisé depuis bientôt... 50 ans. Il a fait l'objet d'évaluations initiales et subséquentes dans de nombreux pays par les autorités d'évaluation ou d'homologation. L'autorisation communautaire a été renouvelée fin 2017 pour cinq ans – à la suite de tractations qui sont une honte pour l'Union Européenne, le président de la Commission Jean-Claude Juncker ayant refusé d'assumer ses obligations et lancé ainsi une sorte d'enchères descendantes sur la durée de l'homologation.

 

C'est aussi, sans doute, la substance de base de produits de protection des plantes qui a fait l'objet du plus grand nombre d'études académiques – systématiquement qualifiées d'« indépendantes » dès lors qu'elles aboutissaient à des objections à son utilisation, que ce soit pour des raisons sanitaires ou environnementales ; dans le cas contraire, la tendance est d'attribuer les études à des mercenaires de l'industrie.

 

Le dossier de ré-homologation comportait plus de 180.000 pages et évaluait 2.400 études. L'examen préalable avait été confié à quatre États évaluateurs, la France, la Hongrie, les Pays-Bas et la Suède. Celui-ci a été suivi par une évaluation par 90 experts de tous les États membres dans le cadre de l'EFSA.

 

Entre-temps, on avait soumis le dossier à des consultations publiques, ce qui a amené du matériel supplémentaire (400 contributions) et incité l'EFSA à prolonger les travaux d'un an (le glyphosate ayant, lui aussi, été renouvelé pour un an).

 

L'autorité a publié le 6 juillet 2023 un communiqué intitulé en anglais « Glyphosate: no critical areas of concern; data gaps identified ». Le titre est similaire en allemand.

 

Dans les versions française, espagnole et italienne initiales, l'ordre des propos était inversé. Cela a été corrigé, sans doute sur intervention de votre serviteur. C'est devenu : « Glyphosate : pas de domaine de préoccupation critique; identification de lacunes dans les données ».

 

 

(Source)

 

 

Ce n'est pas la première fois, à notre sens, qu'il y a cette sorte de dérapage dans la communication de l'EFSA, un dérapage qui, ici, était susceptible d'avoir des conséquences lourdes sur la procédure de décision subséquente.

 

 

Tout est bien, mais en fait, tout n'est pas bien

 

Nous ne disposons pour le moment que d'un communiqué et d'une fiche d'information. L'évaluation détaillée est attendue pour la fin du mois.

 

L'année dernière, en mai, l'Agence Européenne des Produits Chimiques (EChA) avait maintenu sa classification du glyphosate en termes de dangers : il ne présente pas les critères scientifiques requis pour être classé en cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction. Mais il est susceptible de provoquer des lésions oculaires graves et est toxique pour la vie aquatique.

 

L'EFSA, quant à elle, vient d'annoncer qu'elle n'a pas identifié de domaine de préoccupation critique en ce qui concerne les risques pour l'homme, l'animal ou l'environnement.

 

« Une préoccupation est définie comme critique lorsqu'elle affecte toutes les utilisations proposées de la substance active en cours d'évaluation (par exemple utilisation avant les semis, utilisation après la récolte, etc.), empêchant ainsi d’office son autorisation ou le renouvellement de son autorisation. »

 

Mais il y a trois questions qui n'ont pas pu être finalisées, faute de données complètes, et quatre questions en suspens.

 

Parmi les premières, selon la fiche d'information,

 

« L'évaluation du risque alimentaire pour les consommateurs n'a pas pu être finalisée en raison de données incomplètes sur la quantité de résidus de glyphosate dans les cultures de rotation telles que les carottes, la laitue et le blé. Cependant, on ne s'attend pas à ce que cela conduise à une augmentation du risque alimentaire pour les consommateurs, et aucune préoccupation critique n'a donc été identifiée. »

 

Et aussi :

 

« L'évaluation des risques pour les plantes aquatiques n'a pas pu être finalisée en raison du manque de données concernant leur exposition au glyphosate par dérive de pulvérisation. »

 

Bref, on croit rêver ! Car l'EFSA publie, annuellement, un volumineux rapport sur les résidus de pesticides dans les aliments. Et on n'aurait pas assez d'informations sur les dérives de pulvérisation ?

 

De même, après 50 ans d'utilisation du glyphosate,

 

« Les experts ont reconnu que les risques pour la biodiversité associés aux utilisations représentatives du glyphosate sont complexes et dépendent de multiples facteurs. Ils ont également noté l'absence de méthodologies harmonisées et d'objectifs de protection spécifiques convenus. Dans l'ensemble, les informations disponibles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives sur cet aspect de l'évaluation des risques. »

 

Il y a aussi un paragraphe sur le potentiel neurotoxique potentiel (le doublon est ici volontaire) d'un sel de glyphosate qui ne fait pas l'objet de la demande de renouvellement de l'homologation. C'est à mettre en lien avec un article du Monde du 1er juin 2023, et de M. Stéphane Foucart, « Des géants des pesticides accusés d’avoir dissimulé la toxicité de leurs produits pour le cerveau en développement ». Cet article fut précédé le 7 septembre 2022 par « Glyphosate : une étude industrielle sur la neurotoxicité de l’herbicide soustraite aux autorités européennes », du même auteur. Selon la fiche d'information de l'EFSA, « il est recommandé au demandeur de fournir des éclaircissements sur cette question ». Cela relève-t-il de l'« évaluation » d'une substance ?

 

Il y a trois conclusions à tirer de cette situation, à notre sens. Visiblement, il y a des évaluateurs qui ont mené un examen à charge, en quelque sorte en cherchant la petite bête. L'histoire du glyphosate trimesium neurotoxique témoigne d'une sensibilité au militantisme porté à l'origine par deux chercheurs de l'Université de Stockholm. Cela n'est pas de bon augure pour les évaluations à venir.

 

Et, le plus important en l'occurrence, cette évaluation semble donner quelques arguments aux États membres opposés au renouvellement de l'homologation du glyphosate, ou déterminés à en limiter les usages à la portion congrue s'il était réhomologué (une interdiction pure et simple n'étant pas légale).

 

 

Et maintenant ?

 

Il appartient à la Commission Européenne de produire un projet de règlement d'exécution. Le renouvellement de l'homologation sera en principe pour quinze ans (c'était du reste la durée initialement proposée en mars 2016, avant la chienlit des enchères descendantes). Nul doute que la Commission reflétera dans son projet les questions non finalisées et les questions en suspens, sous une forme qu'il sera intéressant d'analyser.

 

Pour être approuvé (ou rejeté), le projet de la Commission devra réunir une majorité qualifiée : 55 % des États membres (soit 15 sur 27), ces États devant représenter au moins 65 % de la population de l'Union Européenne. Les abstentions sont comptées comme des votes contre.

 

En cas de blocage, la question est soumise à un comité d'appel, qui produit généralement le même résultat. À l'issue de ce parcours, il incombe à la Commission de décider.

 

La voix de l'Allemagne jouera un rôle éminent. L'accord de coalition « feux tricolores » prévoit : « Nous retirerons le glyphosate du marché d'ici 2023 »...

 

Pour la voix de la France, bien malin celui qui peut résumer par un « oui » ou un « non » le déluge verbal du Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire Marc Fesneau...

 

 

(Source)

 

 

Or, en termes de population, l'Allemagne et la France constituent à eux seuls 75 % d'une minorité de blocage. La suite des événements sera intéressante.

 

 

Le CIRC, l'INSERM et l'INRAE

 

M. Marc Fesneau avait répondu à une question du député Nicolas Thierry, NUPES-EÉLV, manifestement porte-voix du militantisme anti-glyphosate à l'Assemblée Nationale.

 

 

(Source)

 

 

M. Thierry Nicolas avait, bien sûr, rappelé la déclaration ubuesque du président Emmanuel Macron de novembre 2017, la promesse de « sortir du glyphosate ».

 

Il s'était aussi référé aux allégations du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) et de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE). Celles-ci occuperont ces prochains temps l'espace médiatique, et il est utile d'en proposer ici un démontage.

 

Le CIRC a classé le glyphosate en « probablement cancérogène » ? Il est démontré, preuves irréfutables à l'appui, que cette décision est entachée d'irrégularités graves, pour ne pas employer un mot du vocabulaire pénal (voir par exemple la déposition de M. Matthew Ross, à partir de la page 132, un article de Mme Kate Kelland de Reuters et ici). Même l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dont dépend le CIRC de manière lâche, a invalidé ce classement s'agissant des risques pour les consommateurs.

 

L'INSERM a conclu à « l’existence d’un risque accru de LNH avec une présomption moyenne de lien » selon son communiqué de presse ? C'est une étude bibliographique, comme celle du CIRC. Creuser dans le même fonds documentaire produit normalement le même résultat.

 

Et il y a « présomption moyenne » lorsqu'il « existe au moins une étude de bonne qualité qui montre une association statistiquement significative ». Statistiquement, et non de cause à effet... Et pour conclure à une « présomption forte », il faut « une méta-analyse de bonne qualité qui montre une association statistiquement significative, ou plusieurs études de bonne qualité et d’équipes différentes qui montrent des associations statistiquement significatives ».

 

M. Nicolas Thierry – ou ses pourvoyeurs d'éléments de langage – s'est cependant placé sur un autre terrain : « De nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques, c'est-à-dire des cassures de l’ADN ».

 

Voici la citation exacte tirée du rapport de l'INSERM, dans son contexte :

 

« S’agissant des essais de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire tout comme des études de mutagénicité, le niveau de preuve est relativement limité. Cependant, de nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques (cassures de l’ADN ou modifications de sa structure). Ces dommages, s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les cellules, peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogenèse. De tels effets sont cohérents avec l’induction directe ou indirecte d’un stress oxydant par le glyphosate, observée chez différentes espèces et systèmes cellulaires, parfois à des doses d’exposition compatibles avec celles auxquelles les populations peuvent être confrontées

 

Niveau de preuve relativement limité... Même pas de « présomption d'association ». Circulez...

 

Selon M. Nicolas Thierry,

 

« Autre contribution, émanant aussi d'un brillant institut français, l'INRAE. Sa conclusion est sans appel. En 2022, [l'INRAE] montre encore une fois l'impact du glyphosate sur la fertilité animale et humaine. »

 

On peut être bref : c'est une étude bibliographique d'une indigence rare. Nous l'avons évoquée et taillée en pièces, ainsi que le communiqué de presse du même tonneau, dans « Le glyphosate et la perturbation endocrinienne : quo vadis INRAE ? ». En bref, les auteurs avaient produit « un "musée des horreurs" anti-glyphosate et panorama des "recherches" déployées pour mettre le glyphosate (et d'autres substances) sur la sellette ».

 

Nul doute que nous visiterons souvent ce genre de musée ces prochains mois. Mais le plus important sera d'inciter nos décideurs politiques à faire preuve d'un minimum de courage pour affronter le militantisme et la désinformation anti-glyphosate.

 

 

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T
Nous sommes dans un monde qui ne tourne pas très rond , la Grande Bretagne veut diminuer son chaptel pour diminuer son taux de co2 pour limiter le réchauffement climatique. Mais passer des contrats pour importe de la viande des pays d’Amérique du Sud chercher l’erreur et la nouvelle Zélande veut abattre une partie de son bétail a cause du réchauffement climatique
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