Le glyphosate et la perturbation endocrinienne : quo vadis INRAE ?
À propos d'un communiqué de presse déroutant (euphémisme)
(Source)
Dies irae ! Commençons par un coup de gueule incident : l'INRAE – ou INRAE, sans article, pour succomber à leur snobisme ridicule – fait partie de ces organismes, arrogants ou stupides, qui estiment inutile de mentionner leur nom complet bien en évidence sur les pages de leurs sites. Ça dérange les « anciens », habitués à l'« INRA », d'autant plus que la structure de la dénomination a changé.
L'INRAE, c'est donc maintenant l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement. Le « A » est partagé par deux objectifs, alors que l'environnement a un droit entier sur le « E ». Cela semble correspondre à l'évolution récente de l'institut...
L'INRAE a publié le 9 mars 2022 un communiqué de presse au titre tonitruant : « Le glyphosate perturbe les fonctions de reproduction animale et humaine ».
En chapô :
« Une synthèse bibliographique met en évidence les mécanismes d'action du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate sur la fertilité mâle et femelle sur les animaux modèles et chez les humains. »
C'est plutôt présomptueux. Du texte, plus réaliste :
« Une synthèse bibliographique a été réalisée à partir des travaux scientifiques portant sur les mécanismes d'action du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate sur la fertilité mâle et femelle chez les animaux modèles et les humains. Au cours des dernières décennies, les chercheurs ont montré, en utilisant divers modèles animaux, que les GBH sont des perturbateurs endocriniens des fonctions de reproduction. »
La synthèse bibliographique – sélective ! – est une juxtaposition d'affirmations associées à des renvois à la bibliographie. Point barre !
Suit un long paragraphe d'une lecture pénible. Extrayons ceci :
« […] En outre, des impacts intergénérationnels de l'exposition au G ou aux GBH sont rapportés. [Trois phrases sur d'autres aspects] Les effets transgénérationnels sont également encore méconnus. »
Peut-être y a-t-il une nuance entre « inter... » et « trans... » qui nous échappe...
Mais la conclusions, que nous présentons ici sous forme d'un large extrait, est péremptoire (c'est nous qui graissons) :
« Les G et les GBHs peuvent donc induire à des doses équivalent glyphosate parfois inférieures à la NOAEL (dose sans effet nocif observable) des altérations de l'ensemble de l'appareil reproducteur chez les mâles et les femelles. D’autres études sont prévues afin d'analyser les conséquences de ces impacts physiologiques sur la fertilité, c’est-à-dire sur l’aptitude à se reproduire, mais aussi sur les pathologies éventuelles induites, notamment dans l’espèce humaine. Les effets transgénérationnels sont également encore méconnus. Certains auteurs envisagent enfin de trouver des stratégies pour diminuer ou éviter les impacts négatifs des GBH, même si à terme, ces substances ont vocation à être interdites.
Vraiment INRAE ?
Aurait-on mal déterminé la NOAEL et remettez-vous en cause les travaux en matière de toxicologie ?
Vous faites-vous prescripteurs, ou du moins voyants extra-lucides, pour le sort futur du glyphosate ?
Visiblement, on a quitté la sphère scientifique pour entrer dans celle du militantisme.
Et pourquoi diable publier un communiqué de presse le 9 mars 2022, à propos d'un article publié le 8 novembre 2021 ?
D'un article qui n'est qu'un catalogue d'articles scientifiques (et vendons la mèche : pseudo-scientifiques), un catalogue qui n'apporte rien de nouveau et qui aurait été considérablement élagué si on avait procédé à une méta-analyse fondée sur des bases réalistes ?
Certains ont évoqué sur Twitter une manœuvre souvent qualifiée de « complot », même si c'était pour la mettre en doute. L'hypothèse n'est pourtant pas à écarter ! Pas en relation avec la campagne présidentielle, mais la campagne annuelle de gesticulation de Générations Futures intitulée, selon le cas, « Semaine sans pesticides » ou « Semaine pour les alternatives aux pesticides ».
(Source)
« Review: Mechanisms of Glyphosate and Glyphosate-Based Herbicides Action in Female and Male Fertility in Humans and Animal Models » (Revue : Mécanismes d'action du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate sur la fertilité féminine et masculine chez l'Homme et les modèles animaux) de Loïse Serra, Anthony Estienne, Claudine Vasseur, Pascal Froment et Joëlle Dupont a été publié dans Cells, dans un numéro spécial sur les effets et mécanismes des perturbateurs endocriniens sur les cellules germinales, les gonades et les embryons.
L'article a été reçu le 13 octobre 2021, révisé et accepté le 4 novembre 2021 et publié le 8 novembre 2021. Quelle incroyable célérité !
Voici le résumé, que nous découpons comme de coutume en paragraphes pluslisibles, mais en les numérotant :
1. Le glyphosate (G), également connu sous le nom de N-(phosphonométhyl)glycine, est l'ingrédient actif déclaré des herbicides à base de glyphosate (GBH) tels que le Roundup, largement utilisés dans l'agriculture conventionnelle. Il est toujours utilisé en mélange avec des produits de formulation.
2. Le G agit notamment sur la voie du shikimate, qui existe chez les bactéries, pour la synthèse des acides aminés aromatiques, mais cette voie n'existe pas chez les vertébrés.
3. Au cours des dernières décennies, les chercheurs ont montré, en utilisant divers modèles animaux, que les GBH sont des perturbateurs endocriniens qui pourraient altérer les fonctions de reproduction.
4. Notre revue décrit les effets de l'exposition aux G ou aux GBH sur l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique (HPG) chez les mâles et les femelles en termes de perturbation endocrinienne, de viabilité cellulaire et de prolifération.
5. La plupart des principaux régulateurs de l'axe reproducteur (GPR54, GnRH, LH, FSH, estradiol, testostérone) sont altérés à tous les niveaux de l'axe HPG (hypothalamus, hypophyse, ovaires, testicules, placenta, utérus) par l'exposition aux GBHs qui sont considérés comme plus toxiques que le G seul en raison de la présence de formulants tels que la polyoxyéthylène tallow amine (POEA)".
6. En outre, nous rapportons les impacts intergénérationnels de l'exposition au G ou aux GBH et, enfin, nous discutons des différentes stratégies pour réduire les effets négatifs des GBH sur la fertilité.
Pourquoi « déclaré » au paragraphe 1 ? Cela nous rappelle furieusement la rhétorique séralinienne...
Les plantes ne sont pas évoquées au paragraphe 2... la revue par les pairs a bien fonctionné (ironie) !
Le paragraphe 3 se limite aux GBH, aux produits formulés... Il implique cependant que tous les herbicides, quels que soient les co-formulants, sont des perturbateurs endocriniens. Mais il y a un conditionnel de prudence pour les effets (« that might alter reproductive functions »)...
À lire le paragraphe 5, les herbicides à base de glyphosate – le glyphosate seul n'est à nouveau pas impliqué – auraient des effets extraordinaires. La multiplicité des effets allégués dans les divers travaux scientifiques mis à contribution n'a pas intrigué les auteurs.
Il y a aussi, en fin de paragraphe (de phrase) un signe typographique incongru. Anticipons sur le texte de l'article : les numéros renvoyant vers les références bibliographiques ne sont pas toujours corrects. Précipitation comme le suggère l'historique de la publication ou amateurisme ?
Enfin, au paragraphe 6, on allègue des effets du glyphosate seul.
Une analyse détaillée du fond exigerait une connaissance approfondie du sujet, sur le plan tant de la physiologie que des travaux scientifiques, ainsi qu'une vérification des 113 publications incluses dans la synthèse quant à leur sérieux et crédibilité, et la concordance entre celles-ci et ce qui a retenu l'attention des auteurs de la synthèse.
On peut cependant se limiter à un examen par sondage orienté.
La question fondamentale à se poser est la suivante : comment l'INRAE peut-elle titrer de manière outrancière et putaclic « Le glyphosate perturbe les fonctions de reproduction animale et humaine » – ce que les auteurs de la synthèse se sont gardé de faire –, alors que les agences d'évaluation et d'homologation s'inscrivent en faux, souvent avec une formulation prudente étant donné qu'« absence de preuve ne vaut pas preuve de l'absence » ?
Ainsi, selon un document d'information présentant notamment le projet de RAR (renewal assessment report – rapport d'évaluation du renouvellement),
« Sur la base d'une évaluation des données disponibles sur le glyphosate conformément au guide EFSA/ECHA sur l'évaluation de la perturbation endocrinienne, l'AGG [groupe d'évaluation du glyphosate] propose que les critères de la PE [perturbation endocrinienne] tels que définis dans le règlement (CE) n° 1107/2009 tel que modifié par le règlement (UE) n° 2018/605 ne sont pas remplis. »
En bref, la réponse est que ces études scientifiques ou « scientifique d'opinion » selon une formule de M. Philippe Stoop sont – pour la plupart (limitation de prudence, nous n'avons évidemment pas vérifié de manière exhaustive) – non conventionnelles : de l'in vitro (ce qui est loin de l'in vivo), des études sur des modèles animaux éloignés de l'humain, des doses, des modes d'administration et des durées d'administration extravagants...
Selon une recherche rapide sur les tableaux résumés, une seule étude a utilisé la dose journalière admissible européenne de 0,5 mg/kg p.c./jour, et encore, comme dose la plus basse, sur des rats ou des souris. On rappellera ici que les doses susceptibles d'être – occasionnellement – ingérées dans la vie réelle sont inférieures de deux à trois ordres de grandeur à la dose admissible... Merci les « pisseurs de glyphosate » !
La dose maximale évoquée dans la synthèse est de 2.000 mg/kg poids corporel/jour, administrée à un groupe de 5 – oui, cinq – rats pendant 60 jours. Cela correspond en gros à un tiers de litre de Roundup concentré pour une petite personne de 60 kg !
Dans une autre étude qui a trouvé grâce auprès des auteurs de la synthèse, les chercheurs ont analysé les effets d'un mélange de zinèbe (15 mg/kg p.c.), glyphosate (10 mg/kg p.c.) et diméthoate (15 mg/kg p.c.) administré par voie intrapéritonéale à des rats mâles trois fois par semaine pendant cinq semaines. Les DJA – par voie orale, évidemment – sont de 0,03 mg/kg p.c./jour, 0,5 mg/kg p.c./jour et 0,001 mg/kg p.c./jour, respectivement.
La synthèse bibliographique est précise – a priori autant que possible – sur les substances mises en œuvre dans les essais.
Mais ce n'est souvent pas le cas dans la « presse d'opinion scientifique », particulièrement laxiste sur les amalgames entre le glyphosate seul et les herbicides formulés. Quand on ne trouve pas d'effet avec le glyphosate seul, mais avec un produit formulé, on s'arrange pour incriminer le glyphosate...
Le problème qui n'a jamais été abordé – au mieux rarement –, est de connaître la dynamique des co-formulants dans leur parcours environnemental et, le cas échéant, alimentaire et humain. Gesticuler sur la nature de perturbateur endocrinien d'un produit formulé n'a guère de sens si le co-formulant en cause n'atteint pas l'humain (autre que, peut-être, l'applicateur).
Séralini et Cie. – La synthèse bibliographique comporte pas moins de 14 références à M. Gilles-Éric Séralini et son équipe.
Il y a parmi elles, quasiment d'entrée de jeu, l'allégation que les/des produits formulés contiennent-- comme co-formulants – des métaux lourds.
Mettons en deuxième position dans la liste des horreurs, « Dig1 Protects against Locomotor and Biochemical Dysfunctions Provoked by Roundup » (Dig1 protège contre les dysfonctionnements locomoteurs et biochimiques provoqués par le Roundup).
Les auteurs de la synthèse n'ont pas été rebutés par le fait que cet article a été publié dans BMC Complementary Medicine and Therapies ; que « Dig1 », une sorte de faux nez pour Digeodren de Sevene Pharma, est décrit comme un « médicament homéopathique indiqué dans le traitement des digestions lentes et difficiles » ; que la liste des auteurs comprend une personne de Sevene Pharma ; que la recherche (ou « recherche ») a été financée notamment par Sevene Pharma et des fondations liées au biobusiness.
Nous nous sommes payé du bon temps sur cette étude dans « C'est prouvé par M. Gilles-Éric Séralini : on peut boire du glyphosate, moyennant... ! »
Enfin, il y a l'infameuse étude sur les rats rétractée puis republiée dans une revue moins-disante grande ouverte à la science d'opinion « anti » !
On cherchera en vain les références aux vastes et très coûteuses études réalisées sur fonds européens pour, en quelque sorte, réfuter l'étude précitée – notamment le GMO90+ Project (voir ici et ici sur ce site).
(Source)
Y a-t-il d'autres études qui n'ont pas été mentionnées et auraient mérité de l'être ? Anderson Tadeu de Araújo-Ramos et al. « Controversies on Endocrine and Reproductive Effects of Glyphosate and Glyphosate-Based Herbicides: A Mini-Review » (controverses sur les effets endocriniens et reproductifs du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate : une mini-revue) – un titre tout à fait pertinent – par exemple ?
L'Institut Ramazzini. – On trouve aussi au moins une référence à l'Institut Ramazzini, connu pour produire des études anxiogènes en série.
Nous avons démonté et mis en perspective l'article en question dans « Le glyphosate suspecté d’être un perturbateur endocrinien ? Que dit la dernière étude ? » Notons un élément de nature générale : trouver une différence statistiquement significative ne dit encore rien sur la différence sur le plan biologique (et dans les conditions de la vraie vie).
Notons aussi que l'Institut Ramazzini était membre de consortium italien Stoglifosato et que sa directrice, Mme Fiorella Belpoggi, s'était associée à une opération anti-OGM, finalement foireuse, Factor GMO organisée depuis la Fédération de Russie.
Samsel et Seneff. – Mais le clou est encore « Glyphosate, Pathways to Modern Diseases II: Celiac Sprue and Gluten Intolerance » (glyphosate, voies d'accès aux maladies modernes II : la sprue cœliaque et l'intolérance au gluten) d'Anthony Samsel et Stephanie Seneff. Des auteurs prolifiques de corrélations déjantées sévèrement critiqués par Robin Mesnage et Michael Antoniou (voir ici et ici).
Ce graphique loufoque est tiré de « Aluminum and Glyphosate Can Synergistically Induce Pineal Gland Pathology: Connection to Gut Dysbiosis and Neurological Disease » (l'aluminium et le glyphosate peuvent induire de manière synergique une pathologie de la glande pinéale : lien avec la dysbiose intestinale et une maladie neurologique), des ineffables Stephanie Seneff, Nancy Lee Swanson et Chen Li, n'a pas de lien direct avec l'article ci-dessus.
L'article de Samsel et Seneff cité par les auteurs de la synthèse comporte aussi des graphiques montrant des corrélations invraisemblables – en fait facilement « démontables ». Par exemple quand l'un des facteurs est le « glyphosate appliqué sur le blé », il s'agit essentiellement de glyphosate utilisé en pré-semis ! Comment ont-ils pu, dès lors, écrire :
« De plus, dans une étude récente, l'exposition maternelle à G a été liée à une augmentation des cas de comportement autistique [110] et de maladies cœliaques [111]. Cette dernière étude a également fait état d'une déficience de nombreuses enzymes du cytochrome P450, de certains problèmes d'infertilité, de fausses couches et de malformations congénitales. » [Nos liens mênent vers les bons articles.]
L'« étude a également fait état » ? Les auteurs de la synthèse ne se sont-ils pas aperçu que cette « étude » est au mieux un montage de conjectures ? Que les « certains problèmes » sont évoqués essentiellement en tant que conséquences de la maladie cœliaque ?
Cette phrase pourrait être un bon résumé de l'objectif de la synthèse : militant. Mais cela ne nuit pas à l'intérêt de la synthèse, au contraire : outre la mise en évidence de l'approche adoptée par ses auteurs, il y a ce fort utile « musée des horreurs » anti-glyphosates et panorama des « recherches » déployées pour mettre le glyphosate (et d'autres substances) sur la sellette.
De manière classique, les auteurs se font cependant prudents dans la conclusion de la conclusion :
« En conclusion, les G ou GBHs peuvent induire des altérations de l'ensemble de l'appareil reproducteur chez les mâles et les femelles. Ces altérations pourraient être prévenues ou réduites par des molécules protectrices (tableau 7). Cependant, d'autres études doivent être réalisées afin d'analyser les impacts de l'exposition aux GBH sur la fertilité humaine, les conséquences sur la santé humaine en termes de pathologies reproductives, les effets transgénérationnels et, enfin, de trouver des stratégies pour diminuer ou éviter les impacts négatifs des GBH. »
Oubliant cette prudence, le service de communication de l'INRAE a fait une publicité grossièrement mensongère, outrageusement anxiogène, pour cette synthèse.
Quo vadis, INRAE ?