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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Comment on se crée des problèmes d'acceptabilité des pesticides (et d'autres substances)

2 Juillet 2021 Publié dans #Pesticides

Comment on se crée des problèmes d'acceptabilité des pesticides (et d'autres substances)

 

Allan Felsot*

 

 

Le paraquat

 

L'article de M. Cameron English « Glyphosate 2.0 : Les poursuites judiciaires contre l'herbicide paraquat accusé de causer la maladie de Parkinson progressent » a donné lieu à un long commentaire, très instructif, de M. Allan Felsot que nous publions ici séparément, avec quelques adaptations pour plus de clarté et de lisibilité.

 

Ce commentaire tombe à pic à l'heure où nous écrivons : l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) vient de publier un magnum opus, « Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données ». Le document complet n'est... disponible que contre monnaie sonnante et trébuchante... Le communiqué de presse – surprise, surprise – s'est abstenu de mettre les résultats en perspective.

 

Les marchands de peur se sont évidemment engouffrés... Citons le « Pesticides et santé : les conclusions inquiétantes de l’expertise collective de l’Inserm » de l'inénarrable Stéphane Foucart dans le Monde.

 

Pourtant...

 

 

Le MPP+

 

Tout le brouhaha a commencé lorsque des chercheurs ont remarqué qu'un composé ionisé appelé MPP+ [1-méthyl-4-phényl pyridinium], un contaminant de l'héroïne de synthèse, provoquait des symptômes de type parkinsonien chez les utilisateurs (vers les années 1990). En raison de similitudes structurelles avec le MPP+, le paraquat a été rattrapé par cette exposition de type idiosyncrasique. Mais le MPP+ est beaucoup plus puissant que le paraquat pour ce qui est de provoquer des effets nocifs sur les niveaux de dopamine.

 

Peu de temps après cette découverte, des chercheurs ont commencé à créer des dangers en laboratoire. J'entends par là : injectons, pour voir, ce produit directement dans le cerveau des souris ou injectons-le par voie intrapéritonéale.

 

Ainsi, c'est un autre exemple de la façon dont nous, qui faisons de la toxicologie, pouvons créer un danger dissocié du risque... il suffit d'utiliser la bonne méthode d'injection et de fortes doses.

 

Le paraquat

 

 

Par exemple, la NOAEL [No Observable Adverse Effect Level – dose sans effet nocif observable (DSENO)] utilisée par l'Environmental Protection Agency (EPA) pour l'évaluation des risques du paraquat, basée sur des études toxicologiques in vivo, est d'environ 0,45 mg/kg de poids corporel pour des expositions chroniques. En appliquant le facteur de sécurité de 100, on obtient la dose de référence (RfD – reference dose) de 0,0045 mg/kg p.c., et les travailleurs – les seules personnes qui ont accès au paraquat (ce qui signifie que vous devez obtenir une licence pour l'acheter) – ne sont pas considérés par l'EPA comme présentant un risque déraisonnable lorsqu'ils sont exposés à une dose inférieure à la RfD.

 

Le MPP+

 

 

Cependant, les études in vivo injectent des doses de 5 à 10 mg/kg de poids corporel (ou des doses plus élevées) ; en d'autres termes, elles injectent directement dans le sang de manière répétée (c'est ce qui se passe essentiellement à partir d'une dose intrapéritonéale car les capillaires sont partout) des niveaux qui sont au moins 1.000 fois supérieurs à la RfD.

 

En outre, le danger du paraquat se manifeste apparemment lorsque les souris ou les rats sont exposés simultanément au fongicide manèbe. Lorsque ce type d'expériences a été rapporté pour la première fois aux alentours de l'an 2000, c'est-à-dire l'exposition au paraquat et au manèbe, ma première réaction a été : qui est assez fou pour appliquer un herbicide total en combinaison avec un fongicide ?

 

Pure fantaisie... mais les études de danger n'ont pas à considérer si les expositions sont réalistes. Pour s'en rendre compte, il suffit de lire la section des méthodes pour le dosage dans la plupart des études de danger de la littérature, c'est-à-dire presque tout ce qui est publié dans la littérature toxicologique. Il y a une raison pour laquelle cette information n'est presque jamais incluse dans le résumé. Pour augmenter le succès de la publication, il vaut mieux avoir observé un certain type d'effet indésirable ; et pour cette raison, les expositions en laboratoire ne sont pas réalistes... elles sont juste la garantie de mesurer quelque chose qui semble différent des animaux témoins négatifs.

 

Les études épidémiologiques ont rarement étudié l'exposition (à l'exception de celle citée dans l'article de M. Cameron English, sur les ouvriers d'usine) mais s'appuient sur les souvenirs des l'utilisateurs. Mais l'utilisation n'est pas linéairement liée à l'exposition réelle (c'est-à-dire l'exposition systémique).

 

[Ma note : et les souvenirs sont souvent imprécis – le fameux biais de rappel. On trouvera dans « Les scientifiques nord-américains (et les responsables du CIRC) ont-ils conspiré pour cacher des résultats sur l'absence de risques pour la santé du glyphosate ? » une illustration avec des résultats séparés selon que le répondant est la personne concernée ou un proche.]

 

Je me demande souvent si ces chercheurs lisent réellement les étiquettes des produits, en particulier parce que les étiquettes des produits selon la FIFRA [Federal Insecticide, Fungicide and Rodenticide Act – loi fédérale sur les insecticides, fongicides et rodenticides] sont l'équivalent de la loi fédérale. Je suis étonné que des procès puissent invoquer le « défaut d'avertissement » comme prémisse alors que les étiquettes indiquent clairement la nécessité de porter des vêtements de protection.

 

Le Gramoxone, l'un des premiers produits de formulation du paraquat, possède une étiquette fédérale qui indique clairement que le composé est un poison dangereux (avec une petite tête de mort à côté). Elle comporte ensuite une foule de messages d'avertissement et l'EPI (équipement de protection individuel) est requis. Il n'y a pas de cas de défaut d'avertissement ici, sans compter que l'EPI réduit l'exposition à des niveaux inférieurs à la RfD (si ce n'était pas le cas, l'EPA exigerait des restrictions d'utilisation ou un EPI encore plus important).

 

Mais si on veut se fier aux études épidémiologiques, je suggère que l'on apprenne ce que signifient réellement les rapports de cotes (odds ratios – OR) et les intervalles de confiance (IC) à 95 % qui leur sont associés. Dans de nombreuses études, les OR sont soit à peine significatifs (c'est-à-dire que les limites inférieures des IC à 95 % sont proches de 1,0), soit non significatifs (les limites inférieures des IC à 95 % sont inférieures à 1,0). En outre, les épidémiologistes sceptiques considèrent que les OR inférieurs à 2,0 sont essentiellement non informatifs (et la plupart des études épidémiologiques se situent dans cette fourchette d'OR ou souvent en dessous).

 

Le paraquat étant un herbicide à usage restreint qui nécessite une licence d'applicateur de pesticides (qui exige des tests et des cours annuels sur la sécurité des pesticides), le résultat final est que toute cette histoire de procès ne sera pas une promenade de santé pour les avocats qui ont trompé les jurés sur le glyphosate en se concentrant non pas sur la science mais sur les courriels type « voyez comme ces gens sont mauvais ».

 

Post scriptum

 

Le paraquat existe depuis la fin des années 1950 et des associations avec la maladie de Parkinson n'ont été « découvertes » qu'à la fin des années 1990, après que l'EPA a ré-examiné le composé et décidé de renouveler son enregistrement (vers 1997). Ainsi, Syngenta (aujourd'hui en mains chinoises) n'aurait pas pu cacher la maladie comme l'ont prétendu les plaignants du glyphosate (ce qui, bien sûr, n'est que de la foutaise en surface et en dessous).

 

Et, à propos, je parle en tant que personne de 70 ans dont le père est mort de la MP à l'âge de 86 ans (ce fut une période douloureuse de 40 ans d'observation des ravages progressifs de la maladie). C'est une maladie affreuse, mais le paraquat n'a rien à voir avec son étiologie. Comme presque tous les articles l'affirment dans leur introduction, la MP est une maladie idiopathique... nous ne savons pas pourquoi elle se développe mais nous connaissons bien ses signatures biochimiques et ses manifestations physiologiques. L'EPA a raison sur ce point, tout comme elle et toutes les autres agences de réglementation qualifiées dans le monde ont manifestement raison sur le glyphosate.

 

__________

 

M. Allan Felsot est professeur émérite d'entomologie et de toxicologie environnementale de l'Université d'État de Washington. Il est l'auteur d'un rapport de l'ACSH, Pesticides and Health: Myths vs. Realities.

 

Source : Glyphosate 2.0: Lawsuits Claiming Herbicide Paraquat Causes Parkinson's Move Forward | American Council on Science and Health (acsh.org)

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