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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le différend commercial sur les OGM au Mexique repose sur des allégations erronées et des recherches rétractées

11 Janvier 2024 Publié dans #Mexique, #Etats-Unis d'Amérique

Le différend commercial sur les OGM au Mexique repose sur des allégations erronées et des recherches rétractées

 

Rob Wager, Issues & Insights*

 

 

 

 

L'histoire du Mexique et de l'innovation agricole est parsemée de contradictions. C'est là que Norman Borlaug, généticien du blé, a collaboré pour la première fois avec des scientifiques locaux pour mettre au point un blé à haut rendement, ce qui a conduit à la Révolution Verte qui a sauvé des milliards de personnes de la famine et lui a valu le prix Nobel de la paix en 1970. Aujourd'hui, au Mexique, la prochaine génération d'innovations agricoles modernes nécessaires pour nourrir des populations croissantes, contribuer à la lutte contre le changement climatique et protéger la biodiversité est le théâtre de manœuvres politiques qui bloquent le commerce, l'innovation et le progrès.

 

Le Mexique n'autorise pas les cultures génétiquement modifiées (GM), mais en importe des millions de tonnes de produits pour l'alimentation humaine et animale. Une grande partie provient du Canada et des États-Unis dans le cadre de l'accord commercial ACEUM [voir aussi ici]. Cet accord a été conçu pour garantir un commerce sûr et efficace, y compris pour les cultures génétiquement modifiées.

 

Conseillé par un groupe d'activistes anti-biotechnologie discrédités, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador invoque désormais des problèmes de santé et de sécurité liés au maïs transgénique. Dans une démarche qui reflète les tactiques alarmistes infondées des militants anti-biotechnologie, les politiciens mexicains invoquent également des inquiétudes concernant le glyphosate, un herbicide largement utilisé et minutieusement contrôlé.

 

Si elle est mise en œuvre, la stratégie mexicaine – son décret sur le maïs de février 2023 – aboutira à l'interdiction des importations de maïs transgénique en provenance des États-Unis. Malgré des décennies d'expérience et des preuves du contraire bien documentées, le Mexique affirme que l'interdiction est justifiée, en répétant des allégations de risques pour la santé et l'environnement qui n'ont pas été vérifiées. Le Mexique laisse également entendre à tort que les importations d'OGM menacent les variétés de maïs indigènes.

 

Les États-Unis contestent le décret, avec le soutien du Canada. Il faudra des mois, voire des années, pour régler ce différend. Nous n'avons pas besoin d'attendre cette issue pour tirer une conclusion importante : restreindre l'accès à une telle quantité de céréales serait dévastateur pour un pays comme le Mexique, déjà en proie à des tensions sociales. La perte d'une telle quantité de céréales ne pourra en aucun cas être compensée par l'agriculture biologique agro-écologique proposée à titre substitution. Cela signifie que l'insécurité alimentaire augmentera et que des troubles politiques et sociaux s'ensuivront.

 

Les critiques affirment depuis longtemps que les aliments issus de cultures génétiquement modifiées sont dangereux. Près de 30 ans de recherches et d'essais scientifiques crédibles n'ont pas permis d'en apporter la preuve. L'allégation la plus célèbre de nocivité provient probablement d'un article de recherche discrédité et rétracté, publié en 2012. Le Mexique a invoqué cette étude pour justifier son interdiction.

 

Les réponses des experts mondiaux de la sécurité alimentaire (ici, ici et ici) se sont avérées dévastatrices pour l' « article de Séralini ». En outre, les organismes mondiaux d'évaluation de la sécurité alimentaire ont demandé aux auteurs de leur fournir les données brutes pour une analyse plus approfondie, un élément standard du processus d'examen scientifique.

 

Les auteurs n'ont ni répondu ni présenté les données brutes. Si les affirmations avaient été fondées sur des travaux solides et impartiaux, les auteurs auraient pu remédier aux nombreuses lacunes identifiées par les autorités chargées de la sécurité alimentaire. Ils ne l'ont pas fait. En outre, aucune autre tentative de la part d'autres scientifiques n'a été en mesure de reproduire leurs affirmations initiales.

 

Après le battage médiatique initial, les autorités du monde entier ont été poussées à réévaluer les cultures génétiquement modifiées. Après avoir examiné les préoccupations, un grand nombre d'organisations, de l'Organisation Mondiale de la Santé à l'American Medical Association, sont parvenues à des conclusions similaires : la consommation d'aliments dérivés de cultures génétiquement modifiées est sans danger.

 

De même, les critiques n'ont cessé de mettre en doute la sécurité de produits tels que le glyphosate, un herbicide utilisé par les agriculteurs du monde entier. Le glyphosate et d'autres herbicides sont utilisés dans certaines cultures génétiquement modifiées. S'ils sont interdits, la production de toutes les cultures diminuera considérablement.

 

Le poids le plus important de la communauté scientifique démontre que ces herbicides sont sûrs lorsqu'ils sont utilisés de manière appropriée. Il existe littéralement des centaines d'études qui plaident en leur faveur (ici et ici).

 

Néanmoins, en 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a déclaré que le glyphosate, ainsi que d'autres herbicides, étaient des cancérogènes « probables » ou « possibles ». Presque immédiatement, des militants écologistes, ignorant le sens des qualificatifs « probable » et « possible », ont affirmé que le glyphosate et d'autres herbicides étaient en fait cancérigènes. « La peur fait vendre », dit le proverbe, et les médias grand public ont souvent amplifié la peur sans évaluation critique.

 

L'examen de la déclaration a révélé des activités inquiétantes de la part des évaluateurs du CIRC. En particulier, au moins quatre des participants du CIRC ont été payés par des groupes d'activistes anti-pesticides et ont également perçu des honoraires pour témoigner en faveur de plaideurs ayant des intérêts financiers de plusieurs millions de dollars dans les résultats du CIRC. Le scientifique consultant qui a contribué à diriger le processus a admis par la suite qu'il avait été employé par des avocats impliqués dans le contentieux du glyphosate avant, pendant et après son travail au sein du CIRC. [Ma note : Avant (et pendant), c'était sur un autre contentieux, sans doute celui des téléphones portables.]

 

Les conclusions du CIRC ont été rejetées par les agences de réglementation du monde entier, y compris par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, qui a récemment déclaré le glyphosate sans danger.

 

L'affirmation mexicaine selon laquelle le glyphosate représente une menace n'est pas étayée par la science. Cette dichotomie entre la science et les politiques gouvernementales ignore une réalité importante : si les herbicides comme le glyphosate sont interdits, les agriculteurs seront contraints de revenir à des options plus dommageables pour l'environnement. Il s'agit là d'un aspect essentiel de l'agriculture durable que les responsables politiques négligent souvent ou n'apprécient pas à sa juste valeur.

 

Malheureusement, les récents intérêts politiques du Green Deal européen, qui promeuvent l'agro-écologie et cherchent eux-mêmes à interdire les herbicides, ont poussé des partenaires commerciaux comme le Mexique à adopter des accords de « clause miroir », alignés sur les restrictions de l'Union Européenne en matière de pesticides. Il n'est pas surprenant que des groupes d'activistes financés par l'UE aient été en première ligne pour soutenir les propositions d'interdiction des herbicides et des OGM au Mexique.

 

Les affirmations du Mexique concernant les menaces pour la biodiversité ne résistent pas non plus à un examen approfondi.

 

 

 

 

Le maïs a été domestiqué pour la première fois dans la région il y a 6.000 à 10.000 ans. La domestication du maïs est une histoire de flux de gènes et de sélection par les agriculteurs, avec des dizaines de milliers de variétés locales qui ont évolué au fil du temps. Nombre d'entre elles sont aujourd'hui protégées dans des centres de ressources génétiques aux États-Unis et au Mexique, ce qui permet de préserver la biodiversité génétique actuelle du maïs pour les générations futures.

 

Le Mexique importe du maïs génétiquement modifié depuis plus de 25 ans. Ce que la recherche montre – et que les critiques ignorent – c'est qu'il y a eu très peu de mouvements de gènes de maïs américain, y compris de gènes issus de la biotechnologie, à travers le Mexique au cours de cette période. La science est claire : le maïs génétiquement modifié ne menace pas la biodiversité du maïs mexicain.

 

La philosophie de l'agriculture biologique existe sous une forme ou une autre depuis les années 1930. Le mouvement a été rebaptisé à plusieurs reprises : « naturel », « organique » ou « régénératif ». Récemment, l'« agro-écologie » est devenue à la mode. Toutes ces appellations prônent l'absence d'intrants de synthèse et le recours à l'agriculture circulaire, avec un recyclage important des nutriments.

 

Ce que les défenseurs ne vous disent pas, c'est que les rendements utopiques promis en harmonie avec la Nature se heurtent à la réalité de la production alimentaire. Il n'y a pas de repas gratuit. Les études se succèdent et aboutissent à la même conclusion : les rendements de l'agriculture biologique sont inférieurs de 25 à 50 % à ceux de l'agriculture conventionnelle.

 

Malheureusement, cela n'a pas ralenti les partisans de l'adoption généralisée de l'agro-écologie biologique dans les pays en développement. La conviction que la production agro-écologique à grande échelle peut être à la fois « entièrement naturelle » et répondre aux besoins humains est encouragée par la gouvernance nationale et internationale. Il existe même des factions au sein de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) et du GCRAI (Groupe Consultatif de la Recherche Agricole Internationale – CGIAR, qui étudie la sécurité alimentaire) qui encouragent activement ce type d'agriculture restrictive dans de nombreux pays en développement.

 

La dure réalité est que les pays riches peuvent se permettre d'adopter des méthodes biologiques – et les pertes de rendement qui en découlent – alors que les pays moins riches ne le peuvent pas. Une étude menée sur dix ans par un groupe de réflexion européen axé sur le développement durable a révélé que la conversion à l'agro-écologie en Europe entraînerait une baisse de rendement de 35 %. L'Europe pourrait se permettre de combler cet écart par des importations. Pour les pays en développement moins riches, les conséquences seraient catastrophiques.

 

Ce mouvement en faveur de l'agro-écologie en Afrique s'est manifesté lors d'une conférence organisée à Nairobi en 2019. [Voir ici, sur ce site – M. Gilles-Éric Séralini a été un des conférenciers, en visio.] Les uns après les autres, les orateurs ont vanté les prétendus dangers de l'agriculture moderne et les vertus de l'agro-écologie. Ils n'avaient pas la science infuse, mais l'émotion était forte. Heureusement, le gouvernement kenyan n'a pas été dupe et continue de soutenir les programmes de recherche et de développement dans le domaine de la sélection végétale moderne, y compris le génie génétique et l'édition de gènes.

 

Les changements radicaux dans la politique agricole peuvent être dévastateurs pour les agriculteurs. Cela a été clairement démontré après l'interdiction du glyphosate par le gouvernement sri-lankais en 2015. Cette interdiction a entraîné une baisse massive de la production agricole. Il s'en est suivi une baisse des rendements et des difficultés économiques. Doublant la mise, le Sri Lanka est allé plus loin en interdisant tous les engrais et pesticides de synthèse en 2022.

 

Ce changement soudain a provoqué l'effondrement de l'agriculture sri-lankaise. Des troubles civils et des manifestations ont suivi. Des hommes politiques ont fui le pays, mais le mal était fait. Tout cela était trop prévisible.

 

De la même manière, la politique mexicaine impose aujourd'hui un changement à l'échelle du pays en faveur d'une agriculture agro-écologique qui ne tient pas compte de l'innovation. L'interdiction des « produits transgéniques et des pesticides dangereux » constitue la première étape.

 

L'année dernière, le Mexique a importé 17 millions de tonnes de maïs jaune transgénique des États-Unis. Il est irréaliste de croire que les variétés traditionnelles mexicaines et l'agriculture agro-écologique peuvent remplacer ces importations.

 

Motivé par la désinformation et la peur, et encouragé par les activistes, le Mexique est le dernier pays en date à fuir l'agriculture moderne et à tenter de devenir autosuffisant sur le plan alimentaire en utilisant des systèmes agro-écologiques. On estime que l'interdiction du maïs transgénique entraînera une hausse de 81 % du prix des aliments pour animaux, ce qui provoquera une augmentation similaire du prix des denrées alimentaires, en particulier de la viande. L'interdiction du glyphosate aura des effets négatifs similaires.

 

Les affirmations du Mexique ne sont tout simplement pas étayées par la science. La dépendance à l'égard de l'agriculture agro-écologique garantira que ses agriculteurs seront incapables d'augmenter les rendements pour faire face à la croissance démographique dans les décennies à venir. Ce n'est qu'en utilisant le meilleur de chaque type d'agriculture, traditionnelle et moderne, que le Mexique pourra atteindre cet objectif.

 

______________

 

Rob Wager est un professeur de biochimie et de biologie moléculaire récemment retraité de l'Université de l'île de Vancouver.

 

Source : Mexican GMO Trade Dispute Relying On Faulty Claims, Retracted Research – Issues & Insights (issuesinsights.com)

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