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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'agro-écologie rendra les agriculteurs pauvres plus pauvres

7 Juin 2022 Publié dans #Agro-écologie

L'agro-écologie rendra les agriculteurs pauvres plus pauvres

 

Joshua R. Muhumuza*

 

 

Image : Les citadins, comme ces manifestants pro-agro-écologie à Buenos Aires, en Argentine, ne se rendent peut-être pas compte de l'impact socio-économique de l'imposition de leur idéologie aux agriculteurs. Photo : Shutterstock/Carolina Jaramillo

 

 

Opposer la biotechnologie à l'agro-écologie – comme cela a été le cas dans un débat de longue haleine portant sur l'alimentation et l'agriculture – est une erreur fondamentale. La biotechnologie est un ensemble d'outils qui peuvent être utilisés pour améliorer les cultures et les animaux, tandis que l'agro-écologie est une approche de l'agriculture qui a diverses significations pour divers groupes.

 

L'étendue conceptuelle du terme agro-écologie permet à différents groupes de l'exploiter facilement pour leurs propres intérêts idéologiques. Il est désormais largement utilisé comme terme de substitution pour lutter contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les pratiques agricoles conventionnelles.

 

Cette lutte s'est déroulée autour du Sommet des Nations Unies sur les Systèmes Alimentaires, qui s'est tenu l'automne dernier. Les défenseurs de l'agro-écologie ont fustigé tous ceux qui soutenaient les interventions proposées comme la biotechnologie, qu'ils ont qualifiées de « fausses solutions » compromettant la sécurité alimentaire, la responsabilité démocratique et la durabilité.

 

 

Analyse

 

Une telle rhétorique politique est en soi problématique, car elle occulte le besoin urgent d'améliorer la sécurité alimentaire et de s'attaquer aux problèmes environnementaux tout en niant le rôle de la science et des preuves dans la résolution des défis du monde réel. De plus, en promouvant l'agro-écologie comme une solution à taille unique, ses partisans ignorent et sapent les défis complexes et les compromis impliqués dans l'établissement de systèmes agroalimentaires durables qu'ils prétendent défendre. De manière cruciale, l'agro-écologie risque de prolonger le statu quo des paysans – en particulier en Afrique – en les maintenant dans un cercle vicieux d'agriculture moins productive et de pauvreté.

 

La biotechnologie agricole est compatible avec l'agro-écologie, bien que ses détracteurs aient tendance à ignorer ce fait en dénonçant les cultures GM et l'agriculture industrielle comme un grand projet raté, responsable des lacunes des systèmes alimentaires orientés vers le marché ainsi que de nombreuses injustices. Un article récent affirmait que « les cultures GM sont enracinées dans un modèle d'agriculture colonio-capitaliste basé sur le vol de terres indigènes et sur l'exploitation du travail des agriculteurs et des travailleurs de l'agroalimentaire, du corps des femmes, du savoir indigène et de la toile de la vie elle-même. »

 

Mais même s'ils glorifient les pratiques agro-écologiques comme la voie de la durabilité, ils ne reconnaissent pas l'influence coloniale des donateurs des Nations européennes bien nourries qui sont les principaux financeurs de la promotion actuelle de l'agro-écologie en Afrique sub-saharienne. En fait, l'agro-écologie pourrait perpétuer les inégalités existantes au sein du système alimentaire, car la version conservatrice cherche à exclure complètement les innovations agricoles modernes sans donner aux agriculteurs la possibilité de décider de ce qui fonctionne dans leurs différents contextes agricoles.

 

Les défenseurs de l'agro-écologie restent étrangement silencieux sur les inconvénients de l'agriculture biologique – la norme agro-écologique la plus largement adoptée dans le monde. Il a été démontré que l'agriculture biologique a un rendement inférieur par unité de terre par rapport à la production conventionnelle, des études récentes faisant état d'écarts de rendement allant jusqu'à 35 %. Un écart de rendement de 35 % nécessiterait 50 % de terres arables supplémentaires pour produire la même quantité de nourriture, ce qui entraînerait une plus grande perte de biodiversité lorsque les forêts et autres écosystèmes sauvages sont convertis en terres agricoles. L'ajout de 50 % aux terres cultivées dans le monde équivaut à 600 millions d'hectares, soit plus de la moitié de la superficie des États-Unis.

 

Pour les petits exploitants africains pauvres en ressources, dont les rendements sont déjà nettement inférieurs à ceux du reste du monde, le passage à des pratiques de production agro-écologiques idéalisées n'est pas très prometteur.

 

En outre, plus de 33 millions de petits exploitants africains qui cultivent moins d'un hectare de terre appliquent déjà la plupart des pratiques agro-écologiques (cultures intercalaires, paillage, agroforesterie, etc.) préconisées par les agro-écologistes. Suggérer à ces agriculteurs de ne pas utiliser les technologies, telles que la biotechnologie et la numérisation, qui pourraient améliorer considérablement leur condition, revient à les engager à perpétuité dans la même agriculture éreintante et improductive qu'ils pratiquent déjà.

 

En outre, on s'inquiète de plus en plus du fait qu'à mesure que les Nations développées s'orientent vers plus d'agriculture biologique, la production alimentaire [africaine] est exportée à l'étranger pour compenser les insuffisances de l'offre nationale. Une étude récente montre que ce phénomène ne peut qu'entraîner une augmentation nette des émissions de gaz à effet de serre, ce qui aggrave encore l'empreinte écologique de l'agriculture et expose les fragiles systèmes agricoles des petits exploitants aux aléas du changement climatique.

 

L'opposition à la recherche biotechnologique du secteur public, qui a apporté ou est susceptible d'apporter de nombreux avantages aux petits exploitants aux ressources limitées des pays en développement, laisse encore plus perplexe. Les défenseurs de l'agro-écologie s'opposent fermement au Riz Doré comme élément de solution à la carence en vitamine A (VAD) endémique en Asie du Sud et du Sud-Est, même s'ils reconnaissent que de multiples approches (éducation nutritionnelle, suppléments en capsules, etc.) seront nécessaires pour résoudre ce problème de santé publique.

 

De plus, ils s'opposent au brinjal Bt, une aubergine génétiquement modifiée résistante à des insectes, commercialisée au Bangladesh en 2013. Les adoptants du brinjal Bt ont bénéficié d'une multiplication par six de leurs revenus nets par rapport aux variétés non génétiquement modifiées et d'une réduction de 61 % de leurs dépenses en pesticides – deux gains substantiels pour les agriculteurs pauvres en ressources du Bangladesh. Il est donc difficile de concilier l'antipathie à l'égard de ces technologies – surtout de la part de ceux qui prétendent défendre des modes d'agriculture plus durables, plus justes et plus axés sur les personnes.

 

Tout cela ne veut pas dire que les pratiques agro-écologiques ne présentent aucun avantage. Dans certaines circonstances, elles pourraient compléter d'autres solutions agricoles modernes qui offrent de réels avantages aux agriculteurs. En outre, pour relever le double défi de nourrir une population mondiale croissante tout en préservant la biodiversité, nous devons dépasser les contraintes des dualismes qui codifient les systèmes de production comme le biologique et le conventionnel comme des entités statiques. Au contraire, nous devons rechercher des solutions gagnant-gagnant qui combinent le meilleur des deux mondes. Par exemple, les cultures génétiquement modifiées résistantes à des insectes peuvent être intégrées dans les systèmes biologiques – réduisant encore davantage le besoin de pulvérisations de pesticides – ou compléter des régimes diversifiés de lutte intégrée contre les parasites.

 

Pour aller de l'avant, nous ne pouvons pas faire progresser de manière significative le débat sur la production alimentaire sans mettre fin aux fixations dogmatiques sur les technologies et les pratiques de production. Nous devons nous recentrer sur des solutions inclusives et pragmatiques qui ne sont pas ancrées dans des idéologies alimentaires et agricoles restrictives.

 

L'établissement de systèmes alimentaires durables et robustes nécessitera davantage d'options, et non moins, en particulier pour les agriculteurs les plus pauvres du monde. Les défis que nous cherchons à résoudre sont complexes et exigent l'humilité de comprendre qu'il n'y a pas une seule façon idéale de les aborder. Il est important que nous abandonnions la rhétorique paternaliste qui empêche les petits exploitants du Sud d'accéder aux technologies et les pratiques qui leur permettraient de sortir de la faim et de la pauvreté, et de les adopter.

 

____________

 

Joshua Muhumuza est un étudiant de troisième cycle en communication scientifique et sanitaire à l'Université de Manchester, au Royaume-Uni. Il a précédemment travaillé dans le domaine de la sensibilisation et du plaidoyer politique auprès de l'Organisation Nationale de Recherche Agricole de l'Ouganda.

 

Source : Agroecology will make poor farmers poorer - Alliance for Science (cornell.edu)

 

Cet article a été initialement publié dans Success Afrika.

 

 

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