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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'agro-écologie doit être fondée sur la réalité, et non sur le romantisme, estiment des experts

13 Octobre 2020 , Rédigé par Seppi Publié dans #Agro-écologie

L'agro-écologie doit être fondée sur la réalité, et non sur le romantisme, estiment des experts

 

Joan Conrow*

 

 

 

L'agro-écologie a un rôle à jouer dans la transformation de l'agriculture – tant que le mouvement ne l'emporte pas sur la science ou les besoins des agriculteurs.

 

Tel est le consensus des trois panélistes qui ont animé le webinaire « Agroecology: What is it, anyway? » (l'agro-écologie  : en fait, qu'est-ce que c'est ?) organisé par l'Alliance pour la Science Live.

 

L'agro-écologie est à la fois une science et un mouvement, qui fusionne l'objectif général de maintien de la biodiversité dans les systèmes agricoles au profit des agriculteurs avec une idéologie qui vise à transformer la société et les systèmes alimentaires. Ses composantes ont été définies par l'Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) dans Les 10 éléments de l’agroécologie.

 

« La FAO est une organisation puissante et nous devrions nous préoccuper de la version de l'agro-écologie qu'elle essaie de promouvoir », a déclaré M. Nassib Mugwanya, doctorant à l'Université d'État de Caroline du Nord et ancien agent de vulgarisation en Ouganda [voir ici son excellente analyse]. « Et nous devrions nous inquiéter si c'est celle qui limite les options à la disposition des agriculteurs ».

 

L'agro-écologie a démontré son potentiel en Éthiopie, où ses principes de diversification au niveau du paysage ont aidé les agriculteurs à lutter contre le foreur des tiges, et au Zimbabwe, où elle a été utile pour lutter contre la légionnaire d'automne (fall armyworm FAW), a déclaré M. Frédéric Baudron, un agronome des systèmes du CIMMYT basé au Zimbabwe.

 

« Ce n'est pas une solution miracle », a-t-il déclaré, mais elle a un rôle à jouer en guidant les agriculteurs dans la lutte contre les parasites, l'intégration des cultures et du bétail et l'utilisation des arbres pour améliorer les sols et la résistance au climat.

 

M. Mugwanya a déclaré que les gens du Nord ne réalisent souvent pas que les pratiques agricoles actuellement employées par la plupart des petits exploitants africains ne sont pas très différentes de celles qui sont encouragées par l'agro-écologie, en termes de cultures intercalaires, de conservation des semences, de paillage et d'utilisation d'un minimum d'intrants.

 

« Où est la nouveauté par rapport à ce que le mouvement essaie de promouvoir ? » s'est-il interrogé. « Je vois quelque chose qui se fait depuis des siècles. »

 

Cependant, ces méthodes traditionnelles ne peuvent pas toujours résoudre les nombreux problèmes auxquels les agriculteurs sont confrontés, comme les maladies virales qui ont dévasté le manioc, un aliment de base pour des millions de personnes. « Les anciennes méthodes ne permettent pas de résoudre ces problèmes, alors que le génie génétique offre des progrès prometteurs », a-t-il déclaré. « Je vois une opportunité pour l'agro-écologie de s'associer aux nouvelles avancées de la science. Nous devons discuter de la façon dont nous pouvons le faire sans ruiner l'agro-écologie. »

 

Mme Pamela Ronald, phytologue à l'Université de Californie, Davis, a déclaré que les pratiques durables, telles que celles promues par l'agro-écologie, peuvent aider à réduire l'utilisation d'intrants nocifs et à identifier « des alternatives aux pesticides qui peuvent être très toxiques pour les agriculteurs et leurs familles ». D'autres objectifs notables sont la promotion de la fertilité des sols, la gestion des systèmes de culture en termes de soutien de la diversité génétique, l'amélioration de la sécurité alimentaire des agriculteurs et le soutien des moyens de subsistance ruraux.

 

En tant que généticienne, elle aborde la question sous l'angle de « comment pouvons-nous développer des semences qui contribuent aux objectifs plus larges de l'agro-écologie ? » Par exemple, Mme Ronald a cité le brinjal Bt, une aubergine génétiquement modifiée qui offre une résistance inhérente à certains insectes nuisibles. Il a aidé les petits exploitants agricoles du Bangladesh à réduire considérablement leur utilisation de pesticides tout en améliorant les rendements.

 

M. Mugwanya a noté qu'il existe « un consensus scientifique presque général » sur l'intérêt d'optimiser les différents composants d'un système biologique pour améliorer les rendements. S'il est d'accord avec l'idée que « la nature, si elle est bien gérée, vous donnera le meilleur », il pense également que la technologie peut être compatible avec les objectifs d'un système agro-écologique.

 

M. Baudron, qui a écrit sur l'utilisation de la mécanisation pour aider les agriculteurs d'Afrique subsaharienne à réussir, a déclaré qu'une des limites à l'adoption généralisée de l'agro-écologie est qu'elle tend à exiger plus de main-d'œuvre, qui « n'est pas abondante dans les systèmes agricoles africains. Je pense que c'est souvent une idée fausse ».

 

Et parce qu'elle est tellement spécifique à un site, la diffusion de l'agro-écologie – transférer ce qui a été appris dans une région à d'autres endroits – est également un défi, sont convenus les panélistes.

 

« C'est une bonne chose pour les agriculteurs qui sont vraiment passionnés par l'agriculture », a déclaré M. Baudron, expliquant que certains agriculteurs du monde en développement ne le font pas par choix, mais parce qu'ils n'ont pas d'alternatives économiques. D'autres ne veulent pas passer par l'apprentissage adaptatif nécessaire pour mettre en œuvre l'agro-écologie avec succès ou faire face au risque de mauvaises récoltes lors de la transition vers ses pratiques.

 

« Les agriculteurs aborderont toujours leurs activités agricoles en termes de solutions pratiques », a déclaré M. Mugwanya. « En tant que vulgarisateur, mon rôle est d'aider les agriculteurs à naviguer entre les différentes options, ce qui les aidera à prendre une décision en connaissance de cause. C'est là que nous devons avoir une conversation et dépasser les idéologies pour voir les défis contextuels auxquels les agriculteurs sont confrontés aujourd'hui, quelles sont les options sur la table et comment nous pouvons les exploiter dans des systèmes holistiques... pas pour exclure certaines solutions mais considérer tout ce que les agriculteurs peuvent adopter dans leurs exploitations. »

 

Les panélistes sont convenus que l'impulsion donnée à la mise en œuvre de l'agro-écologie dans le monde en développement semble être davantage le fait du mouvement que des agriculteurs eux-mêmes.

 

« Les agriculteurs sont très, très occupés et ils n'ont souvent pas le temps de s'impliquer dans des débats idéologiques », a déclaré Mme Ronald. « La plupart des agriculteurs sont très préoccupés par le défi que représente la production et chaque écosystème spécifique va être différent. »

 

« Les agriculteurs du Sud ont une vie très dure et n'ont pas beaucoup de temps pour se soucier du débat idéologique », a déclaré M. Baudron. « L'idéologie se situe bien plus au niveau des donateurs et de la société que des agriculteurs eux-mêmes, qui ne pensent qu'à la flexibilité et au pragmatisme. »

 

Les panélistes sont convenus que ce pragmatisme incite les agriculteurs à adopter toute une série de pratiques dans leurs exploitations et qu'il n'existe pas d'approche « taille unique » de l'agriculture. « Il faut des pratiques complémentaires », a déclaré M. Baudron, et « être explicite sur les compromis à faire pour modifier un système ».

 

M. Mugwanya a déclaré qu'en tant que scientifique, il n'était pas difficile pour lui d'accepter l'agro-écologie comme « un hybride de l'agriculture et de l'écologie ». Mais il a commencé à remettre en question certains des aspects que le mouvement ajoutait à cette définition fondamentale. « C'est un terme très complexe et il peut signifier différentes choses pour différentes personnes », a-t-il noté.

 

Ce n'est pas seulement vrai pour l'agro-écologie, mais aussi pour d'autres méthodes d'agriculture, notamment industrielles et conventionnelles.

 

« Nous sommes allés tellement loin dans l'utilisation de ces termes », a déclaré Mme Ronald. « Il est très compliqué de définir l'agriculture de cette manière. C'est très confus. Nous devons peut-être nous éloigner de ces termes et réfléchir un peu plus à la manière de rendre l'agriculture plus durable dans tous les systèmes. Ils ne reflètent pas la diversité des exploitations agricoles dans le monde ».

 

M. Baudron a reconnu que ces termes sont devenus « en grande partie un débat sémantique » qui « sème la confusion chez les consommateurs, les agriculteurs et même les scientifiques ».

 

Au lieu d'être trop figé sur les termes, les panélistes sont convenus que l'accent devrait être mis sur la minimisation des conséquences sociales et environnementales négatives de l'agriculture et sur la garantie que les agriculteurs disposent d'une alimentation suffisante et nutritive.

 

 

Des Occidentaux bien nourris

 

M. Mugwanya a noté que les défenseurs de l'agro-écologie ne se rendent peut-être pas compte qu'en Afrique, l'agriculture conventionnelle signifie quelque chose de différent de ce qu'elle est aux États-Unis ou en Europe et que s'ils vont en Afrique pour « prêcher contre » le conventionnel, « peut-être que vous combattez ce que vous voulez ».

 

« Tous les mouvements commencent par des causes et de bonnes intentions », a fait remarquer M. Mugwanya. « Au fond, il s'agit de promouvoir la prise en charge de la justice sociale – je ne me battrais pas contre une telle cause. Le problème se pose lorsque les mouvements deviennent vraiment radicaux en termes d'idéologie. Ce que j'ai vu en Afrique, la version dominante de l'agro-écologie est pour moi comme une extension idéologique des gens privilégiés et bien nourris de l'Occident qui courent dans des endroits comme l'Afrique et utilisent tous ces récits, par exemple : "nous ne voulons pas que l'Afrique passe par les problèmes de l'Occident", en oubliant les problèmes contextuels que l'Afrique a. J'ai vu les problèmes que vous avez ici [aux États-Unis] et la nourriture n'en fait pas partie. D'où je viens, je peux vous dire que je sais ce que cela signifie de se passer de repas. Nous devons avoir une conversation très honnête et nuancée sur le type d'agro-écologie que vous essayez de promouvoir. Et vous souciez-vous vraiment des besoins des agriculteurs, de les sortir de la pauvreté, de les aider à avoir plus de nourriture, ou vous souciez-vous de votre idéologie ? »

 

« Il est important d'avoir des systèmes qui s'adaptent aux contextes locaux », a déclaré M. Baudron, qui travaille avec les agriculteurs en Afrique depuis 19 ans. « Ce n'est pas une vie romantique pour eux. C'est un système qui a besoin d'une réelle transformation. »

 

Mais cette transformation doit adopter une approche pragmatique, a déclaré M. Baudron, notant qu'il a conseillé aux agriculteurs d'utiliser des semences et des intrants améliorés, « mais j'ai toujours l'impression que ce que je fais répond en fait à la définition de l'agro-écologie ».

 

 

Le rôle de la science

 

« Fred et d'autres obtiennent des données pour savoir ce qui fonctionnera pour les agriculteurs », a observé Mme Ronald. « Si nous écartons les preuves scientifiques, nous n'aurons pas un système de transformation durable. Nous devons soutenir la recherche scientifique et une approche humanitaire et compatissante envers les agriculteurs. Ne pas se contenter de promouvoir des idéologies qui ne sont pas liées aux besoins des agriculteurs sur le terrain. »

 

M. Baudron a déclaré que le financement « influence la science elle-même ». Il a noté qu'il y a beaucoup moins d'investissements dans la science agro-écologique que dans d'autres approches de l'agriculture et « c'est un manque de financements qui doit être reconnu ».

 

M. Mugwanya a déclaré qu'il avait écrit une critique de la version dominante de l'agro-écologie, qui « me semble être un mot de remplacement pour la lutte contre les pratiques industrielles ». Cependant, il estime qu'elle « s'écarte de la définition scientifique de l'agro-écologie, qui ne dit pas que l'on peut exclure telle ou telle chose » dans sa pratique. « Ceux qui ont les voix les plus fortes, le côté idéologique, ont tendance à pousser un point de vue très conservateur », qui restreint les options et peut créer des fardeaux supplémentaires pour les femmes.

 

Selon M. Baudron, c'est une bonne chose que les gens soient attentifs au système alimentaire et à sa contribution aux différentes crises mondiales. Il comprend la méfiance à l'égard de l'agriculture industrielle, les préoccupations concernant la qualité des aliments et le bien-être des animaux et le désir d'une agriculture plus localisée.

 

« L'agro-écologie pourrait être une solution », a-t-il déclaré. « Mais peut-être que l'application stricte de l'agro-écologie ne conduira pas au type de transformation nécessaire pour nourrir le milliard » de personnes qui souffrent actuellement de la faim dans les pays du Sud.

 

Les agriculteurs et la société ont besoin d'une combinaison de technologies pour apporter la véritable transformation que tout le monde souhaite, sont convenus les panélistes.

 

_____________

 

* Source  : https://allianceforscience.cornell.edu/blog/2020/10/agroecology-must-be-based-in-reality-not-romanticism-panelists-agree/

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J
Rien à voir avec l'article :<br /> <br /> Étude sur plusieurs milliers d'enfants et de mères : la plupart des pesticides qu'on retrouve dans le sang sont des pesticides a usage domestique (anti moustique, anti puces, anti mites,...) Donc pas agricoles....<br /> <br /> Vers 1h20:00<br /> https://youtu.be/kUIBrRmsuSI (l'esprit sorcier, fête de la science)
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J
Très intéressant, merci!
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