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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Alternatives économiques et « nouveaux OGM » : ne pas en avoir ou... n'en avoir pas... et quo vadis ANSES ?

28 Avril 2024 Publié dans #critique de l'information, #NGT, #ANSES

Alternatives économiques et « nouveaux OGM » : ne pas en avoir ou... n'en avoir pas...

 

et quo vadis ANSES ?

 

 

Comment écrire un article « objectif » ? C'est simple : d'abord définir l'« angle » et donc le poser dans le chapô et l'étayer par une sélection judicieuse des contributeurs avec une mise en valeur soignée de leurs arguments. C'est un peu comme certaines décisions de justice : on écrit la conclusion, puis on construit le dispositif.

 

Alternatives économiques a publié le 12 avril 2024 « Faut-il craindre les nouveaux OGM ? » sous la signature de M. Ivan Logvenoff et – curieusement, ou peut-être pas – dans une rubrique « écologie ».

 

En chapô, donc :

 

« L’Europe veut trancher rapidement sur les nouvelles techniques d’édition génomique qui produiraient des "nouveaux OGM". Or, les données permettant de juger de leur intérêt sont très lacunaires. »

 

Passons rapidement sur le fait que l'Europe voulait trancher rapidement, et que c'est plutôt mal emmanché. Au Parlement Européen, le dossier est bloqué en attendant la nouvelle législature.

 

Passons aussi sur les imperfections comme ce : « L’Union européenne interdit toute culture de ce type [les OGM, les produits d'une transgenèse] sur son sol à des fins commerciales depuis 2001 ». Cela n'est pas anodin, car cela induit une approche négative des « nouveaux OGM » chez le lecteur. Non, les OGM ne sont pas interdits. Mais une réglementation dont l'expérience a montré qu'elle était ubuesque, couplée à la veulerie politique, a fait que personne ne s'aventure plus à demander une autorisation de mise en culture d'un OGM. Ce qui n'empêche pas d'en importer des produits.

 

C'est la suite qui est intéressante : elle témoigne d'un état d'esprit qui sous-tend ce qu'il faut bien appeler la « décadence » européenne. Nous n'avancerons que quand nous serons absolument sûrs que c'est le bon choix – et, bien sûr, qu'il n'y a absolument aucun risque. Et les preuves ne seront jamais suffisantes.

 

 

Selon la recette du pâté d'alouette

 

Comment faire, pour l'article ? Simple ! On convoque à la barre cinq « témoins » en soutien de la thèse de l'attentisme – qui sera comme pour les « vrais » OGM issus de la transgenèse sine die ou ad vitam æternam – ou du rejet.

 

Ce sont donc, dans l'ordre d'apparition :

 

  • M. Brice Laurent, directeur sciences sociales, économie et société à l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) ;

     

  • M. Yves Bertheau, présenté comme chercheur au Muséum d’Histoire Naturelle et ancien membre du Haut Conseil des Biotechnologies – il est à la retraite et a été auditionné par l'ANSES en tant que conseiller scientifique de France Nature Environnement ;

     

  • M. Legrand Saint-Cyr, chercheur pour l’Anses ;

     

  • M. Bernard Lignon, chargé de mission réglementation et qualité des produits biologiques du SYNABIO, le syndicat des entreprises bio agroalimentaires ;

     

  • Mme Sylvie Colas, « agricultrice spécialiste du dossier au sein de la Confédération paysanne ».

 

Il y a aussi deux références, outre le lien vers le communiqué de presse de l'ANSES du 6 mars 2024, « Nouvelles techniques génomiques : l’Anses appelle à une réglementation adaptée », et son lien vers le fameux «Avis et rapport de l'Anses relatif aux méthodes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux et des enjeux socio-économiques associés aux plantes obtenues au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques (NTG) » (et quatre annexes) :

 

 

Cependant, il faut « bien » établir un équilibre... selon la recette du pâté d'alouette. Le rôle de faire-valoir a été dévolu à une unique personne :

 

  • Mme Rachel Blumel, directrice de l’Union Française des Semenciers (UFS), « qui réunit 118 entreprises de recherche et de production de semences ».

 

Et du côté des références, il y a un communiqué simplement évoqué, sans lien, d'une trentaine d'organisations agricoles. C'est « Le Parlement européen fait le choix de l’innovation et de la science avec un accès aux NGT encadré », d'un « Collectif Innovation Variétale ».

 

 

Les risques des nouvelles techniques

 

Fort logiquement, il y a des arguments qui vont dans les deux sens... selon la recette du pâté d'alouette

 

On aurait attendu M. Yves Bertheau sur le terrain des risques, des effets hors cible.

 

Cette question a été assez vite évacuée par le journaliste Ivan Logvenoff. D'entrée de jeu, il est affirmé que « […] trop de données manquent sur les bénéfices et les risques de ce qu’on appelle les "nouveaux OGM». C'est l'affirmation du chapô, « intérêt » étant ici en quelque sorte précisé.

 

Puis, par référence, semble-t-il, au rapport de l'ANSES et toujours par le journaliste :

 

« Parmi les principales conclusions [du rapport de l'ANSES] : ces nouvelles techniques ne posent pas de questions fondamentalement différentes sur les risques sanitaires et environnementaux par rapport aux OGM, avec notamment des inquiétudes sur les fuites de matériel génétique dans l’environnement. Quant à l’intérêt économique, il est très incertain. »

 

Et voilà le travail ! Le public a été tellement abreuvé par le passé de descriptions apocalyptiques (j'exagère un peu, mais pas beaucoup) des effets des « vrais » OGM... il ne peut donc que trembler à l'évocation des NGT.

 

Et voilà le travail (bis). Une déclaration à l'emporte-pièce qui évite d'aborder un rapport de l'ANSES qui est – disons – nuancé, tout en admettant l'existence de cas où on se situera au même niveau que pour les produits de l'amélioration des plantes « conventionnelle ».

 

 

Les NGT ? Aucun ou guère d'intérêt (allégué)...

 

M. Yves Bertheau est plutôt le contradicteur de Mme Rachel Blumel. Voici l'échange (avec quelques conditionnels journalistiques, mais aussi des indicatifs étonnants) :

 

« Loin d’être révolutionnaires, les NGT seraient, selon la directrice de l’UFS, "un outil supplémentaire dans la palette du sélectionneur et donc un atout pour maintenir la compétitivité des semenciers français". L’Hexagone, rappelle Rachel Blumel, est le premier producteur européen, et le premier exportateur mondial de semences.

 

L’argument est contestable : l’interdiction des OGM il y a plus de vingt ans n’a justement pas remis en cause cette place de leader. Ce serait même le contraire. "Nos exportations sont basées sur le fait que nos produits sont non OGM", défend Yves Bertheau. Loin d’être avantageuse, l’autorisation des NGT pourrait donc plutôt nuire aux semenciers français, en risquant de pousser les acheteurs à se fournir ailleurs. »

 

C'est « she said, he said », elle a dit, il a dit. Mais on peine à trouver le propos de la première contestable. Le propos du second est assurément dénué de pertinence. C'est ici le grand écart entre le factuel et la (mauvaise) science fiction.

 

Les NGT seront autorisés – ou non – au niveau européen, pour le marché principal des semenciers français. Et rien n'empêcherait un pays tiers refusant les variétés issues de NGT de s'approvisionner en France pour des semences de variééts non issues de NGT.

 

Et il y a un sophisme taille XXL :

 

« "Chez la tomate, près de 4 000 gènes sont associés à la résistance à la sécheresse et à une meilleure utilisation de l’eau, et ce ne sont pas les mêmes qui sont mis en jeu à toutes les étapes du développement de la plante. Dire que vous allez être capables de tous les contrôler est un mensonge !", s’agace Yves Bertheau. »

 

Qui a dit que nous allons être capables... ?

 

Le même sophisme de l'homme de paille est mis en œuvre s'agissant du Collectif Innovation Variétale – qui inclut, oyez ! oyez! la FNSEA :

 

« "Changement climatique, transition des pratiques agricoles, rémunération des agriculteurs, baisse des ressources et accès à une alimentation de qualité" : dans un communiqué envoyé début février, les semenciers, les interprofessions et les syndicats spécialisés de la FNSEA n’hésitent pas à faire des nouveaux OGM la solution miracle à tous les problèmes de l’agriculture. »

 

Est-ce honnête ? Voici la citation dans son contexte (et rien ne vient en soutien de « la solution miracle » alléguée) :

 

« Dans un contexte de tensions agricoles inédites et révélatrices d’une véritable crise dans plusieurs pays européens, les députés européens ont pris en compte la réalité du terrain qui a besoin de solutions innovantes et d’alternatives pour relever les enjeux d’aujourd’hui et de demain : changement climatique, transition des pratiques agricoles, rémunération des agriculteurs, baisse des ressources et accès à une alimentation de qualité au juste prix pour les consommateurs ... »

 

 

Et l'agriculture biologique ?

 

M. Bernard Lignon n'était pas non plus sur le terrain attendu. Il a dénoncé

 

« une "pression maximale" sur les élus pour accélérer le calendrier. Comme le rappelle l’expert, "sur le règlement bio, il a fallu plus de six ans pour se mettre d’accord." ».

 

La critique est recevable, mais pas la comparaison.

 

L'argument attendu est par contre venu de Mme Sylvie Colas :

 

« Dernier problème de taille : suivre de près les produits modifiés est essentiel pour garantir la qualité des autres produits, mais la détection des NGT en laboratoire est assez onéreuse.

 

"Les filières bio, dont le cahier des charges impose l’absence d’OGM, sont très inquiètes", alerte Sylvie Colas, agricultrice spécialiste du dossier au sein de la Confédération paysanne. »

 

Cet argument fallacieux – celui des « contaminations » éventuelles, en fait imaginaires – est vraiment indéboulonnable ! Le cahier des charges de l'agriculture biologique impose une obligation de moyens.

 

 

Quo vadis ANSES ?

 

Mais ce sont les propos de M. Brice Laurent qui doivent nous interpeller. En voici le florilège, avec le contexte :

 

« Il y a beaucoup de controverses, et peu d’expériences concrètes pour les trancher [les bénéfices et les risques] ».

 

C'est vrai pour les controverses. Comment pourrait-il en être autrement ? La question des NGT est un juteux fond de commerce pour les lobbyistes du rejet de la génétique moderne, ainsi que pour certaines mouvances politiques.

 

« "Il s’agit d’un vrai débat de société : à qui les NGT profiteront-ils ?", s’interroge Brice Laurent. Parmi les gagnants les plus évidents figurent les semenciers, très actifs sur ce dossier à Paris comme à Bruxelles. »

 

Il est sans doute trop compliqué de comprendre que si les semenciers devaient être les (grands) gagnants, il faudrait que l'aval – les agriculteurs, l'industrie agroalimentaire, les distributeurs et in fine les consommateurs – y trouvent aussi leur compte. On est là au niveau zéro (mais hélas efficace) du lobbyisme anti-OGM et maintenant anti-NGT.

 

Il en va de même pour l'argument suivant :

 

« "La propriété intellectuelle pourrait entraîner des logiques de concentration, avec certains produits qui deviendraient dominants et qui empêcheraient des acteurs de rentrer sur le marché", prévient Brice Laurent.

 

En réalité, le système juridique, notamment de propriété intellectuelle et le droit de la concurrence, est parfaitement outillé pour répondre à ce genre d'hypothèse, du reste fort irréaliste.

 

Terminons tout de même ce florilège sur une note plus positive :

 

« "La question se pose non seulement des règles nécessaires pour assurer la coexistence entre culture NGT et non NGT, mais également du coût de cette coexistence, et des acteurs qui le supporteront", note Brice Laurent, de l’Anses.

 

Non, la question des règles ne se pose plus : elles ont été établies en relation avec les « vrais » OGM.

 

Oui, le coût est une véritable question, dans un cadre sans doute plus large que ce qui est envisagé par les détracteurs des NGT, leurs alliés et... leurs idiots utiles.

 

Ce qui est en jeu est en effet, d'une part, la possibilité de déployer des variétés issues de NGT et, d'autre part, le coût d'un tel déploiement.

 

Ainsi, les contraintes matérielles et économiques d'un système imposant des filières séparées peut signifier la mort d'un progrès génétique profitable sur le plan agronomique, économique, environnemental, nutritionnel et social.

 

Il s'agit d'un coût que l'on veut mettre à la charge de l'agriculture majoritairement pratiquée, « conventionnelle », celle qui nous nourrit et alimente des marchés d'exportation qui contribuent à notre position géostratégique dans un monde (re-)devenu dangereux et à notre balance commerciale.

 

 

Le consentement à payer

 

Et pour terminer cet article, un morceau de bravoure stupéfiant, qui implique encore l'ANSES :

 

« Une méta-analyse de 2005 a montré que la méfiance pour les OGM se traduit statistiquement par un consentement à payer inférieur de 30 % environ par rapport aux produits conventionnels. Les produits NGT, analyse l’Anses, "ne pourraient donc entrer sur le marché qu’à un prix inférieur", incarnant une nouvelle catégorie d’aliments à bas coût. »

 

Une méta-analyse vieille de 19 ans ? Sur de « vrais » OGM, sans autre précision sur leur nature ? Sur la base d'études diverses, dont certaines fondées sur des cas tout à fait hypothétiques, et des études sur des cas présentant ou non un avantage tangible pour le consommateur ? Pépouze une inférence sur ce qu'il adviendrait des produits issus de variétés NGT ?

 

Et pour finir – là on s'adresse au journaliste – une appréciation peu flatteuse de produits qui seraient à coût moindre pour le consommateur.

 

Si l'étude de Jason Lusk et al. articule bien un chiffre de quelque 30 % – le supplément que les gens seraient prêts à payer pour du non-GM (en moyenne avec une variabilité importante) – elle est bien plus nuancée. En voici le résumé (découpé) :

 

« Ces dernières années, une multitude de recherches ont été consacrées à l'estimation de la demande des consommateurs pour les aliments génétiquement modifiés, un élément d'information important pour élaborer une politique publique appropriée. Pour examiner ce corpus de travaux, une méta-analyse a été réalisée sur 25 études qui, dans l'ensemble, font état de 57 évaluations pour les aliments génétiquement modifiés.

 

Les résultats indiquent que 89 % de la variation des estimations existantes de la valeur des aliments génétiquement modifiés peut être expliquée par un modèle économétrique qui contrôle (a) les caractéristiques de l'échantillon de consommateurs étudiés, (b) la méthode d'évaluation des consommateurs et © les caractéristiques de l'aliment évalué.

 

Chacun de ces facteurs a un effet statistiquement significatif sur les primes estimées pour les aliments non génétiquement modifiés.

 

Les résultats de cette étude résument efficacement la littérature existante sur la demande des consommateurs pour les aliments génétiquement modifiés et permettent de créer quelques faits stylisés qui ne dépendent pas des résultats d'une étude particulière. Cette étude illustre également l'effet des choix méthodologiques sur les estimations d'évaluation et présente un modèle qui permet aux chercheurs et aux décideurs politiques de générer rapidement des mesures d'évaluation à utiliser dans les analyses de marketing ou de coûts/bénéfices. »

 

 

Quo vadis ?

 

Quo vadis, Alternatives économiques ?

 

 

 

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H
Il n'y a pas lieu de s'étonner. <br /> Alternatives économiques est un journal très à gauche, proche de Libération et très militant. <br /> Ils s'opposent aussi à l'énergie nucléaire, défendent la sobriété presque jusqu'à l'éclairage à la bougie et donnent dans l'hystérie climatique et la renaturation ou destruction du travail humain millénaire dans nos paysages.
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M
Bonjour, encore une fois ou, nous la France er l'UE garderons et accroitrons un retard immense pour notre sécurité alimentaire au profit des semenciers et importateurs de pays ou ces nouvelles techniques arrivent. Encore une fois les lobbyistes obscurantistes auront gagné !
Répondre
U
Vive l'Ignorance !