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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Des prédateurs naturels comme alternative aux pesticides ? C'est merveilleux pour Radio France (et d'autres, cornaqués par une AFP militante)

20 Mars 2024 Publié dans #critique de l'information, #Pesticides, #Article scientifique

Des prédateurs naturels comme alternative aux pesticides ? C'est merveilleux pour Radio France (et d'autres, cornaqués par une AFP militante)

 

 

(Source)

 

 

Petite dissection d'un article de Radio France et, avec le concours involontaire mais apprécié de M. Patrick Vincourt, ancien directeur de recherche de l'INRA, un article scientifique.

 

 

Un journaliste de Radio France a découvert une publication scientifique et s'est engouffré dans ce qui semble être une brèche : « Des prédateurs naturels plutôt que des pesticides : une étude démontre l'efficacité du "biocontrôle" contre les nuisibles dans l'agriculture ».

 

Ou plutôt : il a produit un article original à partir d'une dépêche de l'Agence France Presse (AFP) – conforme au militantisme de la boutique, l'auteur de cette dépêche ayant jugé bon de digresser d'entrée : « Effondrement de la biodiversité, pollution des eaux et des sols, risques pour la santé : l'utilisation massive des pesticides chimiques en agriculture a des conséquences négatives bien établies [...] ».

 

En chapô de Radio France :

 

« Cette étude montre que le "biocontrôle" et les mécanismes naturels permettent aux agriculteurs de réduire la population de nuisibles et d'améliorer les rendements. »

 

Et c'est formidable :

 

« Ces animaux [les prédateurs] vont s'attaquer aux pucerons et autres nuisibles qui ravagent les cultures. D'après les calculs effectués par des chercheurs brésiliens, ils permettent de réduire la population de nuisibles de 73% en moyenne. Ils entraînent également une augmentation des rendements des cultures de 25%. »

 

C'est tellement formidable que naît immédiatement un soupçon : comment se fait-il que les agriculteurs utilisent des pesticides – en l'occurrence des insecticides, en tant que de besoin, au moins ressenti – si Dame Nature est si bonne ?

 

L'article se poursuit par la citation d'un propos qui ne peut être que de M. Thibaut Malausa, « spécialiste du "biocontrôle" à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) » :

 

« Si on veut vraiment travailler dans l'intérêt de l'agriculteur, en termes de coût-bénéfices, c'est très clairement vers ces méthodes-là qu'il faut aller. Il faut essayer de gérer cette biodiversité fonctionnelle pour que les prédateurs naturels soient plus nombreux, qu'ils aient plus d'impact sur les bioagresseurs. On peut rajouter éventuellement des mélanges fleuris, des haies... »

 

Voilà, dans toute sa splendeur, le discours de l'agrologie – qui est à l'agronomie ce que l'astrologie est à l'astronomie selon M. Philippe Stoop, inventeur du concept.

 

La fameuse étude, c'est « Predators control pests and increase yield across crop types and climates: a meta-analysis » (les prédateurs contrôlent les ravageurs et augmentent les rendements dans tous les types de cultures et sous tous les climats : une méta-analyse) de Gabriel X. Boldorini, Matthew A. Mccary, Gustavo Q. Romero, Kirby L. Mills, Nathan J. Sanders, Peter B. Reich, Radek Michalko et Thiago Gonçalves-Souza, une équipe de chercheurs brésiliens, états-uniens et tchèques.

 

En voici le résumé (découpé) :

 

« Les pesticides ont des conséquences négatives bien documentées sur la lutte contre les ravageurs des cultures, et les prédateurs naturels constituent des alternatives et peuvent fournir un service écosystémique en tant qu'agents de lutte biologique. Cependant, une grande incertitude subsiste quant à la possibilité d'appliquer largement ce type de contrôle biologique, en particulier compte tenu des variations climatiques actuelles et du changement climatique.

 

Ici, nous avons réalisé une méta-analyse centrée sur des études de terrain avec des prédateurs naturels afin d'explorer de manière générale si et comment les prédateurs peuvent contrôler les ravageurs et, par conséquent, augmenter les rendements.

 

Nous avons également comparé les études portant sur la suppression des ravageurs par un seul ou plusieurs prédateurs et sur l'influence du climat sur la lutte biologique.

 

Les prédateurs ont réduit les populations de ravageurs de 73 % en moyenne et ont augmenté le rendement des cultures de 25 % en moyenne.

 

Il est surprenant de constater que l'impact des prédateurs ne dépend pas de la présence d'une seule ou de plusieurs espèces de prédateurs.

 

La saisonnalité des précipitations a été une influence climatique clé sur la lutte biologique : plus la saisonnalité augmente, plus l'impact des prédateurs sur les populations de ravageurs s'accroît.

 

Dans l'ensemble, la contribution positive des prédateurs à la lutte contre les ravageurs et à l'augmentation des rendements, et la cohérence de ces réponses face à la variabilité des précipitations, suggèrent que le biocontrôle pourrait jouer un rôle important dans la lutte contre les ravageurs et l'augmentation des disponibilités alimentaires à mesure que les régimes de précipitations de la planète deviendront de plus en plus variables. »

 

Il s'agit d'une méta-analyse combinant 86 études sur 28 espèces cultivées. À l'évidence, les résultats annoncés, en particulier sous forme de chiffres, dépendent des espèces en cause et de la manière de synthétiser les résultats. Et aussi des conditions dans lesquelles se sont déroulés les essais (un effet sur, par exemple, le rendement étant plus ou moins important selon la quantité de ravageurs et de prédateurs présents, l'agressivité des ravageurs et la dynamique de la prédation). Leur valeur informative est nulle.

 

Mais ils sont appelés à un grand avenir dans les sphères anti-pesticides, etc.

 

 

 

 

M. Patrick Vincourt, ancien directeur de recherche de l'INRA, a mis le doigt sur un élément important sur X (ex-Twitter) en le pêchant dans les informations additionnelles et en citant un élément du texte de l'article.

 

 

 

 

Selon l'article,

 

« Il n'y a pas eu d'effet significatif des prédateurs sur les rendements céréaliers (bien que l'effet ait été positif), ce qui peut refléter le faible nombre d'études (n = 4) et de comparaisons par paires (k = 13). »

 

En ce qui me concerne, une autre explication, bien plus simple, est que la présence de prédateurs... n'a (peut-être) pas d'effet significatif (au sens d'important) sur les rendements...

 

M. Patrick Vincourt a poursuivi :

 

« Autrement dit : bien que la présence de prédateurs n'ait d'effet ni sur la productivité des céréales, ni sur toutes les cultures lorsqu'on prend en compte la proximité phylogénétique des espèces cultivées, on communique néanmoins sur un "positive […] top-down cascading effect" [sur le rendement].

 

Alors, moi aussi j'espère que les progrès du biocontrôle vont rendre possible une diminution de l'usage des pesticides de synthèse dangereux, mais je voudrais bien que les journalistes de @franceinfo lisent plus que le titre et le résumé avant de communiquer sur un article...

 

Et une dernière remarque : si la diminution des populations de ravageurs mise en évidence ... n'est pas associée à une augmentation de rendement, que faut-il en conclure ? Que la pression des ravageurs n'était pas assez forte dans les expérimentations de cette métanalyse ? »

 

Les auteurs ont trouvé surprenant que « l'impact des prédateurs ne dépend pas de la présence d'une seule ou de plusieurs espèces de prédateurs ». C'est aussi mon cas.

 

Ils ont produit un graphique pour les effets sur les populations de ravageurs mais pas – curieusement – sur les rendements.

 

 

 

 

Voici, enfin, le dernier paragraphe de fond de l'article (sans les références). Pensez-en ce que vous voulez...

 

« Nous démontrons ici les effets descendants [top-down] des prédateurs résidents sur les populations de ravageurs, qui se répercutent en cascade sur le rendement des cultures. En outre, nous montrons qu'une seule espèce de prédateur résident peut lutter contre les ravageurs au moins aussi bien que plusieurs espèces. Ce résultat est important car il souligne l'intérêt de conserver les espèces de prédateurs naturels dans les systèmes de culture. Plus important encore, nos résultats confirment que les prédateurs résidents peuvent agir comme un tampon contre le changement climatique, en fournissant des services de contrôle biologique dans les systèmes de culture. En effet, les projections climatiques mondiales prévoient que les précipitations deviendront plus variables dans certaines régions, avec des changements dans la fréquence et l'intensité des précipitations. Nous soutenons donc que les études futures devraient intégrer les effets en cascade de la lutte antiparasitaire descendante, médiés par le climat, afin de mieux comprendre les processus écologiques qui maintiennent ce service écosystémique clé. Cela peut aider à développer des stratégies optimales pour la gestion de la lutte biologique afin d'atténuer les effets du changement climatique sur les systèmes agricoles et la production alimentaire. Notre méta-analyse suggère que, même dans les régions à forte saisonnalité des précipitations et indépendamment de la présence naturelle d'une ou plusieurs espèces, les prédateurs sont largement efficaces pour lutter contre les ravageurs et augmenter les rendements dans une variété de systèmes de culture. Bien que la mise en œuvre de la lutte biologique à l'échelle nécessaire pour augmenter la production agricole afin de réduire la faim dans le monde soit un défi de taille, nos résultats indiquent que le déploiement de la lutte biologique doit être envisagé avec soin. »

 

Quant à France Info et son journaliste, un utilisateur de X a écrit :

 

« Avant de dire n'importe quoi sur l'Agriculture venez interroger la communauté #FrAgwtw @Fragritwittos […] L'agribashing passe aussi par ce genre d article... »

 

On ne peut qu'approuver. Notons cependant que la production de ce journaliste ne semble pas refléter un militantisme.

 

L'article en cause a aussi bénéficié du concours d'un directeur de recherche de l'INRAE. Il nous est impossible de savoir ce qui s'est dit, au-delà de ce qui a été retenu pour l'article. Le fait est, cependant, qu'il n'y a aucun élément dans l'article qui mette en perspective et relativise les allégations figurant dans l'article scientifique.

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M
Ca sent le Lyssenkisme à plein nez.<br /> Qu'on applique ce genre de théories imbéciles et on va se retrouver dans la situation du Sril-Lanka.
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