« Mégabassines » : la proposition de loi LFI instituant un moratoire retirée
C'était prévisible : la proposition de loi de la France Insoumise « visant à instaurer un moratoire sur le déploiement des méga bassines » n'a pas passé la rampe à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée Nationale. Elle a été retirée en séance plénière. Mais les travaux en commission sont instructifs.
Je vous avais entretenu – peut-être « bassiné » – sur une proposition de loi de la France Insoumise, portée par Mme Clémence Guetté, dans « Mégabassines » : que d'air, que d'air brassé à l'Assemblée Nationale ! » .
Rappelons le texte de l'article unique proposé (dossier législatif) :
« Dans un contexte de changement climatique et en raison des impacts sur la ressource en eau et de leurs conséquences écologiques, économiques et sociales, il est instauré un moratoire suspendant la délivrance des autorisations pour la construction de méga bassines telle que prévue par les articles L. 214 1 et suivants du Code de l’environnement.
Dans l’attente d’une réforme législative en la matière, ce moratoire est instauré pour une durée de dix ans à compter de la promulgation de la présente loi, y compris aux projets en cours d’instruction. »
Ce texte a été examiné par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire le mardi 21 novembre 2023.
Sans surprise, il a été rejeté. Les propositions d'amendement qui tendaient à le modifier ou à le compléter sont tombées, ont été retirées ou encore rejetées. Le texte était soutenu par les composantes de la NUPES, avec plus ou moins d'enthousiasme, et rejeté par les autres groupes.
Le Rapport N° 1902 contient le rapport de Mme Clémence Guetté et le compte rendu des débts de la commission.
On ne sera pas surpris à la lecture du rapport de Mme Clémence Guetté, très orienté.
Elle est même allée chercher des arguments du côté du Chili où « les méga-bassines ont favorisé l’appropriation de la ressource en eau par de grosses exploitations agricoles », foi de Courrier International et Reporterre, et en Espagne, qui vient de subir une période de sécheresse extraordinaire (comme si cela était pertinent pour la France).
On nous aura évité une référence à Franco pour les aménagements hydrologiques espagnols, mais pas à Pinochet pour ceux du Chili.
Selon le rapport, « [l]’hydrobiologiste M. Christian Amblard a confirmé, lors de son audition, que "les régions d’Espagne où l’on a fait le plus d’aménagements pour contraindre le cycle de l’eau sont les régions qui aujourd’hui souffrent le plus de la sécheresse". » Formidable lapalissade : ces régions sont celles où on souffrait déjà du manque d'eau avant les aménagements ! Et aussi entourloupe, car on cherche à faire croire que ce sont les aménagements qui provoquent ou accroissent la sécheresse.
Dans son déplacement en Espagne, Mme Clémence Guetté aura rencontré, notamment, deux députés et coordinateurs de Izquierda Unida en Aragon et le président de la chambre d’agriculture de Saragosse qui, c'est sans doute un hasard, est aussi « syndicaliste agricole membre de la Via Campesina ».
L'agriculture qui nous nourrit n'est pas non plus épargnée, les « méga-bassines » ayant, comme on sait (ironie), vocation à servir une forme d'agriculture que ces gens bien nourris vilipendent. Mais cela n'a pas empêché Mme Clémence Guetté de visiter deux exploitations... bio.
Les agriculteurs payent l'eau... Mais « [l]es bassines entretiennent en effet artificiellement la consommation d’eau des agriculteurs irrigants sans inciter aux économies nécessaires pour partager justement la ressource. »
L'ignorance des principes de base de l'agronomie et de l'économie est aussi au rendez-vous : « Elles sont également coûteuses pour l’agriculteur, qui contribue aux coûts de construction, de maintenance et de fonctionnement, et doivent être rentabilisées à ce titre ; ce qui entraîne des effets pervers en incitant à la surconsommation d’eau afin d’entretenir des cultures à forte valeur ajoutée, en grande partie destinées à l’exportation. »
Ah, l'exportation... et le maïs... « Le maïs représente plus du tiers des surfaces irriguées, alors même que 40 % du maïs produit en France est exporté. »
Citons encore M. Christian Amblard : il a « dénoncé "une fausse solution, y compris à très court terme", ayant pour effet de "retarder l’évolution des systèmes agricoles vers des modes de production agroécologiques respectueux de l’environnement et de la santé humaine" ». Tout est faux dans cette déclaration, et on se demande ce que la santé humaine vient y faire.
Pour cette « évolution », LFI a son propre vocabulaire : « bifurcation » du « modèle agricole » (cette dernière expression étant largement répandue). Vers quoi ? « L’enjeu de l’eau est l’exemple le plus complet de la nécessité d’une réponse collectiviste à l’urgence écologique au XXIe siècle. Elle se mêle avec les urgences sociale, démocratique et pour la paix qui rendent nécessaires le partage, la planification et la décision collective. »
Quittons les fantasmes de Gosplan. Les auditions sont aussi quelque peu surprenantes.
La FNSEA et les Irrigants de France étaient incontournables, tout comme la Confédération Paysanne, supporter enthousiaste sinon co-organisatrice du mouvement anti-bassines. La Coordination Rurale, pourtant deuxième syndicat d'agriculteurs, a été ignorée.
À part ça, France Nature Environnement, Bassines Non Merci, la Chambre d'Agriculture des Deux-Sèvres et les deux ministères concernés (agriculture et environnement) – l'Agence de l'Eau Loire-Bretagne ayant produit une contribution écrite.
La présentation du rapport laisse quelque peu à désirer s'agissant d'une « Table ronde de chercheurs ». Trois noms sont précédés par un tiret : Mmes Florence Habets et Emma Haziza et M. Christian Amblard... D'autres chercheurs notoirement anti-bassines devaient avoir piscine.
Pour ceux qui ont une vision plus réaliste des problèmes on a sans doute perdu les adresses. Deux membres du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ont certes été auditionnés, mais rien n'a été retenu dans le rapport.
La liste se poursuit avec Mme Gabrielle Bouleau, chercheuse en science politique au Lisis, à l’INRAE, spécialiste des politiques de l’eau. Impossible de dire si elle a été membre de la table ronde ou auditionnée séparément. Pour les aspects agronomiques de la question de l'irrigation ? Personne de l'INRAE (mais, vu ses dérives, on ne s'en plaindra pas vraiment) !
Notons que Mme Emma Haziza apparaît comme « hydrologue et conférencière, présidente de l’association Mayane ». En fait, Mayane est une sorte de conglomérat avec une série d'entreprises.
Les débats en commission ont été plutôt courtois, même s'il y a eu quelques échanges acrimonieux. Manifestement, il y a une fraction de notre personnel politique qui a du mal à « encaisser » la présence de députés d'un certain groupe politique pourtant élus par une majorité de la population dans leurs circonsriptions respectives...
Ce qui doit nous intéresser davantage, ce sont les propositions d'amendement, diverses et variées. Mais en faire une analyse détaillée serait trop fastidieux. Contentons nous dès lors de la proposition CD 35 du groupe – ou sous groupe de la NUPES – des Verts.
Après l'article unique de la proposition LFI qui prévoyait un moratoire de 10 ans, les Verts voulaient ajouter un article prévoyant l'interdiction de construire des « réserves de substitution destinées à l’irrigation » de plus de 20.000 mètres cubes.
Là, on n'est plus dans le domaine des « mégabassines », mais plutôt dans celui des pataugeoires : quelque six ou sept piscines olympiques ou un terrain de football pour matchs internationaux sous trois mètres d'eau, de quoi irriguer quelques hectares.
Au diable, donc, la rationalité législative !
Mais c'est assorti, non seulement de l'arrêt des projets de construction non encore achevés ou non encore instruits, y compris ceux qui auraient été autorisés selon les règles applicables.
Et pour faire bonne mesure, « [l]es réserves de substitution destinées à l’irrigation construites doivent être démantelées avant le 1er janvier 2026 ».
Dans les propositions CD 25 à 28 du même groupe – en fait une composante de la CD 35 avec des variations, par exemple sur la date limite pour la démolition – le terme utilisé est « déconstruites »... Touchant euphémisme !
Notons – pour rire – un extrait de l'exposé des motifs de la proposition CD 35 : « Deuxièmement, il interdit les bassines nouvelles, et organise une construction des bassines existantes, étant donné l'impact de ces bassines sur notre environnement, l'état de la ressource, et l'accaparement de l'eau qui y est attaché. »
Non, pas la construction... le démantèlement, c'est-à-dire le gaspillage de fonds publics et privés au nom de l'idéologie, la remise en cause des systèmes de culture et de la viabilité économique des exploitations des irriguants et, en dernière analyse, de notre souveraineté alimentaire.
Ces gens aspirent à gouverner...