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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'agriculture régénératrice : battage médiatique ou espoir ?

16 Janvier 2024 Publié dans #Agriculture de conservation, #Agriculture régénératrice

L'agriculture régénératrice : battage médiatique ou espoir ?

 

Pr Mario Caccamo*

 

 

 

 

Alors que l'intérêt pour l'agriculture régénératrice atteint des sommets dans la chaîne de valeur, l'Institut National de Botanique Agricole (NIAB) du Royaume-Uni prépare le terrain pour un effort de recherche majeur visant à fournir la science nécessaire à une mise à l'échelle commerciale de l'agriculture régénératrice, en combinant le leadership de la recherche dans la science du sol, les essais variétaux, l'agronomie des rotation, l'agronomie de précision, les cultures de couverture, la science des données et l'efficacité de l'utilisation de l'eau. Une approche progressiste, fondée sur la science, embrassant l'innovation et exploitant la puissance des données à grande échelle, offre la possibilité d'une production agricole rentable et à haut rendement allant de pair avec la réduction des impacts environnementaux et climatiques de l'agriculture, écrit le professeur Mario Caccamo.

 

 

Les grands producteurs d'aliments et de boissons, les détaillants, les ONG et même les grandes banques adoptent rapidement et en grand nombre l'agriculture régénératrice comme solution pour une approche agricole plus respectueuse de l'environnement, avec les avantages qui en découlent pour l'amélioration de la qualité des sols et de l'eau, le renforcement de la biodiversité, la réduction de l'utilisation d'intrants de synthèse et la conservation des ressources naturelles.

 

À l'heure où l'on s'inquiète de plus en plus de l'impact du changement climatique et de la guerre en Ukraine sur les prix alimentaires mondiaux et la sécurité de l'approvisionnement, on peut se demander quel serait l'impact d'un passage à grande échelle aux pratiques d'agriculture régénératrice sur notre capacité de production alimentaire nationale, sans pour autant augmenter la superficie des terres cultivées.

 

Les essais menés par Rothamsted Research depuis 2017, par exemple, impliquant 24 systèmes de culture différents combinant une variété de pratiques régén-ag, ont jusqu'à présent montré qu'à court terme, la réduction du travail du sol entraîne invariablement une baisse des rendements des cultures, et que les stratégies sophistiquées de gestion des sols ne peuvent pas être considérées à elles seules comme la solution à court terme pour une production alimentaire plus durable.

 

De même, une étude américaine réalisée en 2022 et portant sur la cartographie par satellite de plus de 90.000 champs dans six États de la Corn Belt a révélé que certaines cultures de couverture courantes peuvent réduire de plus de 5 % les rendements des cultures commerciales suivantes, en fonction de facteurs tels que la rotation et le type de sol. Cette constatation dissuade certains agriculteurs américains d'adopter ces pratiques et souligne l'importance d'une approche scientifique pour la mise en œuvre des principes de régénération agricole.

 

La définition de l'agriculture régénératrice a fait l'objet de nombreux débats ces derniers temps. L'absence de définitions claires a conduit certains à suggérer qu'il s'agissait d'une simple opération d'écoblanchiment, et d'autres à affirmer que l'agriculture biologique est la désignation appropriée (voir, par exemple, « Organic: the benchmark for truly regenerative farming » (l'agriculture biologique : la référence pour une agriculture véritablement régénératrice))

 

Mais pour moi, l'un des principaux atouts de l'agriculture régénératrice réside précisément dans son absence de prescription et dans sa flexibilité, à condition que ses principes directeurs soient respectés.

 

Ces principes directeurs sont fondés sur des pratiques agricoles bien établies, dont beaucoup ont été étudiées au Royaume-Uni dans le cadre de programmes de recherche agronomique appliquée depuis de nombreuses années, par exemple en termes de rotations plus longues et plus diversifiées, d'utilisation de cultures de couverture, de systèmes de culture avec ou sans labour (façons culturales), et d'amélioration de la santé des sols.

 

L'agriculture régénératrice se distingue donc fondamentalement de la production biologique certifiée par le fait qu'elle peut intégrer un large éventail de technologies et d'intrants, pour autant qu'ils contribuent à ses principes directeurs.

 

De nombreux agriculteurs progressistes à qui j'ai parlé de leur expérience de l'introduction de l'agriculture régénératrice sur une base commerciale sont catégoriques sur le fait qu'elle ne serait pas viable actuellement sans l'utilisation judicieuse de pesticides tels que le glyphosate, par exemple. Ils insistent également sur le fait que la régén-ag devrait permettre l'accès à de nouvelles technologies de sélection telles que l'édition de gènes, afin de maintenir ou d'augmenter la productivité tout en réduisant la dépendance aux intrants chimiques. En revanche, le glyphosate et l'édition de gènes sont explicitement exclus de la certification biologique.

 

Alors que nous pleurons la disparition récente du Dr MS Swaminathan, l'un des pères de la Révolution Verte, il est important que nous gardions à l'esprit les énormes succès de la science et de la technologie agricoles.

 

Il est absolument inacceptable que 10 % de la population mondiale se couche aujourd'hui le ventre vide. Mais si nous revenons à l'époque où Borlaug, Swaminathan et leurs collègues ont jeté les bases du grand bond en avant de la productivité agricole qui a débouché sur la Révolution Verte, ce chiffre était de 30 %.

 

Non seulement l'innovation agricole a réussi à suivre la croissance massive de la population, mais elle a également contribué à réduire la faim et à allonger l'espérance de vie à un rythme remarquable.

 

Face aux défis du changement climatique et à la nécessité de cultiver des produits plus sains, plus respectueux de l'environnement et plus rentables, la question que nous devons nous poser est la suivante : pouvons-nous intensifier durablement la manière dont nous produisons des aliments ? Les technologies et les stratégies qui sous-tendent la restauration des sols et l'agriculture régénératrice se situent à l'intersection de ces défis.

 

Ainsi, alors que l'engouement pour l'agriculture régénératrice suscite un intérêt significatif et croissant dans l'ensemble de la chaîne de valeur, on manque encore de données à l'échelle commerciale pour éclairer les meilleures pratiques, ainsi que de données scientifiques indépendantes qui inciteraient les agriculteurs à opérer la transition à un rythme et à une échelle adaptés.

 

Comme l'a récemment fait remarquer l'ancien directeur de Teagasc, le professeur Gerry Boyle, « ...les affirmations ronflantes ne suffisent pas, et des données scientifiques solides sont nécessaires pour évaluer le pouvoir de l'agriculture régénératrice ».

 

En bref, il est nécessaire de fournir les données scientifiques qui permettront de développer et d'étayer la crédibilité des systèmes agricoles régénératifs, en reconnaissant que les pratiques visant à augmenter la matière organique du sol, à éviter l'érosion et à réduire les perturbations du sol sont tout à fait compatibles avec l'intensification durable et l'agriculture de précision.

 

Le NIAB considère que l'agriculture régénératrice partage avec l'intensification durable et l'agriculture de précision l'objectif d'optimiser la productivité – produire plus avec moins – tout en protégeant et en améliorant l'état de la terre et de l'environnement.

 

En ce sens, l'agriculture régénératrice n'est ni un battage médiatique ni un espoir, mais simplement un mode d'exploitation agricole raisonnable qui devrait être étayé par des données scientifiques solides.

 

C'est pourquoi le NIAB prépare le terrain pour un effort de recherche majeur axé sur la présentation de la science qui sous-tend l'agriculture régénératrice, en s'appuyant sur notre indépendance et notre leadership en matière de recherche dans les domaines de la science du sol, des essais variétaux, de l'agronomie des rotations, de l'agronomie de précision, des cultures de couverture, de la science des données et de l'efficacité de l'utilisation de l'eau.

 

L'objectif du NIAB pour ce programme ambitieux n'est pas seulement d'être l'interlocuteur privilégié pour des conseils indépendants sur des questions telles que la sélection des variétés, les cultures de couverture, les rotations et l'agronomie, mais aussi de développer les paramètres qui permettront d'évaluer et de suivre dans le temps la durabilité des pratiques d'agriculture régénératrice, en termes d'utilisation des ressources et d'impact sur l'environnement.

 

Cette approche de la collecte et de l'assimilation des données, axée sur les résultats, sera essentielle non seulement pour comprendre et stimuler les meilleures pratiques au niveau de l'exploitation, mais aussi pour informer les clients et, en fin de compte, les consommateurs de l'impact comparatif sur la durabilité de chaque unité de nourriture produite, qu'il s'agisse d'une miche de pain, d'une barquette de fraises ou d'un sac de pommes de terre.

 

Nous prévoyons également d'intégrer les objectifs de la régén-ag dans nos activités de génétique et d'amélioration des plantes, par exemple en améliorant les performances et la viabilité des options de culture de légumineuses fixatrices d'azote, en étudiant de nouvelles possibilités de culture et même en explorant le potentiel des cultures de couverture pour qu'elles deviennent une source supplémentaire de revenus dans la rotation, comme c'est déjà le cas aux États-Unis avec le développement du CovercressTM modifié génétiquement comme source d'huile de haute valeur et d'aliments pour animaux.

 

Je suis persuadé qu'une approche progressiste et scientifique de la régénération agricole, fondée sur l'innovation et l'exploitation de la puissance des données à grande échelle, offre la possibilité de produire des cultures rentables et à haut rendement tout en réduisant l'impact de l'agriculture sur l'environnement et le climat.

 

_______________

 

Le professeur Mario Caccamo est directeur général du NIAB, une organisation britannique spécialisée dans les sciences végétales. Informaticien, il a plus de 20 ans d'expérience dans la recherche en sciences de la vie et le big data, notamment dans des projets spécifiques visant à appliquer les dernières technologies de séquençage de l'ADN et les méthodes bioinformatiques pour faire progresser la compréhension scientifique de la génétique des cultures et de l'interaction des cultures agricoles avec leur environnement.

 

Science for Sustainable Agriculture (SSA) est une nouvelle plate-forme politique et de communication qui offre un point central d'information, de commentaire et de débat sur l'agriculture et la production alimentaire modernes et durables. Soutenu par un groupe consultatif indépendant composé de responsables politiques, scientifiques et industriels issus de divers secteurs et horizons, SSA a pour objectif de promouvoir une conversation fondée sur des preuves scientifiques plutôt que sur l'idéologie. Science for Sustainable Agriculture offre une plate-forme aux personnes et organisations partageant les mêmes idées pour défendre et expliquer le rôle vital de la science et de la technologie dans la sauvegarde de notre approvisionnement alimentaire, la lutte contre le changement climatique et la protection de l'environnement naturel, ainsi que pour exposer, commenter et remettre en question les positions ou décisions politiques non scientifiques en rapport avec l'agriculture durable.

 

Source : MarioCaccamo3 | SSA (scienceforsustainableagriculture.com)

 

Ma note : « ... à court terme, la réduction du travail du sol entraîne invariablement une baisse des rendements des cultures » ? Je me suis laissé dire que l'important, c'est le conseil et l'accompagnement.

 

Voir aussi : Agriculture de conservation des sols - Pour Jordan et Théophile, « le semis direct, on ne peut pas y arriver tout seul » - Grandes cultures, Économie et gestion - Agri Mutuel (agri-mutuel.com)

 

 

 

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A
100% d'accord avec ce Monsieur!<br /> Le pb de ces nouvelles approches techniques que l'on appelle "agriculture régénérative" ou "agriculture de conservation" ou...." ", est toujours le même pour toutes les pratiques agronomiques: La diversité des milieux pédo climatique de cultures.<br /> Rien que sur un même département Français on peut avoir 4 à 5 milieux différents ou la technique de production optimum ne sera pas la même pour une simple culture de blé du faites des condition de sols , de la météo...<br /> On ne gère pas un sol naturellement à 50% d'argile qu'un sol a 10%.<br /> <br /> En générale se qui ce dessine est néanmoins une baisse du travail du sol (pas de la même façon entre 10 et 50% d'argile) , la couverture permanente des sols pour une intensification de la production de biomasse et une intensification de la vie/fonctionnement naturelle des sols et un allongement/diversification des rotations.<br /> <br /> Bon là il y en a déjà qui coince car j'utilise le mot "Intensification"...Et pourtant c'est ce qu'il faut absolument faire intensifié les systèmes et fonctionnements naturels . On doit produire!<br /> <br /> Si effectivement on peut voir des baisses de productions dans la mise en place de ces nouvelles pratiques qui sont souvent compensées par des baisses de charges (intrant, énergie,..) pour le revenu de l'agriculteurs dans un premier temps , on constate aussi de plus en plus de systèmes qui une foi installés , avec des modification des sols (structure, RFU, vie du sol avec retour entre autre des vers de terre de façon importante..) augmente voir déplafonne les rendement .<br /> Exemple en ACS avec Frédérique Thomas qui sur sa ferme avait des sols à l'origine avec des RFU (Réserve Facilement Utilisable : en eau) de 50 à 60 mm et qui au bout de 25 ans à des RFU de 160 à 200mm. Un potentiel de maïs (sans irrigation) à 80qx qui est passé a plus de 100qx ...
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H
Excellent commentaire.