Les protestations n'ont-elles servi à rien ? Un rapport depuis Bruxelles
Arnold Krämer chez Willi l'agriculteur*
Le 24 mars 2024, la question suivante a été posée sur ce blog : « Et maintenant, les protestations ont-elles été vaines ? » et six jours plus tôt, la présidente de la Commission Européenne, Mme Ursula von der Leyen, avait déjà été invitée à décréter un moratoire sur le travail législatif de l'UE.
Les deux articles et les discussions qui s'en sont suivies ont exprimé l'inquiétude, la colère, mais aussi l'impuissance, l'incompréhension et la désinformation ainsi que le manque de transparence des processus de décision politique.
M. Arnold Krämer (sans parti) a récemment eu l'occasion, dans le cadre d'un voyage d'étude de trois jours à Bruxelles organisé par le FDP de Basse-Saxe, de se faire une idée très actuelle du fonctionnement de l'UE ainsi que des discussions actuelles sur le développement des domaines politiques importants pour la politique agricole.
Voici son rapport (subjectif).
Outre la visite incontournable du Parlement Européen, l'ordre du jour comprenait plusieurs exposés bien coordonnés avec des discussions à la représentation du Land de Basse-Saxe auprès de l'UE. Des lobbyistes classiques (Deutscher Bauernverband, Euroseeds, Bundesverband des Deutschen Lebensmittelhandels) ainsi que le député européen FDP Jan-Christoph Oetjen, un collaborateur de la Commission Européenne et un collaborateur du Parlement Européen (tous deux autrichiens) y ont présenté leur travail et leurs expériences. Parmi les thèmes abordés figuraient notamment la PAC à partir de 2028, la problématique du loup, le carbon-farming, la stratégie farm-to-fork, la politique commerciale, mais aussi les changements actuels dans les priorités du travail de la Commission.
Dans l'exubérance d'une période prétendument « dorée », l'UE avait proclamé le 11 décembre 2019 un « nouveau monde vert » comme objectif de développement. Dans le cadre du Green Deal, le secteur de l'agriculture et de l'alimentation doit notamment :
-
réduire de 50 % l'utilisation de pesticides,
-
réduire de 30 % l'utilisation d'azote,
-
tout en augmentant la part du bio dans la production agricole de l'UE à 25 %.
La durabilité des processus économiques doit être augmentée et la biodiversité améliorée. La protection du climat et la « sauvegarde du monde » figuraient en tête de la liste des souhaits et déterminaient l'agenda. On pensait pouvoir imposer aux consommateurs des coûts plus élevés et, en fin de compte, des prix plus élevés.
Pour le secteur agroalimentaire en particulier, la « stratégie Farm-to-Fork » a été formulée avec une série de mesures individuelles. Certaines d'entre elles ont certes été supprimées, mais d'autres sont déjà en cours de mise en œuvre ou sont entrées en vigueur, comme la loi européenne sur la chaîne d'approvisionnement ou le règlement européen sur la déforestation.
La direction générale de l'agriculture n'était d'ailleurs PAS représentée lors de l'élaboration et de la formulation du Green Deal. Et lors de la mise en œuvre ultérieure, le commissaire polonais à l'agriculture, représentant du parti PIS (ostracisé), est resté absolument inefficace.
Peu de temps après l'annonce du Green Deal, la célèbre Université Agricole néerlandaise de Wageningen, l'Université de Kiel, le Département Américain de l'Agriculture, entre autres, ont attiré l'attention sur les importantes pertes de productivité et de bien-être engendrées par cette stratégie.
Et puis la vraie vie a frappé !
Covid, Ukraine, migrations, énergie, inflation, absence de croissance économique, montée en puissance des partis de droite, protestations des agriculteurs. Et maintenant, il y a aussi des élections au niveau de l'UE. Et partout dans les États membres, on vote aussi, souvent avec « la rage au ventre ».
C'est pourquoi la liste des priorités du Green Deal est actuellement revue et corrigée, un processus qui semble assez opaque. Cela est lié aux processus législatifs qui sont en principe toujours organisés en trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil des ministres.
-
Les propositions de la Commission concernant la réduction des produits phytosanitaires (réglementation SUR) ont été majoritairement rejetées par le Parlement, puis complètement retirées par la Commission. La nouvelle Commission présentera une nouvelle proposition.
-
La loi sur la renaturation de l'UE n'a obtenu qu'une très courte majorité au Parlement, mais elle est restée bloquée au Conseil des États membres et n'a donc pas pu obtenir de majorité.
-
Les réglementations sur la mise en jachère dans le cadre des aides de la PAC sont suspendues par l'UE.
-
Le Parlement européen s'est prononcé en faveur des « nouvelles techniques génétiques » [ma note : il s'est à nouveau saisi du dossier et la proposition sera à mon avis rejetée].
-
L'UE est un « paquebot » qui devra faire face à d'autres majorités après les élections parlementaires européennes de juin : selon les prévisions actuelles (à l'échelle de l'UE), les socialistes, les verts et les libéraux perdront nettement des voix. Les conservateurs, les libéraux et la droite occuperont alors environ 65 % des sièges au Parlement. La Commission sera composée différemment et le Conseil présentera également d'autres majorités par le biais d'élections nationales.
-
Les priorités de la politique européenne se sont déjà nettement déplacées en 2024. Il s'agit désormais :
-
de la compétitivité vis-à-vis des pays tiers ;
-
de la défense ;
-
du financement multinational de l'UE ;
-
du soutien de la PAC à partir de 2028
Ce que j'ai aussi retenu (notamment) :
-
L'UE veut modifier le statut de protection du loup, mais pour cela, une décision du Conseil doit donner le feu vert à la Commission. La situation juridique (Convention de Berne, annexe 2 et directive FFH) et la « situation du lobbying » sont quelque peu confuses et sont interprétés et utilisés différemment par les Etats membres.
-
Les commissaires (chaque pays en présente un) étaient politiquement faibles lors de la dernière période parlementaire, le commissaire à l'agriculture en particulier.
-
La direction générale de l'agriculture au sein de la Commission a certes eu jusqu'à présent le plus d'argent de l'UE à distribuer (avec une tendance à la baisse), mais elle est peu influente au sein de l'ensemble de l'appareil et pourrait même être totalement supprimée après les prochaines élections.
-
30.000 lobbyistes pour 10.000 organisations déclarées tentent déjà, selon les situations, de se faire entendre au niveau de la Commission, mais surtout au niveau du Parlement et du Conseil. Dans le cas de la loi sur la déforestation, par exemple, le lobbying a échoué (notamment parce que la viande bovine européenne, par exemple, est soumise à une obligation de prouver que l'alimentation du bétail ne provient pas de surfaces déforestées).
-
L'Union européenne des agriculteurs veut empêcher que le règlement de l'UE sur la taxonomie (preuve que la production est écologiquement durable), en vigueur depuis 2022, soit étendu et appliqué également en ce qui concerne l'agriculture.
-
La Fédération Allemande du Commerce Alimentaire (toutes les grandes enseignes de la distribution alimentaire en sont membres) déplore le changement de cap actuel de l'UE.
-
Une partie du mécontentement des Allemands et de leurs démêlés avec la bureaucratie bruxelloise est due au fait que l'Allemagne exige toujours des réglementations détaillées très étendues, alors que d'autres États membres souhaitent s'en tenir à des directives qui sont ensuite interprétées dans l'intérêt national, tandis que l'Allemagne « en rajoute » encore un peu ou un peu plus au niveau national.
-
Pour contrôler le respect des règles européennes existantes, l'UE s'appuie largement sur les rapports des autorités nationales. Il n'est pas totalement absurde de supposer que les autorités allemandes jouent le jeu de l'UE (au sens impersonnel du terme) afin de faire pression au niveau national, notamment dans le domaine de l'environnement. Le scandale (c'est ainsi qu'il faut bien le qualifier) de la mise en œuvre de la directive-cadre sur l'eau (DCE) en Allemagne est représentatif de cette supposition.
L'UE, qui a commencé dans les années 1950 comme un projet de paix européen, échouera probablement un jour ou l'autre dans son ambition actuelle d'intégrer la plupart des États européens et d'organiser la cohabitation de tous les hommes et acteurs économiques de la manière la plus uniforme et détaillée possible, avec des exigences élevées en matière de sécurité, de justice et de morale, dans le respect de l'État de droit. Moins serait plus. Mais qui veut et peut organiser cela ?
Les articles invités représentent l'opinion de l'auteur.
_____________
/image%2F1635744%2F20240419%2Fob_fa2905_capture-bauer-willi.jpg)
* Source : Proteste umsonst ? Bericht aus Brüssel - Bauer Willi
/image%2F1635744%2F20150606%2Fob_b8319b_2015-06-06-les-champs-de-l-au-dela-tom.jpg)