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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Insecticides et spermatozoïdes : autopsie d'un désastre médiatique sur fond d'article scientifique sujet à critiques

30 Novembre 2023 Publié dans #critique de l'information, #Article scientifique

Insecticides et spermatozoïdes : autopsie d'un désastre médiatique sur fond d'article scientifique sujet à critiques

 

 

La photo d'illustration de Slate. Légende : « Des produits mauvais pour la fertilité. | Shad Arefin Sanchoy via Unsplash »

 

 

Selon une méta-analyse ayant exploité 20 articles scientifiques (seulement...) la différence moyenne [...] de la concentration de sperme entre les hommes adultes plus ou moins exposés aux insecticides était de moins 30 %... Ah oui, mais il s'agit des seuls insecticides organophosphorés et carbamates. Ah oui, mais l'intervalle de confiance se rapproche de la non-signification (-49 % – -10 %)... Ah oui, mais il y a quelques soucis... Ah oui, mais trois auteurs sont liés au sulfureux Institut Ramazzini...

 

La George Mason University, dont relève l'auteure principale publie un communiqué de presse critiquable, avec des déclarations anxiogènes... des médias s'engouffrent...

 

 

Slate : petite immersion dans un certain « journalisme »

 

La page d'accueil de mon ordinateur – MSN – m'a branché sur un article de Slate, « Les insecticides tuent aussi les spermatozoïdes ». Il a été « [r]epéré par Léa Polverini », ce qui signale une maladie endémique de la faune médiatique : le copier-paraphraser.

 

En chapô :

 

« Dans les champs ou via l'alimentation, l'exposition aux pesticides peut réduire la fertilité masculine. »

 

On appréciera la logique de la prose : les « insecticides » (en général, notons-le déjà à ce stade) du titre putaclic deviennent des « pesticides » dans le chapô... L'affirmation péremptoire du titre devient conjecturale dans le chapo... De l'excellent journalisme, donc.

 

On appréciera aussi la photo d'illustration, un montage propagandiste au mieux risible. On imagine le personnage traiter un champ plutôt immense (la photo a été recadrée) avec un pulvérisateur à dos...

 

Reproduisons encore le premier paragraphe qui a l'avantage de résumer le propos... et de fournir un lien :

 

« Au cours des cinquante dernières années, la concentration de spermatozoïdes a chuté de près de la moitié. D'après une récente étude publiée par des chercheuses dans la revue scientifique Environmental Health Perspectives, la diffusion massive des insecticides à travers le monde pourrait avoir sa part de responsabilités dans cette menace pour la fertilité masculine. 

 

Oh là là ! Une « diffusion massive », toujours « des insecticides »... Une « menace pour la fertilité »... Mais avec un semi-auxiliaire au conditionnel... On n'est jamais trop prudent !

 

 

Avez-vous dit « sciences », Futura-Sciences ?

 

Mais où Mme Léa Polverini a-t-elle pu trouver son inspiration ? Un autre article, plus ancien, en français a été publié par Futura-Sciences. Le titre – « Les chercheurs associent le déclin mondial du nombre de spermatozoïdes avec les insecticides » – est presque tout aussi putaclic : deux articles définis...

 

Et voici le chapô :

 

« Comment expliquer la baisse du nombre de spermatozoïdes de ces cinquante dernières années ? Les facteurs environnementaux (perturbateurs endocriniens, pesticides, radiations) constituent une piste intéressante. Une méta-analyse montre une association forte entre cette baisse et les insecticides comme le controversé glyphosate. »

 

Et bing ! Le glyphosate est un insecticide...

 

 

TF1 (dés-)Info insiste sur le glyphosate

 

TF1 Info a aussi publié un article le 20 novembre 2023 en l'assortissant d'une séquence vidéo certes relative aux problèmes de fertilité, mais sans lien avec le sujet traité. Le titre – « Infertilité : un lien "fort" entre les pesticides et la baisse des spermatozoïdes, selon une étude » – serait presque raisonnable... mais il y a « les pesticides »...

 

Les points forts :

 

  • Une analyse menée sur cinquante ans met en évidence l’effet néfaste d'insecticides répandus sur la fertilité masculine, dont le glyphosate.

     

  • Ces derniers contribueraient à faire diminuer nettement la concentration en spermatozoïdes.

 

Et dans le gloubi-boulga :

 

« Alors que la Commission européenne vient pour rappel de renouveler l’autorisation du glyphosate pour dix ans, Melissa Perry, premier auteur de l’étude s'alarme de ce lien de cause à effet désormais avéré : "Les preuves disponibles ont atteint un point où nous devons prendre des mesures réglementaires pour réduire l’exposition aux insecticides". »

 

 

Top Santé, top insanité...

 

Pour Mme Catherine Cordonnier, « [p]roductrice de contenu pour les rubriques médecine, médecines douces, nutrition, minceur », l'affaire est pliée. En titre : « Voici pourquoi vous avez moins de spermatozoïdes que votre grand-père » !

 

 

 

Qu'a-t-elle dans le ventre, cette étude ?

 

La source de l'excitation française semble être un articulet de Reporterre, « Plus de pesticides, moins de spermatozoïdes, prouvent 50 ans d’études », publié le 15 novembre 2023. Trois paragraphes, dont :

 

«  Il existe un lien "fort, robuste et constant" entre l’exposition aux insecticides et une faible concentration en spermatozoïdes dans le sperme. C’est ce que montre une méta-analyse publiée le 15 novembre dans la revue scientifique Environmental Health Perspectives»

 

La méta-analyse, c'est « Adult Organophosphate and Carbamate Insecticide Exposure and Sperm Concentration: A Systematic Review and Meta-Analysis of the Epidemiological Evidence » (exposition des adultes aux insecticides organophosphorés et carbamates et concentration dans le sperme : une revue systématique et une méta-analyse des preuves épidémiologiques) de Lauren B. Ellis et al.

 

En voici le résumé :

 

« Contexte :

 

Les preuves de l'impact négatif de l'utilisation contemporaine des insecticides sur la concentration en spermatozoïdes se sont multipliées au cours des dernières décennies ; toutefois, les méta-analyses sur ce sujet sont rares.

 

Objectifs :

 

Cette étude a évalué la force qualitative et quantitative des preuves épidémiologiques concernant l'exposition des adultes à deux classes d'insecticides d'usage contemporain – les organophosphorés (OP) et les carbamates N-méthyliques (NMC) – ainsi que leur impact sur la concentration en spermatozoïdes en utilisant des méthodes d'examen systématique et de méta-analyse robustes et reproductibles.

 

Méthodes :

 

Trois bases de données scientifiques (PubMed, Scopus et Web of Science), deux bases de données du gouvernement américain (NIOSHTIC-2 et Science.gov) et cinq sites Web d'organisations non gouvernementales ont été consultés pour trouver des études épidémiologiques primaires pertinentes publiées dans n'importe quelle langue jusqu'au 11 août 2022. Le risque de biais et la force des preuves ont été évalués conformément à la méthodologie d'examen systématique du Guide de navigation. Les tailles d'effet de la différence moyenne standardisée corrigée des biais ont été calculées et regroupées à l'aide d'un modèle de méta-analyse à effets aléatoires multivariés à trois niveaux avec estimation de la variance en grappes.

 

Résultats :

 

Sur 20 études, 21 populations étudiées, 42 tailles d'effet et 1.774 hommes adultes, la différence moyenne standardisée ajustée aux biais et regroupée de la concentration de sperme entre les hommes adultes plus ou moins exposés aux insecticides OP et NMC était de –0,30 (IC À 95 % : –0,49, –0,10) ; PSatt < 0,01). Des analyses de sensibilité et de sous-groupes ont exploré l'hétérogénéité statistique et validé la robustesse du modèle. Bien que l'estimation de l'effet regroupé ait été modifiée par le risque de biais, la classe d'insecticides, le contexte d'exposition et le contexte de recrutement, elle est restée négative dans toutes les méta-analyses. L'ensemble des preuves a été jugé de qualité moyenne, avec des preuves suffisantes d'une association entre une exposition plus élevée aux insecticides OP et NMC chez l'adulte et une concentration plus faible en spermatozoïdes.

 

Discussion :

 

Cette enquête exhaustive a permis de trouver des preuves suffisantes d'une association entre une exposition plus élevée aux insecticides OP et NMC et une concentration plus faible de spermatozoïdes chez les adultes. Bien que des études de cohortes supplémentaires puissent être utiles pour combler les lacunes des données, la force des preuves justifie la réduction de l'exposition aux insecticides OP et NMC dès à présent afin de prévenir les dommages persistants sur la reproduction masculine. https://doi.org/10.1289/EHP12678

 

 

Et donc...

 

Se fondant sur un article scientifique au titre explicite, les auteurs des articles décrits ci-dessus, et de quelques autres, se réfèrent sans vergogne qui aux insecticides, en général, qui même aux pesticides en général !

 

On arrive même à incriminer le glyphosate !

 

 

Qu'a-t-elle dans le ventre, cette étude ? (Bis)

 

L'article scientifique a été commenté dans « Invited Perspective: Risk of Bias Assessments, Target Trials, and the Strengths of Environmental Epidemiology » (point de vue invité : évaluations du risque de biais, essais ciblés et forces de l'épidémiologie environnementale) de Jonathan Huang.

 

Cet auteur en dit beaucoup de bien, mais sur le plan de la méthodologie des méta-analyses. Dont acte.

 

 

 

 

Comme d'autres méta-analyses, cette étude a le mérite de nous montrer l'ampleur d'un problème de la littérature scientifique : partant de 2.436 publications, les auteurs ont fini par n'en retenir que... 20.

 

Mais selon le tableau 1, qui décrit leurs caractéristiques générales, il y en aurait eu... 25. Et 27 selon la liste des origines géographiques.

 

Il y a sans doute eu de bonnes raisons pour l'extraordinaire élagage, mais il y en a qui interrogent, telles 116 études éliminées car affligées d'un mauvais protocole.

 

On rappellera ici que l'activisme est prompt à instrumentaliser toute étude qui va dans le sens de ses préjugés et, surtout, de son intérêt. Et n'a-t-on pas vu récemment des procès en partialité de la science réglementaire qui aurait écarté 95 % des études académiques sur le glyphosate ? Ici, on est à 99,18 % !

 

L'étude finale, comme indiqué dans le résumé, s'est donc limitée à 1.774 hommes adultes pour 21 populations étudiées et 42 tailles d'effet. Soit 84 personnes par population en moyenne, à répartir entre les cas et les témoins ou, selon les termes du résumé, les « plus ou moins exposés aux insecticides OP et NMC » – comprenne qui pourra.

 

Que faut-il penser des résultats ? Une différence moyenne standardisée […] « entre les hommes adultes plus ou moins exposés aux insecticides OP et NMC » de –0,30 (IC À 95 % : –0,49, –0,10) ? L'intervalle de confiance est proche de la non-signification.

 

Cela peut être visualisé dans le tableau ci-dessous.

 

 

 

 

 

Les auteurs écrivent dans leur discussion :

 

« Comme prévu, les expositions professionnelles ont montré une association plus forte avec une concentration de spermatozoïdes plus faible que les expositions environnementales. Ce résultat représente une relation dose-réponse étant donné que les travailleurs exposés en milieu professionnel subissent généralement des expositions plus élevées que la population générale.118 Il convient de noter que l'estimation de l'effet groupé dans les études sur l'exposition environnementale était faible et statistiquement non significative, ce qui peut être lié au nombre limité d'études disponibles sur l'exposition environnementale. Néanmoins, étant donné l'exposition généralisée à ces produits chimiques dans l'environnement,27 même une faible ampleur de l'effet pourrait avoir des conséquences sur la concentration de spermatozoïdes au niveau de la population. »

 

 

Et donc... (bis)

 

Et donc nos journaleux ont produit, ou plutôt reproduit, des articles anxiogènes sur la base d'une étude qui ne traite que des expositions à des insecticides organophosphorés et/ou carbamates occupationnelles ou « environnementales »... et qui fournit dans son résumé une différence moyenne globale, sans autres précisions.

 

Il faut donc entrer dans l'article pour s'apercevoir que les expositions « environnementales » n'ont pas produit un effet groupé statistiquement significatif.

 

Cela vient du reste avec une suggestion d'explication qui laisse sceptique, sinon pantois : les sept études concernées totalisaient en effet 1.774 personnes, soit 75 % de l'effectif total. Une explication bien plus vraisemblable est que l'absence de différence statistique est due à... une absence de différence statistique, liée à une absence d'effets sur le sperme.

 

Dans les études « environnementales », on a comparé les qualités du sperme en fonction, par exemple, de la teneur des urines en métabolites des insecticides. Il y en a une, danoise, sur 251 agriculteurs, ventilés en trois groupes selon leur consommation de produits biologiques. Les auteurs ont conclu que « l'apport alimentaire estimé de 40 pesticides n'entraîne pas de risque d'altération de la qualité du sperme ».

 

 

Ah, l'Institut Ramazzini...

 

L'étude ne précise pas les modalités de l'exposition professionnelle. Un monde sépare les applicateurs de pesticides utilisant un pulvérisateur à dos et ceux qui manipulent des bidons au moment de la préparation de la bouillie et traitent ensuite avec un tracteur à cabine fermée et climatisée.

 

Autrement dit, il y a le problème du danger, et celui du risque.

 

Est-il bien raisonnable de produire une recommandation de politique de santé publique – restrictive – dans le résumé quand la grande majorité des études ont été réalisées dans des pays en développement ?

 

Les auteurs de l'étude écrivent dans la partie « Résultats » de leur résumé : « L'ensemble des preuves a été jugé de qualité moyenne... ». C'est sans doute honnête. Ils ajoutent : « ...avec des preuves suffisantes d'une association... ». C'est plus discutable.

 

Mais la partie « Discussion » se fait péremptoire : « la force des preuves justifie la réduction de l'exposition aux insecticides OP et NMC dès à présent afin de prévenir les dommages persistants sur la reproduction masculine. » Mais cela vient tout de même avec une précaution oratoire : c'est « réduction » et pas « interdiction »... Cela reste néanmoins du domaine de l'entourloupe activiste. D'autant plus que, sauf erreur, il n'a pas été démontré de dommages « persistants ».

 

Si on peut se permettre un ad hominem, ce n'est pas surprenant. Deux des auteurs, émargent à l'Institut Ramazzini, à la sulfureuse réputation de producteur d'études anxiogènes : Daria Sgargi et Daniele Mandrioli, directeur de son centre de recherche sur le cancer Cesare Maltoni.

 

Quant à l'auteur principal, Melissa J. Perry, à l'impressionnant pédigrée, elle siège au comité scientifique de l'Institut Ramazzini.

 

Cela ne préjuge en rien de la qualité intrinsèque de l'étude, mais met la conclusion du résumé en perspective.

 

 

Ah, la communication institutionnelle...

 

La source du problème – au-delà de l'incompétence et du panurgisme des auteurs d'articles de médias – est à chercher prioritairement dans une communication institutionnelle qui amplifie les problèmes d'imprécision et surtout de dérive militante que nous avons identifiés dans l'article scientifique lui-même.

 

La George Mason University, dont relève l'auteure principale Melissa J. Perry, a produit un communiqué de presse intitulé : « New study finds association between insecticide exposure and lower sperm concentration in adult men » (une nouvelle étude établit un lien entre l'exposition aux insecticides et la baisse de la concentration de spermatozoïdes chez les hommes adultes).

 

Voilà la source de la référence aux insecticides en général. On peut aussi ergoter sur ce titre : si un lien a été établi, c'est par les études de base.

 

En chapô :

 

« Un examen systématique complet de 25 études réalisées sur une période de 25 ans révèle des preuves cohérentes d'un lien entre l'exposition aux insecticides et la baisse de la concentration de spermatozoïdes. »

 

Outre l'ambiguïté sur l'exposition aux insecticides («insecticide exposure », sans article), on a une nouvelle exagération sur les « preuves cohérentes ». Un simple regard sur le Forest plot du tableau/figure ci-dessus montre que c'est loin d'être le cas.

 

Notons incidemment que les « 25 ans » de ce communiqué deviennent... « 50 ans » dans une partie de la littérature médiatique française (exemple)...

 

Une des auteurs est citée pour une déclaration générale, angoissante à souhait :

 

« "Il est essentiel de comprendre comment les insecticides affectent la concentration de spermatozoïdes chez l'homme, compte tenu de leur omniprésence dans l'environnement et des risques avérés pour la reproduction. Les insecticides sont une préoccupation pour la santé publique et pour tous les hommes, qui y sont exposés principalement par la consommation d'eau et d'aliments contaminés", déclare M. Ellis. »

 

C'est bateau et ballot ! Leur étude n'a apporté aucune contribution sur le « comment ». Et pour l'« omniprésence » et les « risques avérés », elle nous aura plutôt montré une absence de liens entre exposition environnementale aux insecticides organophosphorés et carbamates et réduction du nombre de spermatozoïdes (ne pas tirer de conclusions trop hâtives de ce constat).

 

Mais le but principal de cette communication n'est-il pas de faire parler de l'étude et de ses auteurs ? L'exactitude scientifique et l'impact sur une « clientèle » peu ou pas informée – et réfractaire à l'effort de compréhension – sont secondaires...

 

Une partie de la médiasphère française vient de nous le démontrer. Le plus préoccupant, à cet égard, est l'irresponsabilité de nombre de sites qui se consacrent à la santé.

 

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F
Rappelons au passage que “association” ne signifie pas “causalité”. cf “spurious correlations” de Tyler Vigen…
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H
On se demande bien comment tous ces pays du tiers monde ou comme on dit wokement parlant "en voie de développement" et qui utilisent massivement des pesticides sans aucune protection et souvent avec une très vague notion des dosages parviennent à avoir une natalité aussi délirante depuis plus d'un demi siècle ?
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