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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Sur la pertinence politique de l'économie agricole

14 Septembre 2023 Publié dans #Economie

Sur la pertinence politique de l'économie agricole

 

Jason Lusk*

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C'est le titre d'un nouvel article de David Just publié par l'European Review of Agricultural Economics, et le sujet de l'intervention de David lors de la réunion de l'Association Européenne d'Économie Agricole qui se tient cette semaine en France [l'article d'origine est daté du 31 août 2023]. Il écrit ce qui suit :

 

« Au début des années 2000, de nombreux départements d'économie agricole ont réduit la taille de leur corps enseignant et certains départements importants ont commencé à généraliser leur champ d'action pour couvrir l'économie appliquée au sens large et/ou à diminuer l'importance accordée à l'agriculture en particulier. Ces mesures répondaient à ce qui avait été perçu comme une longue et inévitable dérive vers l'inutilité de la science de l'économie agricole et de l'économie agricole dans les pays développés. Mais une chose amusante s'est produite sur le chemin de la poubelle de l'histoire. Mis en évidence par des efforts tels que le rapport complet du groupe scientifique du Sommet des Nations Unies sur les Systèmes Alimentaires (von Braun et al., 2021) ou le rapport Eat-Lancet largement diffusé (Willett et al., 2019), l'agriculture se retrouve soudain comme la clé de voûte de la résolution d'une myriade de grands défis auxquels le monde est confronté ; et l'analyse et les outils économiques agricoles sont essentiels pour y parvenir efficacement (Just, 2022). »

 

Malgré l'importance croissante et la prééminence du travail des économistes agricoles, Just affirme :

 

« Dans chacun de ces cas [flambée des prix vers 2008, guerres commerciales, perturbations de la chaîne d'approvisionnement dues à la Covid-19 et flambée des prix au cours des deux dernières années], une analyse économique agricole fondamentale et relativement simple aurait pu identifier la vulnérabilité et la menace croissantes pour la stabilité et le bien-être mondiaux. Cependant, dans chaque cas, cette analyse n'a été publiée, diffusée ou disponible qu'après que la menace se fût concrétisée. Le fait de disposer de l'analyse à l'avance et de la présenter de manière crédible aux décideurs politiques concernés aurait pu, dans chaque cas, permettre d'atténuer ou de prévenir la crise. Il s'agit là d'un échec de notre discipline, auquel nous devons nous efforcer de remédier. »

 

Il poursuit :

 

« La science économique agricole s'est imposée comme l'une des clés pour relever une série de défis mondiaux. Pour relever ces défis, les économistes agricoles jouent un rôle essentiel, non seulement en conseillant des politiques ayant un impact direct sur les objectifs à atteindre, mais aussi en créant une atmosphère dans laquelle les solutions sont réalisables et durables. Dans ces trois exemples, on peut voir un schéma de crises qui sont à la fois économiquement significatives et entièrement prévisibles avec une analyse économique agricole rudimentaire. Pourtant, aucun économiste agricole crédible ne s'est penché sur ces questions avant le début de la crise. »

 

L'article de David est bien écrit, bien argumenté et constitue un encouragement important pour les économistes agricoles en exercice. Il n'est pas nécessaire d'être d'accord avec toutes les affirmations de David pour adhérer à l'argument plus général selon lequel une analyse économique opportune des questions relatives à l'alimentation et à l'agriculture est nécessaire pour améliorer les réponses des politiques publiques et réduire les vulnérabilités.

 

Il y a quelques nuances à apporter. Tout d'abord, je ne suis pas sûr qu'« aucun économiste agricole crédible ne s'est penché sur ces questions avant le début de la crise ». Il se peut très bien qu'il n'y ait pas eu beaucoup d'articles publiés dans des revues à comité de lecture avant ces événements majeurs, mais il y avait certainement des économistes qui écrivaient sur des blogs et des bulletins d'information et qui étaient interviewés dans les médias. Je pense donc que le problème n'est pas le manque de prévoyance des économistes, mais plutôt : 1) les contraintes institutionnelles qui pèsent sur les types de recherches économiques publiables dans des revues à comité de lecture du type de celles que Just cite ; et 2) le manque d'influence des économistes agricoles pour convertir leurs idées dans le discours dominant. Sur ce dernier point, les médias et les décideurs politiques ne sont souvent pas très intéressés par les crises qui n'ont pas encore eu lieu. Peut-être la barre est-elle placée haut pour éviter les faux positifs, ou peut-être est-ce tout simplement parce que l'attention est rare. J'ai publié un certain nombre d'articles et d'éditoriaux dans des médias de premier plan, mais j'en ai vu beaucoup plus rejetés.

 

Permettez-moi de citer quelques exemples de mes propres écrits dans lesquels j'ai projeté des résultats économiques intéressants du type de ceux décrits par Just. J'utilise mes articles comme exemples simplement parce que je les connais le mieux, mais il y a aussi beaucoup d'autres exemples de mes collègues.

 

Le premier exemple date du 16 mars 2020, au début des confinements dus à la Covid-19. Avant même la fermeture des principales usines de conditionnement de la viande, il était clair que la nature concentrée du conditionnement de la viande et la dépendance à l'égard de la main-d'œuvre constituaient une vulnérabilité. J'écrivais alors :

 

"Si l'on remonte la chaîne d'approvisionnement, c'est là que les problèmes liés aux travailleurs peuvent être graves. Vous souvenez-vous de toute la ferveur suscitée par l'incendie de l'usine de conditionnement de viande bovine au mois d'août ? Bien que les conséquences aient été contre-intuitives pour de nombreux producteurs, les conséquences économiques étaient simples : une perturbation inattendue de l'offre a fait baisser les prix du bétail et augmenter les prix de gros de la viande bovine. Il n'est pas exagéré d'imaginer que les maladies des travailleurs atteignent un point tel que les usines doivent fermer temporairement à une échelle au moins aussi importante que l'incendie du mois d'août, qui a supprimé environ 5 % de la capacité de transformation de la viande bovine du pays. La différence est que la destruction d'une usine par un incendie n'est pas la même chose que la fermeture temporaire d'une usine en raison d'un manque de travailleurs en bonne santé ; la première a entraîné un ajustement des prix sur le long terme, tandis que la seconde est plus susceptible de provoquer une fluctuation temporaire des prix.

 

Une chose qui me rend nerveux, même dans le cas de fermetures temporaires, si elles sont à grande échelle, ce sont les animaux qui ont été placés pour être au poids du marché dans les prochaines semaines. Si les bovins des parcs d'engraissement peuvent probablement rester à l'engrais quelques semaines de plus avec des changements de rentabilité relativement faibles, c'est moins vrai pour les porcs, et en particulier les poulets. Les chaînes d'approvisionnement en viande sont optimisées pour l'efficacité et la production à faible coût, mais pas nécessairement pour la flexibilité et la résilience. »

 

Ce n'est que quelques semaines plus tard que de nombreuses usines de conditionnement ont en fait fermé en raison de maladies des travailleurs. Le point bas a été atteint au début du mois de mai 2020, lorsque la production de viande s'élevait à environ 40 % des niveaux de l'année précédente, et que la dynamique des prix et les perturbations de l'offre étaient exactement les mêmes que celles décrites à la mi-mars.

 

Pour un autre exemple, voir ce billet publié il y a environ un an, dans lequel je soulignais la forte probabilité d'une hausse des prix du bétail et de la viande bovine, compte tenu des perturbations de l'offre et des retards biologiques dans la production de viande bovine. En effet, les prix des bovins ont considérablement augmenté au cours de l'année écoulée, et il est probable que la tendance se poursuive. Je ne prétends pas avoir des idées particulières qui ne sont pas bien connues des économistes travaillant dans ces domaines, et d'ailleurs beaucoup d'autres écrivaient des choses similaires à l'époque, mais je souligne qu'il y a des gens qui font précisément ce que Just préconise.

 

Enfin, je suis tout à fait d'accord avec la conclusion de Just (voir ci-dessous) et elle a été au centre de certains de nos travaux récents (voir par exemple ici ou ici) :

 

« Les économistes agricoles peuvent et doivent jouer un rôle dans l'identification de ces vulnérabilités et les mettre en évidence pour les décideurs politiques. Pour ce faire, ils doivent adopter un programme de recherche tourné vers l'avenir, c'est-à-dire orienté vers l'identification et la prévention des problèmes avant qu'ils ne surviennent. »

 

Le défi consistera à identifier les institutions et les mécanismes qui permettront à ce type d'analyse économique d'avoir une plus grande influence.

 

_______________

 

Vice-président et doyen de la division des sciences agricoles et des ressources naturelles (OSU Agriculture) à l'Université d'État de l'Oklahoma. De 2017 à 2023, professeur distingué et directeur du département d'économie agricole de l'Université de Purdue.

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U
L'agriculture a une part de plus en plus réduite dans le PIB et n'occupe plus qu'une très petite part de la population.<br /> La logique économique devrait amener à cesser cette activité au profit d'autres plus rentables.
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F
C'est bien se qui se passe puisque la population des agriculteurs est en baisse. Les personnes en âge de travailler choisissent d'autres métiers.