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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pourquoi les études en laboratoire suggèrent-elles que les pesticides néonicotinoïdes peuvent nuire aux abeilles, alors que les recherches sur le terrain suggèrent qu'ils n'ont qu'un impact minime sur l'environnement ?

22 Août 2023 Publié dans #Abeilles, #Néonicotinoïdes

Pourquoi les études en laboratoire suggèrent-elles que les pesticides néonicotinoïdes peuvent nuire aux abeilles, alors que les recherches sur le terrain suggèrent qu'ils n'ont qu'un impact minime sur l'environnement ?

 

Diego Macall, Genetic Literacy Project*

 

 

Crédit : Brigitte Wohack via CC-BY-NC-SA-2.0

 

 

Les pollinisateurs jouent un rôle crucial dans la production des cultures vivrières. Si de nombreuses cultures sont à pollinisation libre, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas besoin de pollinisateurs pour être produites, de nombreuses cultures bénéficient de leur présence. Des cultures fruitières et légumières ont besoin des pollinisateurs (pommes, amandiers, haricots, melons, concombres, raisins, fraises, etc.), de même que des grandes cultures comme la luzerne, le trèfle, le lin et la moutarde. Selon une estimation de 2009, la contribution des pollinisateurs aux revenus des agriculteurs américains est estimée à 29 milliards de dollars par an. Compte tenu du rôle important et de la valeur des pollinisateurs, il est primordial de veiller à leur santé, d'où l'importance des études faisant état d'effets néfastes sur les populations de pollinisateurs.

 

Au cours de la dernière décennie, les médias grand public et les réseaux sociaux ont publié de nombreux articles et messages sur les menaces qui pèsent sur les populations d'abeilles. Les organisations non gouvernementales de l'environnement (ONGE) utilisent ces histoires pour exercer une pression politique sur les politiciens et les décideurs afin qu'ils adoptent de nouvelles lois pour mieux protéger les abeilles. Une grande partie de cette pression visait à obtenir la mise en œuvre de restrictions et d'interdictions des produits chimiques agricoles. La pression des ONGE s'est avérée efficace puisqu'entre 2010 et 2015, de nombreux pays ont interdit ou considérablement restreint l'utilisation de certains produits chimiques jouant un rôle important dans l'agriculture, en particulier des néonicotinoïdes. Les néonicotinoïdes protègent les plantes contre des insectes qui endommagent les cultures. La plupart de ces interdictions et restrictions ont eu lieu en Europe, ce qui a eu pour effet de priver les agriculteurs de l'accès à ces produits chimiques. La production de colza au Royaume-Uni est passée de 730.000 hectares en 2012 à 400.000 en 2020. En France, l'interdiction des néonicotinoïdes a entraîné des pertes considérables de betteraves sucrières, allant jusqu'à 50 % en 2020, et l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes a fait l'objet de dérogations.

 

Les politiques de restriction ou d'interdiction des produits chimiques soulèvent la question de savoir si elles doivent se fonder uniquement sur des expériences en laboratoire, avec peu ou pas d'éléments probants issus d'études sur le terrain. En effet, les études en laboratoire ne sont pas la meilleure représentation des conditions rencontrées par les abeilles sur le terrain. Sur le terrain, les abeilles :

 

  1. choisissent les plantes à polliniser et la fréquence à laquelle elles le font ;

     

  2. sont exposées à des bactéries, des virus, des parasites et des prédateurs qui ont un impact négatif sur leur santé ; et

     

  3. sont totalement libres de se déplacer dans les champs (certaines deviennent férales).

 

Ce ne sont là que quelques-uns des facteurs que les expériences en laboratoire ne prennent pas en compte lorsque les abeilles sont exposées aux néonics dans des environnements généralement contrôlés. Les expériences sur le terrain sont coûteuses et les protocoles complets pour les réaliser n'ont commencé à être discutés que récemment. Mais elles doivent faire partie de l'élaboration des politiques, en particulier lorsque celles-ci peuvent avoir un impact négatif sur la sécurité alimentaire.

 

 

Il existe de très nombreux types d'abeilles et de pollinisateurs. Crédit : J. Bishop d'après J. Stewart via CC-BY-4.0

 

 

L'état actuel des populations d'abeilles

 

Bien que les abeilles soient importantes pour l'agriculture et la production de miel, peu d'attention a été accordée à leurs populations. Ce n'est qu'en 2008 que le groupe de surveillance COLOSS a commencé à interroger chaque année les apiculteurs (principalement dans les pays européens) sur les pertes d'abeilles pendant l'hiver. Une étude portant sur les pertes d'abeilles en 2018-19 indique que les pertes moyennes varient de 6 à 32 %. Des recherches américaines font état d'une perte moyenne de colonies d'abeilles hivernantes de 14 % en 2007-2008 dans le nord-ouest du Pacifique, tandis que dans la région de la Nouvelle-Angleterre, des pertes hivernales de 15 à 30 % sont normales. Des pertes de colonies allant de 30 % à 90 % ont été signalées à la fin de 2006 et au début de 2007, ce que l'on a appelé le syndrome d'effondrement des colonies (Colony Collapse Disorder – CCD), dont la ou les causes restent inconnues.

 

La commission de l'agriculture de la Chambre des Représentants des États-Unis a reconnu que le CCD constituait une menace potentielle pour la sécurité alimentaire et a organisé des auditions pour enquêter sur le CCD dans les colonies d'abeilles mellifères à travers les États-Unis. Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement a publié un rapport soulignant l'importance des abeilles pour l'agriculture moderne et les menaces auxquelles elles sont confrontées. À l'époque où le CCD a été signalé pour la première fois, les experts ont débattu de la question de savoir s'il était causé par une myriade de pesticides et de métabolites, de bactéries, de champignons, de parasites, de virus ou de toute combinaison de ceux-ci présents dans les colonies symptomatiques. Les recherches ont permis de quantifier et d'explorer 61 variables susceptibles d'être à l'origine de la maladie, mais n'ont pas permis d'identifier un seul facteur avec suffisamment de cohérence pour suggérer qu'il était responsable des pertes. En l'absence de données rigoureuses suffisantes sur la santé des abeilles domestiques, et encore moins sur les populations de pollinisateurs sauvages, d'autres experts se sont demandé si les pertes signalées constituaient un phénomène nouveau. En l'absence de données historiques, il n'a pas été possible de mesurer correctement les pertes d'abeilles enregistrées en 2006-2007 à la suite du CCD. La nature et la gravité des pertes ont finalement été établies sur la base des perceptions d'apiculteurs expérimentés.

 

Les recherches sur les effets potentiels des néonicotinoïdes sur les abeilles mellifères ont augmenté en 2006, à la suite de la première vague de rapports sur le CCD. La plupart des recherches se sont concentrées sur les effets de l'imidaclopride sur les abeilles mellifères, bien qu'il existe sept insecticides néonicotinoïdes et plus de 18.000 espèces d'abeilles. La suspicion que les néonicotinoïdes étaient responsables du déclin perçu des pollinisateurs a conduit les gouvernements de l'Ontario, de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne à promulguer des restrictions et des interdictions complètes de ces produits chimiques.

 

Contrairement à ce que pensent les médias, entre 1961 et 2019, les colonies d'abeilles domestiques gérées ont augmenté de 83 % dans le monde. Bien que les colonies gérées ne soient pas la mesure la plus appropriée pour évaluer les populations d'abeilles, le manque de données empêche l'utilisation de mesures plus adéquates.

 

Nombre de colonies d'abeilles dans le monde

Source : d'après FAOSTAT (2021).

 

 

De plus en plus de publications font état des effets des néonicotinoïdes sur les abeilles, notamment Chensheng et al. 2014, Faucon et al. 2005, Johnson et al. 2010, Shi et al. 2017 et Wu-Smart & Spivak 2016. Ces effets doivent être pris en compte lorsque les organismes de réglementation approuvent les pesticides à usage agricole, d'autant plus que de nombreuses publications sont uniquement fondées sur des expériences en laboratoire et ne représentent pas l'exposition aux produits chimiques sur le terrain. Woodcock et al. (2017) montrent que si les néonicotinoïdes peuvent avoir des effets négatifs sur les abeilles, ces effets ne sont pas uniformes d'un pays à l'autre. En outre, l'examen des études primaires sur le terrain pour cette méta-analyse a révélé la grande diversité des méthodologies utilisées par les chercheurs pour évaluer l'impact des néonicotinoïdes sur les abeilles. Le stade de développement des abeilles, la topographie et la taille de la parcelle, la durée de l'expérience, les cultures et plantes voisines, la génétique des abeilles, l'âge des reines ainsi que leur pays d'origine sont autant d'éléments qui diffèrent d'une étude à l'autre, ce qui rend difficile la combinaison de leurs résultats.

 

 

Recherche de preuves sur le terrain de l'impact des néonicotinoïdes sur les abeilles

 

Les critères justifiant l'inclusion d'une expérience dans l'ensemble des données de la méta-analyse sont les suivants :

 

  1. avoir fait l'objet d'une évaluation par des pairs ;

     

  2. rapporter les résultats d'une expérience dans laquelle il y avait un groupe de traitement et un groupe de contrôle ;

     

  3. mesurer la survie ou la mortalité ;

     

  4. présenter explicitement la taille de l'échantillon et une certaine mesure de la dispersion statistique pouvant être utilisée pour calculer l'ampleur de l'effet étudié ;

     

  5. satisfaire à la règle nt + nc > 2, où nt est la taille de l'échantillon du groupe de traitement et nc est la taille de l'échantillon du groupe de contrôle ; et

     

  6. être rédigée en anglais.

 

Afin d'inclure le plus grand nombre possible d'articles, aucune distinction n'a été faite entre les genres d'abeilles.

 

La figure ci-dessous illustre le processus de sélection suivi pour atteindre le nombre d'études entièrement conformes aux critères d'inclusion détaillés ci-dessus. La recherche documentaire a donné 625 résultats initiaux. Après élimination des doublons, des résumés non pertinents et des études n'évaluant pas la survie ou la mortalité des abeilles, 128 articles au total ont été retenus. Après examen de ces articles, 119 ne répondaient pas entièrement aux critères d'inclusion énoncés ci-dessus et n'ont pas été incorporés dans la méta-analyse.

 

Organigramme de l'analyse

 

 

Le d de Hedge, l'ampleur de l'effet, a été calculé pour chaque étude incluse dans cette méta-analyse. Les tailles d'effet ont été calculées à l'aide du Practical Meta-Analysis Effect Size Calculator. Les données nécessaires au calcul ont été obtenues à partir de la taille des échantillons et de toute mesure de dispersion figurant dans les sections des articles de journaux comprenant : la méthodologie, des sections sur le matériel, des tableaux ou des graphiques. Si une expérience rapportait l'impact de plusieurs agents étudiés sur un nombre égal d'espèces d'abeilles, le d de Hedge a été calculé pour chaque cas et a été considéré comme un point de données distinct. Pour éviter les problèmes de non-indépendance, si une expérience s'étendait sur des mois ou des années ou faisait l'objet de nombreuses répétitions, seul le résultat final rapporté a été incorporé dans cette méta-analyse. Au total, 15 points de données ont été extraits de 9 expériences sur le terrain.

 

 

Preuves sur le terrain de l'impact des néonicotinoïdes sur les abeilles

 

La moyenne pondérée globale de l'ampleur de l'effet (forme de diamant) des études de terrain évaluant l'impact des néonicotinoïdes sur la mortalité des abeilles est de -0,27, et l'intervalle de confiance à 95 % est de -0,73 – +0,19. La moyenne pondérée chevauche la ligne verticale « sans effet », indiquant qu'il n'y a pas de différence de mortalité entre les groupes exposés aux néonicotinoïdes et ceux qui ne l'ont pas été (groupes de contrôle). L'utilisation d'un modèle à effets aléatoires dans cette méta-analyse repose sur l'hypothèse que les différentes études évaluent des interventions différentes, mais apparentées. Cela peut également se comprendre intuitivement, car les études n'ont pas utilisé la même méthodologie pour évaluer la létalité des néonicotinoïdes sur les abeilles, ce qui a fait l'objet d'un débat approfondi entre les experts.

 

 

Graphique en forêt de la méta-analyse

 

Les effets nocifs des concentrations de néonicotinoïdes utilisées dans les études en laboratoire, qui ont joué un rôle déterminant dans l'interdiction des néonicotinoïdes dans l'UE, ne sont pas observés lorsque ces mêmes concentrations sont utilisées dans les études sur le terrain. Les résultats ne s'écartent pas de ceux d'autres analyses comparables. Blacquiere et al. (2012) ont entrepris un examen des effets des néonicotinoïdes sur les abeilles et ont constaté que bon nombre des effets létaux et sublétaux des néonicotinoïdes sur les abeilles dans les études de laboratoire sont absents dans les expériences avec des dosages réalistes sur le terrain. Cresswell (2011) a entrepris une méta-analyse de 14 expériences en laboratoire et en semi-campagne mesurant les effets de l'imidaclopride sur les abeilles mellifères et a constaté que la présence d'imidaclopride à l'état de traces dans l'alimentation n'a pas d'effets létaux, mais réduit les performances des abeilles mellifères.

 

Ce n'est pas une défense des néonicotinoïdes ; il est possible que les protocoles d'expérimentation sur le terrain ne soient pas conçus de manière à saisir les véritables effets des néonicotinoïdes. Le biais de publication, ou la publication de résultats favorables, peut également affecter les études sur le terrain. Cependant, seul un petit nombre d'expériences sur le terrain avec des protocoles comparables ont été trouvées, en partie parce qu'entreprendre ces expériences est un défi logistique et coûteux.

 

 

Résumé

 

Les néonicotinoïdes ont été suspectés d'être, sinon l'agent causal unique, du moins l'un des principaux agents responsables du CCD. Les résultats des expériences en laboratoire ont joué un rôle déterminant dans la décision de nombreux gouvernements, principalement européens, d'interdire l'utilisation des néonicotinoïdes dans l'agriculture. Toutefois, ces études ne fournissent pas une perspective complète de la situation et ont néanmoins entraîné des pertes économiques de plusieurs centaines de millions de dollars pour les agriculteurs. Les politiques irréfléchies telles que l'interdiction des néonicotinoïdes entraînent des coûts économiques importants pour les agriculteurs, en raison de la baisse des rendements, et pour les consommateurs, en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires, étant donné qu'il n'existe que peu, voire pas du tout, d'alternatives chimiques pour lutter contre les ravageurs. Davantage d'expériences sur le terrain avec des protocoles comparables permettraient de mieux informer les politiques sur les impacts des néonics sur les abeilles en général, et sur les abeilles domestiques en particulier.

 

_____________

 

Diego Macall a participé à l'enquête en cours auprès d'experts du monde entier afin de mieux comprendre les nouvelles techniques d'édition du génome. Diego a commencé son programme de doctorat en sciences et technologies de l'environnement à l'Universitat Autònoma de Barcelona. Suivez Diego sur Twitter @Dmmagec.

 

Une version de cet article a été publiée à l'origine sur le site SAIFood. Toute reprise doit mentionner le nom de l'auteur original et fournir des liens vers le GLP et l'article original. Retrouvez SAIFood sur Twitter @SAIFood_blog.

 

Source : Why do lab studies suggest neonicotinoid pesticides can harm bees, while field research suggests they have minimal environmental impact? - Genetic Literacy Project

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