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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Point de vue : la réglementation européenne sur l'édition de gènes qui exigerait la traçabilité et l'étiquetage pour « protéger la coexistence » avec les cultures biologiques pourrait stopper l'innovation dans son élan

23 Août 2023 Publié dans #NGT, #Union Européenne

Point de vue : la réglementation européenne sur l'édition de gènes qui exigerait la traçabilité et l'étiquetage pour « protéger la coexistence » avec les cultures biologiques pourrait stopper l'innovation dans son élan

 

Petra Jorasch*

 

 

 

 

Ma note : Le texte d'origine date de mai 2023. On sait maintenant que la proposition de la Commission Européenne se limite à une déclaration et un enregistrement de la qualité de produit issu d'une NGT « conventionnelle ». L'argumentation déployée ici reste cependant hautement pertinente, le monde anti-OGM manœuvrant pour exiger la traçabilité obligatoire, etc.

 

 

De nouveaux développements majeurs dans le domaine de l'édition de gènes ont lieu de plus en plus fréquemment, alors que le monde cherche à exploiter le potentiel de l'innovation génétique pour relever les défis mondiaux urgents : la sécurité alimentaire, l'amélioration de la nutrition, le changement climatique et la pression exercée sur les ressources naturelles limitées que sont la terre, l'énergie et l'eau.

 

Au cours des deux derniers mois, par exemple, le gouvernement canadien a confirmé que les cultures génétiquement modifiées sans gènes étrangers seront réglementées de la même manière que les variétés sélectionnées de manière conventionnelle, et le Parlement britannique a approuvé une nouvelle législation en Angleterre qui exclut les plantes et les animaux génétiquement édités, ou « sélectionnés avec précision » (« precision bred »), du champ d'application des règles restrictives sur les OGM. Ce faisant, ils ont rejoint une liste croissante de pays du monde entier cherchant à encourager l'utilisation de ces méthodes de sélection plus précises, notamment les États-Unis, le Japon, l'Australie, l'Argentine et le Brésil.

 

Au cours de la même période, le gouvernement chinois a approuvé sa première culture alimentaire génétiquement éditée, un soja riche en acide oléique bon pour la santé, les Philippines ont approuvé une banane génétiquement éditée qui ne brunit pas et qui est conçue pour réduire le gaspillage alimentaire, et les autorités américaines ont autorisé un nouveau type de feuilles de moutarde génétiquement éditées pour en réduire l'amertume et en améliorer le goût.

 

Ici, en Europe, nous continuons à assister à des percées majeures dans le domaine de la recherche sur ces technologies, notamment l'annonce récente que des chercheurs de l'Université de Wageningen, aux Pays-Bas, ont utilisé la technologie d'édition génétique CRISPR/Cas pour rendre les plants de pommes de terre résistants au mildiou causé par Phytophthora infestans sans insérer d'ADN étranger dans le génome de la pomme de terre. On ne saurait trop insister sur l'importance potentielle de cette avancée, non seulement pour protéger les récoltes d'une infection fongique dévastatrice, mais aussi pour réduire la nécessité de pulvériser des pesticides.

 

Alors que le rythme de ces développements passionnants s'accélère dans le monde entier, une question clé à laquelle il faudra répondre au cours des prochains mois est de savoir si l'Europe se joindra à eux ou si elle restera à l'écart.

 

 

Orge en cours de développement pour la résistance génétique à la sécheresse. Crédit : AIEA via CC-BY-2.0

 

 

La Commission Européenne [a publié début juillet] sa proposition très attendue concernant la future réglementation des produits issus des nouvelles techniques génomiques (NGT), qui sont actuellement classés comme OGM conformément à un arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne datant de juillet 2018.

 

Dans une étude réalisée à la suite de cet arrêt, la Commission a conclu que les règles de l'UE relatives aux OGM, vieilles de 20 ans, n'étaient pas adaptées à la réglementation de ces nouvelles méthodes de sélection, en grande partie parce que ces règles ont été mises en place des années avant que les technologies d'édition de gènes ne soient même imaginées.

 

 

Le marché mondial des semences continue de croître. Crédit : Parlement Européen

 

 

La proposition de la Commission suivra-t-elle l'exemple d'autres pays en déterminant que les produits végétaux issus des NGT, qui auraient pu être produits naturellement ou par des moyens conventionnels, devraient être réglementés de la même manière que leurs équivalents issus de la sélection conventionnelle ? Ou succombera-t-elle au lobby anti-science, en imposant des obligations de traçabilité, d'étiquetage et de coexistence de type OGM pour ces NGT conventionnelles, ce qui non seulement découragera l'innovation et consolidera l'avenir de l'UE en tant que musée de l'agriculture, mais risquera également de poser des problèmes commerciaux à mesure que l'édition de gènes deviendra l'un des modèles de livraison par défaut pour l'amélioration génétique des cultures à l'échelle mondiale ?

 

Au début du mois [mai 2023], 20 organisations européennes de la chaîne de valeur, dont Euroseeds, ont signé une lettre ouverte commune exhortant la Commission à traiter les plantes NGT de type conventionnel de la même manière que leurs homologues produites de manière conventionnelle, afin d'éviter toute discrimination réglementaire de produits similaires.

 

Dans cette lettre, les 20 organisations, qui représentent les secteurs de l'agriculture, de l'alimentation humaine et animale, de la sélection végétale, de la recherche scientifique et de l'approvisionnement en intrants, soulignent leur engagement en faveur de la transparence et du partage des informations afin de favoriser le choix des clients et des consommateurs.

 

Suivant l'exemple récent du Canada, qui a mis en place un registre pour les variétés de plantes génétiquement éditées afin de garantir la transparence et le choix, la lettre commune souligne que les listes nationales de variétés et le catalogue commun européen pourraient être utilisés pour offrir une liberté de choix aux agriculteurs et aux producteurs, et permettre aux chaînes de valeur souhaitant éviter l'utilisation de plantes génétiquement éditées de type conventionnel dans leur production de le faire. Aujourd'hui déjà, par exemple, certains systèmes privés de certification biologique excluent les variétés végétales obtenues à l'aide de certaines méthodes de modification génétique exemptées, telles que la fusion de protoplastes. Ces normes privées sont respectées et les chaînes de valeur respectives coexistent sans qu'un cadre réglementaire spécifique soit nécessaire, mais grâce aux informations variétales fournies par le secteur des semences.

 

Toutefois, la transparence n'implique pas nécessairement une exigence de traçabilité (et/ou d'étiquetage). La transparence se situe au début des chaînes de valeur et, en tant que telle, ne perturbe pas les opérations de la chaîne alimentaire et les flux de produits, mais offre une liberté de choix aux agriculteurs et aux producteurs. Une exigence d'étiquetage obligatoire d'une méthode de sélection particulière entraînerait non seulement des coûts supplémentaires dans la chaîne d'approvisionnement, mais pourrait également être perçue à tort par certains consommateurs comme une mise en garde, ce qui entraînerait une discrimination injuste à l'encontre des produits NGT de type conventionnel. Cela pourrait empêcher la réalisation du potentiel des plantes NGT à contribuer à la production agricole durable et à la sécurité alimentaire.

 

Lorsque les produits végétaux des NGT auraient aussi pu être produits à l'aide d'autres méthodes de sélection conventionnelles (qui ne sont pas soumises à une obligation d'étiquetage), cela constituerait également une violation des principes fondamentaux de non-discrimination des produits similaires et d'information factuelle dans le cadre de la législation alimentaire générale.

 

La lettre commune de la chaîne de valeur a également mis en évidence les difficultés liées à la détection et à l'identification des produits végétaux NGT à des fins de contrôle du marché et d'application de la législation. Étant donné qu'il n'est pas techniquement possible de distinguer comment s'est produit le changement génétique dans une plante NGT de type conventionnel (précisément parce qu'elle est de type conventionnel !), il est très peu probable que les tests de laboratoire puissent jamais détecter et identifier la présence de produits végétaux dérivés de NGT dans les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux entrant sur le marché de l'UE, ce qui crée des problèmes de mise en œuvre et une incertitude juridique pour les opérateurs. Le système réglementaire de l'UE risque de perdre la confiance des citoyens s'il n'est pas applicable, ce qui le rend vulnérable à la fraude.

 

Toute exigence obligatoire en matière de traçabilité ou de ségrégation (par exemple, des systèmes de traces écrites) pour des produits techniquement similaires entraînerait des coûts et des charges logistiques importants pour les opérateurs, qui ne sont pas alignés sur les opérations actuelles de commerce et de transformation des denrées alimentaires, et représenterait donc un obstacle supplémentaire et injustifié à l'adoption des plantes issues de NGT dans l'UE.

 

Enfin, en ce qui concerne la coexistence des systèmes agricoles et le commerce international, la lettre commune souligne qu'aujourd'hui, la réglementation de l'UE n'impose pas de mesures de coexistence entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique, même si certaines normes d'agriculture biologique excluent déjà les variétés végétales issues de certaines méthodes de sélection d'OGM non réglementés. De même, les États-Unis, avec lesquels l'UE a conclu des accords d'équivalence pour les aliments biologiques, n'imposent pas de mesures spécifiques de coexistence entre les agriculteurs biologiques et conventionnels (y compris pour les produits NGT de type conventionnel). Cela présente l'avantage évident, pour les agriculteurs et les producteurs de denrées alimentaires biologiques américains, que ces denrées seront également acceptées comme biologiques dans l'Union Européenne. En revanche, imposer systématiquement des exigences en matière d'évaluation des risques, de traçabilité et d'étiquetage (ainsi que des mesures de coexistence) pour les plantes et les produits NGT de type conventionnel serait incompatible avec les normes biologiques en vigueur dans des pays tiers comme les États-Unis. Cela mettrait en péril les normes d'équivalence bien établies et les chaînes de valeur biologiques internationales.

 

 

US-EU « Organic Trade - High Standards and Big Opportunities » Crédit : gouvernement des États-Unis via CC0-1.0

 

 

En résumé, l'imposition d'exigences en matière de traçabilité et d'étiquetage, ainsi que de mesures de coexistence imposant des obligations spécifiques aux agriculteurs cultivant des variétés NGT de type conventionnel, aurait des conséquences négatives sur la compétitivité de la chaîne de valeur agroalimentaire de l'UE et sur l'applicabilité des réglementations.

 

Cela irait également à l'encontre des principes directeurs de l'UE en matière de réglementation, à savoir la praticité, la proportionnalité et la non-discrimination.

 

Nos décideurs politiques ont une occasion unique d'adopter et de permettre l'utilisation de ces technologies de sélection plus précises dans l'agriculture européenne, et d'améliorer les perspectives de réalisation des objectifs de durabilité définis dans le « Green Deal » de l'UE.

 

L'UE est-elle prête à rejoindre la révolution mondiale de l'édition de gènes, ou resterons-nous enfermés dans une distorsion temporelle politique et réglementaire ?

 

______________

 

Petra Jorasch est titulaire d'un doctorat en biologie moléculaire végétale de l'Université de Hambourg. Elle est une experte internationalement reconnue en matière de science, de communication et de défense des intérêts de l'industrie. Elle possède plus de 20 ans d'expérience et une connaissance approfondie des cadres politiques applicables aux semences, à la science et à la sélection des plantes, à l'accès aux ressources phytogénétiques et à leur utilisation, ainsi qu'aux systèmes de protection de la propriété intellectuelle. Suivez Petra sur Linkedin.

 

Une version de cet article a été publiée à l'origine sur le site Science for Sustainable Agriculture. Retrouvez Science for Sustainable Agriculture sur Twitter @SciSustAg.

 

Source : Viewpoint: EU gene-editing regulations requiring traceability and labeling to 'protect co-existence' with organic crops could stop innovation in its tracks - Genetic Literacy Projec

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