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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Économie et écologie peuvent-elles aller de pair ? Une voix de la Suisse

26 Septembre 2021 Publié dans #Divers

Économie et écologie peuvent-elles aller de pair ? Une voix de la Suisse

 

Mathias Binswanger, chez Willi l'agriculteur*

 

 

Passez au bio et tout ira bien ?

 

 

Les gens veulent une eau potable propre et une production alimentaire aussi exempte de pesticides que possible. C'est un souhait légitime. Mais en Suisse, les gens sont privés de ce souhait. Il y a en effet un lobby agricole qui encourage l'empoisonnement des gens par le biais de la politique agricole afin de gagner de l'argent. Les subventions aux agriculteurs ne servent finalement qu'à favoriser les fabricants de pesticides et les importateurs d'aliments pour animaux comme Fenaco. Il faut donc mettre fin à ce lobby agricole dès maintenant, avant qu'il ne nous rende tous malades et ne détruise davantage notre environnement.

 

C'est peu ou prou ce que l'on entend lorsque l'on écoute les arguments des partisans des deux initiatives agricoles [voir ici et ici sur ce blog]. Il y a une part de vérité dans ces propos, mais aussi beaucoup d'exagération. La description ci-dessus donne une image déformée de la production agricole en Suisse. Mais ce n'est que lorsque la réalité est rétablie que l'image d'un ennemi clair tel que le lobby agricole se cristallise. Toutefois, en agriculture, il n'y a pas que le noir et le blanc. Pour s'en rendre compte, il est important de connaître plus précisément les conditions économiques de la production agricole.

 

Demandons-nous pourquoi les agriculteurs utilisent des pesticides et élèvent des animaux taillés pour la haute performance avec des aliments importés et des antibiotiques. La réponse est simple : augmenter la productivité. Seuls ceux qui augmentent constamment leur productivité peuvent maintenir les coûts de production du lait, de la viande ou des céréales à un niveau si bas que ces coûts sont au moins couverts par les recettes des ventes. Ceux qui sont moins productifs et ne produisent que de petites quantités ne couvriront bientôt plus leurs coûts. Les petites exploitations abandonnent donc souvent la production laitière parce qu'elle devient une activité déficitaire.

 

Mais l'agriculture à haut rendement n'est pas vraiment compatible avec l'écologie. C'est également un problème fondamental de la politique agricole suisse, qui s'efforce de résoudre la quadrature du cercle : une agriculture à la fois hautement productive et écologique. Des tentatives sont faites pour résoudre ces contradictions en prévoyant des paiements spéciaux pour les services écologiques ou pour l'agriculture biologique qui couvrent les coûts plus élevés. Mais la conversion à l'agriculture biologique n'en vaut pas la peine pour autant. Pour cela, il faudrait que les agriculteurs gagnent plus avec les produits biologiques qu'avec les produits conventionnels.

 

Lorsque les agriculteurs se tournent vers des produits biologiques ou labellisés, cela augmente considérablement leurs coûts. Mais alors que le consommateur paie beaucoup plus cher ces produits au supermarché, l'agriculteur reçoit souvent très peu. Les recettes plus élevées du commerce de détail restent sur place et n'atteignent pas la ferme. La raison en est que le pouvoir de marché se situe du côté de la demande et que les agriculteurs sont contraints de vendre quelques produits homogènes comme le lait cru à quelques acheteurs comme Migros ou Coop. Grâce à leur pouvoir de marché, ces derniers peuvent maintenir à un bas niveau les prix des produits agricoles fournis par les agriculteurs. Cela s'applique également aux produits biologiques et aux produits vendus sous un label écologique. Les calculs effectués par la Protection Suisse des Animaux pour plusieurs produits tels que les œufs, le porc, le bœuf et la volaille le montrent clairement.

 

Dans cette situation économiquement désagréable, les agriculteurs sont maintenant confrontés en plus aux exigences des initiatives sur l'eau potable et les pesticides. De facto, cela signifie une nouvelle aggravation des conditions de production, sans perspective de gain supplémentaire. Dans ces conditions, il ne faut pas s'attendre à un quelconque enthousiasme de la part de l'agriculture. La conversion à l'agriculture biologique exigée par les initiateurs n'en vaut pas la peine. Ce qui vaut la peine, en revanche, c'est le retrait de l'agriculture de production, qui résoudrait également le problème des pesticides. L'acceptation des initiatives accélérerait définitivement la mort des agriculteurs en Suisse et favoriserait la tendance à délaisser l'agriculture de production au profit du jardinage paysager.

 

De cette manière, l'utilisation de pesticides et d'antibiotiques est simplement déplacée à l'étranger. Et la sécurité d'approvisionnement par la production nationale, telle qu'elle est inscrite dans la Constitution suisse, devient une farce. Si nous voulons continuer à maintenir une agriculture de production en Suisse, nous devons adopter une approche différente. Les demandes finalement justifiées des initiateurs ne peuvent pas être simplement imposées aux agriculteurs sans leur offrir une perspective économique. En d'autres termes, la production biologique doit être rentable. Et c'est le cas si les agriculteurs se voient également garantir une marge pour les produits biologiques qu'ils fournissent. Si elle est simplement laissée au marché, cette marge s'érode immédiatement en raison du pouvoir de marché des transformateurs et des distributeurs de produits alimentaires. Cette défaillance du marché doit être corrigée. Ce n'est qu'alors que nous pourrons nous passer des subventions qui ont pour effet secondaire d'accroître l'utilisation de pesticides, d'aliments importés et d'antibiotiques.

 

Les articles invités représentent l'opinion de leur(s) auteur(s).

 

______________

 

Mathias Binswanger est professeur d'économie à l'Université de Saint-Gall.

 

Source : Geht Ökonomie und Ökologie? Eine Stimme aus der Schweiz - Bauer Willi

 

 

Ma note : Ce texte date d'avant la votation qui a balayé les deux initiatives populaires.

 

Il témoigne d'une vision au mieux naïve de l'agriculture. Le meilleur exemple est peut-être la référence aux antibiotiques dans l'élevage. Ou encore l'idée que la Suisse subventionne les modes de production intensifs. Ce serait plutôt le mode « extenso » – inutile de préciser le sens – dans le cas du conventionnel.

 

La « chute » est étonnante : le résultat est précisément que le curseur du principe constitutionnel de sécurité alimentaire (article 104a de la Constitution) est déplacé dans le sens d'une moindre production agricole suisse, avec une augmentation concomitante des importations (probablement accusées d'être « sales » et anti-environnementales), ainsi qu'une augmentation des prix pour les consommateurs.

 

 

 

 

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