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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'agro-écologie en Afrique : solution miracle ou chemin vers la pauvreté ?

18 Avril 2021 , Rédigé par Seppi Publié dans #Afrique, #Agro-écologie

L'agro-écologie en Afrique : solution miracle ou chemin vers la pauvreté ?

 

Joseph Opoku Gakpo*

 

 

Image : un agriculteur kenyan sèche du maïs. Shuttertock/Jen Watson

 

 

Un modèle d'agro-écologie qui limite les intrants agricoles en Afrique aux seuls matériaux indigènes se heurte à la résistance des agriculteurs et d'autres personnes qui craignent qu'il ne contraigne très probablement encore plus de personnes sur le continent à la pauvreté et à la faim.

 

« Les promoteurs de l'agro-écologie utilisent des termes comme aliments indigènes, cultures indigènes, tout ce qui est indigène. Comme si nous voulions exclure les nouvelles variétés qui arrivent. Mais même le maïs que nous mangeons aujourd'hui ne vient pas d'Afrique. Il vient d'Amérique », a fait observer M. Pacifique Nshimiyimana, un jeune agriculteur et entrepreneur agricole du Rwanda.

 

« Le maïs est présent ici depuis de nombreuses générations », a-t-il noté. « Et les variétés qu'avait ma grand-mère ne répondent plus à la situation climatique d'aujourd'hui. Cela signifie que nous devons nous adapter à de nouvelles semences qui sont résilientes au changement climatique. »

 

M. Nshimiyimana a fait ces commentaires lors d'une table ronde de l'Alliance pour la Science (AfS) Live sur le thème de l'« Agro-écologie : opportunités, constraintes, perspectives d'avenir et limitations ».

 

Mme Irene Egyir, professeur associé au département d'économie agricole de l'Université du Ghana, est convenue qu'il sera difficile d'atteindre une production optimale sans intrants externes.

 

« J'ai des plantations de manguiers. Et au cours des quatre derniers mois, je n'ai pas pu récolter de fruits à cause de la BBS [maladie bactérienne des taches noires]. Est-ce que je vais dire que je fais de l'agro-écologie, donc s'il y a des pesticides efficaces ou efficients qui peuvent m'aider à gérer cette maladie très rapidement, [je ne les utiliserai pas] ? » a-t-elle interrogé.

 

Selon Mme Egyir, les intrants indigènes sont difficiles à préparer. Les modèles agricoles qui les encouragent ont causé beaucoup de souffrance chez les femmes des communautés agricoles.

 

« Même les engrais organiques, il faut parfois les faire soi-même. Et c'est le problème que j'ai. Je viens de rentrer du nord du Ghana. J'étudie certaines femmes du nord. Ces femmes sont censées préparer leur propre biochar, préparer leur propre compost. Cela demande trop de travail et peu d'intrants. Le petit outil qu'elles utilisent est si archaïque. Tant de chaleur. Tellement de fumée... »

 

« Ce n'est pas ce dont nous devrions parler en 2021 pour les pays d'Afrique qui veulent aller de l'avant », a-t-elle poursuivi. « Ne dites pas à ma tante au village de piler ses propres graines de margousier, ou de retourner leur propre compost, ou de brûler leur propre biochar. C'est injuste. Ce sont surtout les femmes qui en souffrent. »

 

M. Nassib Mugwanya, spécialiste ougandais de la communication agricole, pense que « la version actuelle de l'agro-écologie que l'on nous impose sur le continent est conservatrice et peu ouverte aux avancées. Je dirais qu'il existe une opportunité d'adopter certaines de ces technologies émergentes ».

 

Dans un article qu'il a publié dans Sage Journals, M. Mugwanya écrit : « Le besoin urgent de transformer l'agriculture africaine a conduit à une augmentation du plaidoyer pour des modèles plus holistiques et durables tels que l'agro-écologie. Cependant, au nom du respect des limites de la nature et de la justice sociale, les partisans de l'agro-écologie en Afrique font pression, consciemment ou non, pour le statu quo. Le modèle agro-écologique préconisé est trop restrictif pour transformer le secteur. Au mieux, il ne cherche pas à transformer, mais à enfermer les agriculteurs dans la pauvreté issue de leurs pratiques agricoles improductives actuelles. »

 

 

Qu'est-ce que l'agro-écologie ?

 

L'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) définit l'agro-écologie comme l'application de principes écologiques dans le but de protéger l'environnement. Elle assure le renouvellement durable des ressources naturelles nécessaires à la production, comme l'eau, le sol et la biodiversité. Et elle fait un usage économe des ressources non renouvelables. En éliminant progressivement l'utilisation de produits chimiques, elle s'efforce de mettre en œuvre l'agriculture biologique comme moyen d'améliorer la santé des agriculteurs et des consommateurs.

 

Mais même certains défenseurs de l'agro-écologie n'acceptent pas cette définition et affirment qu'il y a place pour une approche plus inclusive et progressiste.

 

« L'agro-écologie, tout comme l'agriculture conventionnelle, peut être mise à l'échelle », a déclaré le Dr Charles Nyaaba, responsable du plaidoyer et des programmes à la Peasant Farmers Association of Ghana, l'une des organisations promouvant l'agro-écologie dans le pays. « S'il y avait une définition – avant que nous ne commencions à promouvoir la nôtre – qui inclut le fait de ne pas mettre à l'échelle nos activités agricoles ou de confondre l'agro-écologie avec l'agriculture biologique, alors ce n'est pas ce que nous cherchons à promouvoir. »

 

La FAO, l'Alliance pour la Souveraineté Alimentaire en Afrique (AFSA), ActionAid, Oxfam et d'autres organisations d'aide internationale ont fait la promotion d'une version restrictive de l'agro-écologie en Éthiopie, en Ouganda, au Burkina Faso, au Ghana, au Sénégal et dans d'autres pays africains comme étant l'avenir de la production agricole. Sur son site web, la liste des principes de l'agro-écologie de l'AFSA comprend la défense des petits systèmes de production et d'agriculture familiale africains basés sur des approches agro-écologiques et indigènes, la résistance à l'industrialisation de l'agriculture africaine, l'accent mis sur les solutions africaines aux problèmes africains et le rejet de l'utilisation du génie génétique et de la privatisation des organismes vivants.

 

Certains universitaires et ONG occidentaux, dont Pesticide Action Network, la Community Alliance for Global Justice et Regeneration International, poussent également l'Afrique à adopter une définition étroite de l'agro-écologie, à l'exclusion d'autres formes de production.

 

M. Nshimiyimana considère le modèle agro-écologique de l'agriculture comme « une théorie morte ». « En tant que jeune agriculteur et homme d'affaires, je pense que l'agriculture a besoin de moderniser ses outils et ses actifs. Lorsque les chenilles légionnaires d'automne arrivent, il est impossible de dire aux agriculteurs qu'ils ne doivent pas utiliser d'engrais ou de pesticides. Donc, quand vous parlez de limiter les pesticides et les engrais de synthèse, vous plongez dans la pauvreté des millions d'agriculteurs qui gagnent leur pain quotidien grâce à l'agriculture. »

 

Les promoteurs de l'agro-écologie en Afrique ont défendu le modèle, insistant sur le fait que c'est le moyen sûr de rendre possible une production durable. Bernard Guri, du Center for Indigenous Knowledge and Organizational Development (CIKOD) au Ghana, affirme que l'intensification agricole n'a pas réussi à nourrir le monde, d'où la nécessité d'un nouveau modèle.

 

« Bien qu'il y ait une agriculture industrielle, il y a toujours la faim. Et c'est parce que l'agriculture a été capturée par quelques personnes qui utilisent la technologie pour produire pour le marché. Et donc, si vous n'avez pas accès au marché, vous n'avez pas cette nourriture qui est là. Et donc, il y a beaucoup de nourriture dans une partie du monde. Et puis il y a beaucoup de faim dans d'autres parties », a-t-il fait observer.

 

M. Nshimiyimana n'est pas d'accord pour dire que l'agro-écologie est une méthode de production durable. « Le changement climatique affecte tout le monde. Il n'y a pas d'endroit où vous pouvez produire suffisamment si vous avez des parasites qui détruisent vos fermes. Si vous dites que vous pouvez nourrir le monde avec l'agro-écologie, il y a trop de choses que vous essayez d'ignorer », a-t-il conclu.

 

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* Source : Agroecology in Africa: Silver bullet or pathway to poverty? - Alliance for Science (cornell.edu)

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