Engrais azotés, loi « lutte contre le dérèglement climatique » et le Monde
(Source)
Nous avons vu dans « Loi "Lutte contre le dérèglement climatique" : pénalisons notre agriculture ! » que le projet de loi actuellement en débat en séance publique à l'Assemblée Nationale comporte un article 62 selon lequel
« […] il est envisagé de mettre en place une redevance sur les engrais azotés minéraux si les objectifs annuels de réduction de ces émissions [d'ammoniac et (pas « ou ») de protoxyde d'azote] fixés en application de l’article 63 de la présente loi ne sont pas atteints pendant deux années consécutives et sous réserve de l’absence de dispositions équivalentes dans le droit de l’Union européenne. »
Voir aussi sur ce site « "Pourquoi taxer les engrais azotés est un non-sens" dans l'Opinion » et, bien sûr, l'article référencé.
En commission spéciale, une majorité a maintenu ce texte et repoussé des demandes d'amendement tendant à le supprimer ou, au contraire, à instaurer cette redevance dès le 1er janvier 2022.
Sans surprise, les propositions d'amendement ont été présentées à nouveau pour le débat en séance publique.
Sur les 76 propositions au total, 31 demandent la suppression de l'article. Elles émanent essentiellement de l'opposition de droite et d'une partie de La République en Marche. Selon trois propositions (si nous avons bien compté), la redevance serait instaurée dès le 1er janvier 2022 ou, selon une quatrième, de repli, au 1er janvier 2023. Elles émanent d'une autre partie de LaREM, emmenée par Mme Sandrine Le Feur, députée du Finistère et agricultrice bio, très en pointe sur le sujet ; de députés non-inscrits de sensibilité écologiste (ils ne sont pas suffisamment nombreux pour constituer un groupe) ; et de cette formation qui a osé se baptiser la France Insoumise.
Le fait de nous nourrir est-il une « externalité » ? (Source)
Le Monde – conformément à sa politique éditoriale qui en fait le journal de référence en matière d'information (ironie) – ne pouvait pas rester indifférent devant cette importante problématique.
Ce sont donc pas moins de trois articles qui ont été publiés en rafale les 8 (date sur la toile) et 9 (date de l'édition papier) avril 2021 :
-
« La face cachée des engrais azotés » de M. Stéphane Mandard, avec en chapô :
« En excès dans certains cours d’eau, les fertilisants chimiques sont également responsables de pics de pollution atmosphérique et émetteurs de gaz à effet de serre. L’instauration d’une redevance doit être débattue prochainement à l’Assemblée nationale. »
-
« Les stocks d’ammonitrates, au potentiel explosif, sont nombreux en France », également de M. Stéphane Mandard, avec en chapô :
« Le stockage de ces engrais potentiellement dangereux, notamment dans des exploitations agricoles, est le maillon faible de la politique de prévention des risques industriels. »
-
« Notre surconsommation d’engrais azotés de synthèse est un désastre écologique, social et économique » (c'est une citation), d'un collectif.
(Source)
La tribune est signée par des agronomes (réels ou se disant tels) : Claude Aubert ; Pierre Béranger-Fenouillet ; Benoît Biteau ; Claude Bourguignon ; Lydia Bourguignon ; François Braillon ; Hélène Cadiou ; François Calvet ; Jacques Caplat ; Luc Delacôte ; Hervé François ; Patrick Marcotte ; Xavier Poux; Mathieu Rambaud ; Christine Rebreyend-Surdon ; François Warlop .
Les fonctions ne sont pas indiquées, sauf quand il s'agit d'agriculteurs. M. Benoît Biteau, par exemple, est référencé comme « agronome et agriculteur en polyculture élevage » (député européen Vert, passe à la trappe). Une recherche assez simple montre que ce sont des « huiles » de l'agriculture biologique et leurs amis.
La tribune est également signée par des « Agricultrices et agriculteurs », 43 au total. Dans le détail, il y a notamment 20 occurrences de « maraîchage » et seulement deux pour « céréaliculture ». À n'en pas douter, ils sont tous en agriculture biologique.
Nous n'analyserons pas en détail ces trois articles.
Tiens, d'un « mec » qui a signé la tribune (source)...
M. Phillipe Stoop, directeur de recherche à ITK et membre de l'Académie d'Agriculture de France, a produit une critique presque complète de deux articles sous un titre quelque peu inexact, « Engrais azotés : le gros mensonge par omission du Monde » ; le mensonge, en effet, est le fait des auteurs de la tribune et des inspirateurs du premier article de M. Stéphane Mandard.
En résumé, selon M. Philippe Stoop :
« En plein débat sur la taxation des engrais azotés de synthèse, Le Monde publie ce vendredi 9 avril deux articles pour soutenir ce projet de loi. Avec des arguments pour la plupart recevables, mais qui cachent un énorme mensonge par omission : ils s’appliquent presque tous également aux engrais organiques, non visés par cette taxe… »
En clair, s'agissant du cadrage de l'article 62 du projet de loi, tous les engrais azotés – de synthèse ou organiques – émettent de l'ammoniac et du protoxyde d'azote.
L'objectif de la tribune (et de ses articles compagnons) est transparent. Il se matérialise dans l'édition papier par un intertitre : « Passer en agriculture biologique ». Extrait :
« Les alternatives aux engrais azotés de synthèse existent mais elles supposent de nouvelles politiques publiques structurantes qui nous aident à réintégrer de l’azote organique dans les systèmes de culture. Les politiques menées jusqu’ici ont toutes échoué : la réglementation nitrates n’est pas respectée, tout comme la stratégie nationale bas carbone. La TVA réduite sur les engrais bio n’a pas infléchi la demande en engrais de synthèse et la portion des financements du plan de relance qui va dans la bonne direction est bien trop faible.
[…]
Il est crucial et urgent de soutenir tous les agriculteurs qui le souhaitent à passer en agriculture biologique, modèle agricole qui se passe complètement d’engrais chimiques, et d’accroître l’accessibilité des produits bio. Aujourd’hui, nous importons un tiers des aliments bio consommés en France, et nous sommes loin des objectifs nationaux fixés par le gouvernement. »
C'est bien aussi l'objectif quasiment explicite des promoteurs d'une redevance sur les seuls engrais azotés de synthèse à l'Assemblée Nationale. Dans la proposition Le Feur et autres (N° 6442), il est expliqué :
« Pour autant, il ne semble pas économiquement viable de faire peser une nouvelle contrainte sur la profession agricole, d'ores-et-déjà en difficulté. C'est pourquoi les recettes sont fléchées vers les agences de l'eau afin de les allouer à la subvention de mesures dont l’objectif est d’engager de manière durable la totalité de l’exploitation agricole vers des pratiques favorables à la qualité de l’eau. »
(Source)
(Source)
Dans « La guerre des engrais n’en finit pas », M. Gil Rivière-Wekstein écrit :
« L’objectif réel d’une telle mesure n’a cependant pas échappé à Arnaud Rousseau, le patron du groupe Avril : " Ce serait une taxation punitive, à visée décroissante. Faire croire qu’on peut se passer de ces engrais est faux. Les alternatives organiques (fumiers, etc.) sont totalement insuffisantes. Ou alors, nous prenons pour modèle l’agriculture des années 1940, qui ne nous nourrissait pas." »
C'est peut-être exagéré, tout au moins pour une partie des auteurs de propositions législatives qui se sont fait les idiots utiles des promoteurs de la décroissance. Leur dessein est plutôt de promouvoir l'agriculture biologique en rendant l'agriculture dite conventionnelle – nourricière – moins compétitive, et le cas échéant moins productive, et en affectant les fonds soutirés de celle-ci à l'agriculture dite biologique.
Non, il n'y a pas de statistiques ici.
Mais la citation ci-dessus met le doigt sur un sacré mensonge particulier de la tribune, vrai ou par omission : « Les alternatives aux engrais azotés de synthèse existent » existent, certes, mais elles ne sont pas suffisantes. Le retour à «La terre, elle, ne ment pas ! » n'est pas une solution.
En fait, l'agriculture biologique utilise des engrais de synthèse sous une forme transformée en matières organiques, par le passage dans un estomac animal ou sur une plateforme de compostage. Les signataires de la tribune ne pouvait pas ne pas l'ignorer.
La culture de légumineuses est bien sûr aussi évoquée dans la tribune, avec dans la foulée une diversion :
« Il est crucial et urgent de réintégrer des légumineuses dans nos rotations de culture. Elles fertilisent naturellement les sols et fournissent des protéines végétales, ce qui permettrait de cesser de dépendre de l’importation de soja qui contribue à la déforestation pour nourrir nos animaux d’élevage. »
« Elles fertilisent... » ? Pas suffisamment, comme le note M. Philippe Stoop :
« L’autre solution majeure promue par cette tribune, développer les cultures de Légumineuses, est plus sérieuse, mais n’est pas non plus la solution miracle. Ces cultures peuvent effectivement se passer de fertilisation azotée, et laissent même un léger excédent d’azote dans le sol, mais cela reste très insuffisant pour réduire fortement la fertilisation sur les autres cultures de la rotation. »
Cela aussi, les auteurs de la tribune ne pouvaient pas l'ignorer.
Des légumineuses dont la quasi-totalité ou une partie du produit va à l'alimentation animale... alors que les promoteurs de la redevance sur les engrais azotés de synthèse militent également pour la réduction de l'élevage et de la consommation de viande...
Pour conclure, les auteurs de la tribune trouve un prodigieux mérite à leur programme qui tient du Kriegsspiel agro-écono-écolo-sociologique. M. Philippe Stoop ironise :
« Reste l’inattendu "désastre social" invoqué par les signataires de la tribune. De quoi s’agit-il ? L’explication nous laisse sur notre faim : "Les engrais azotés de synthèse sont venus se substituer au travail paysan, qui ne représente plus que 2,6% de la main d’œuvre nationale". Qu’est-ce que les auteurs entendent par-là ? Que nous allons recréer de l’emploi agricole en remplaçant les engrais azotés par du fumier ou du lisier ? Ce serait peut-être vrai si on l’épandait à la fourche, mais sinon on voit mal l’effet positif sur la main d’œuvre,… et encore moins sur l’attractivité du secteur agricole, qui peine déjà à recruter. Une fois encore, c’est faire des engrais azotés les boucs émissaires d’une évolution bien plus large du monde rural. »
Il a écrit « incidents » et non « accidents »... (Source)
Un contributeur a écrit dans les commentaires :
« Vous dépassez les limites admissibles de la désinformation.
Les ammonitrates c'est du nitrate d'ammonium mélangés à un stabilisant, à une dose entre 27 et 33%. Ils ne sont pas explosifs.
Vous en donnez d'ailleurs la preuve dans votre article. »
Et de Fritz Haber et Carl Bosch (Source)
Elle a raison, c'est du n'importe quoi législatif, mais on en connaît les raisons (Source)
(Source)