« Disparition » des insectes : minute, papillon !
À propos aussi d'un rapport de la Cour des Comptes Européenne
Les insectes pollinisateurs et leur disparition alléguée sont « à l'honneur ». Le Monde Planète et sa vedette Stéphane Foucart se sont encore régalés avec une nouvelle objectivement mauvaise (a priori) et médiatiquement bonne, surtout dans la ligne éditoriale du quotidien.
C'est donc en titre : « Sauvegarde des pollinisateurs : l’échec de la Commission européenne » et, en chapô : « La Cour des comptes européenne estime que les politiques de protection des insectes rendant des services écosystémiques majeurs n’ont eu aucun résultat. »
Ilest beaucoup question de pesticides dans cet article qui ne manque pas de rappeler que trois néonicotinoïdes sont « mieux connus sous le qualificatif de "tueurs d'abeilles" »
Nous n'entrerons pas vraiment dans l'avis de la Cour.
Notons cependant que le titre du communiqué de presse de la Cour des Comptes Européenne est moins brutal : « Rapport spécial 15/2020: Protection des pollinisateurs sauvages dans l´Union européenne – Les initiatives de la Commission n´ont pas porté leurs fruits ». Le Monde Planète a un légendaire sens de la nuance...
Et c'est bien sûr la Commission qui est coupable, alors qu'elle a pris des initiatives... Nous savons pourtant que des lobbies jusqu'au-boutistes ont joué un rôle toxique pour le document d'orientation de l'EFSA pour les abeilles...
Le rapport d'audit recommande :
« Recommandation nº 1 – Évaluer la nécessité de mesures spécifiques en faveur des pollinisateurs sauvages ;
Recommandation nº 2 – Améliorer l’intégration des actions visant à la protection des pollinisateurs sauvages dans les instruments d’intervention de l’UE qui ont un lien avec la préservation de la biodiversité et l’agriculture ;
Recommandation nº 3 – Améliorer la protection des pollinisateurs sauvages dans le processus d’évaluation des risques liés aux pesticides.
Maigre butin...
L'auteur de l'article du Monde cite deux articles « scientifiques » qui ont/auraient servi de base à l'évaluation de la Cour des Comptes :
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« ...une synthèse de la littérature scientifique publiée début 2019... » ;
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« La plus récente étude académique menée en Europe de l’Ouest, publiée en octobre 2019 dans la revue Nature, dresse un constat plus sombre encore. Selon ces travaux, sur un échantillon de 150 prairies allemandes, le poids d’arthropodes (insectes, araignées et mille-pattes) capturés a chuté de 67 % entre 2008 et 2017, tandis que leur nombre et leur diversité se sont respectivement effondrés de 78 % et de 34 %. »
Le premier, non mis en lien, est le désormais fameux « Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers » (déclin mondial de l'entomofaune : une revue de ses moteurs) de Francisco Sánchez-Bayo et Kris A.G. Wyckhuys, publié dans Biological Conservation.
Nous en avons dit tout le mal que nous en pensions (c'est une clause de style : il y a bien des choses à ajouter) dans : « Les insectes disparaissent... les déontologies scientifique et médiatique aussi ! ». Et nous en avons publié tout le mal qu'en pensaient (idem) certains scientifiques dans : « L'entomocalypse selon Sanchez-Bayo : des scientifiques réagissent – et calme plat au Monde Planète, déjà passé à l'annonce d'autres apocalypses ».
Le second, mis en lien, lui, est « Arthropod decline in grasslands and forests is associated with landscape-level drivers » (le déclin des arthropodes dans les prairies et les forêts est associé à des facteurs liés au paysage) de Sebastian Seibold et al. publié dans Nature. Sauf erreur, il n'est pas cité dans le rapport d'audit... mais il a l'avantage de citer des chiffres effrayants...
Là, c'est M. Philippe Stoop qui lui taille gentiment un costard dans European Scientist, dans « L’extinction de 75% des insectes : Comment naît une légende scientifique » (voir ici).
« Moth biomass increases and decreases over 50 years in Britain » (la biomasse des papillons de nuit augmente et diminue sur 50 ans en Grande-Bretagne) est une brève communication de Callum J. Macgregor, Jonathan H. Williams, James R. Bell et Chris D. Thomas publiée dans Nature Ecology & Evolution en novembre 2019. En résumé :
« Des baisses importantes de la biomasse d'insectes ("insectageddon") ont été abondamment signalées, malgré le manque de données sur la biomasse collectées en continu à partir de sites de surveillance à long terme répliqués. Des déclins aussi importants ne sont pas étayés par la plus ancienne base de données mondiale sur les populations d'insectes : les estimations annuelles de la biomasse des papillons de nuit provenant de sites de surveillance fixes britanniques ont révélé une augmentation de la biomasse entre 1967 et 1982, suivie d'un déclin progressif de 1982 à 2017, avec un gain net de 2,2 fois la biomasse moyenne entre la première (1967-1976) et la dernière décennie (2008-2017) de surveillance. La forte variabilité entre les années et la périodicité pluriannuelle de la biomasse soulignent la nécessité de disposer de données à long terme pour détecter les tendances et identifier leurs causes de manière fiable. »
On trouvera une analyse pour grand public ici.
Une hirondelle ne fait pas le printemps et une étude scientifique – même très robuste – ne fait pas une vérité scientifique – sauf évidemment pour les marchands de peurs et de sornettes quand elle va dans le bon sens.
Mais une telle étude doit nous inciter à la prudence, d'autant plus qu'on trouve, « en face », des études de piètre qualité et, pour certaines, outrageusement militantes. Faut-il rappeler le formidable travail de « science militante » ou « science escrologique » qu'ont été les travaux du Groupe de Travail sur les Pesticides Systémiques (voir « "La condamnation d'abord ! La motivation ensuite !"... Malice au Pays des Abeilles, par Wackes Seppi » et « Néonicotinoïdes : mise à jour d'un article "scientifique" militant... par un autre article "scientifique" militant » ?
Et voici que, le 24 avril 2020, Science publie une lettre au titre tout en nuance de Maria Dornelas et Gergana N. Daskalova, « Nuanced changes in insect abundance » (changements nuancés dans l'abondance des insectes).
En voici le résumé/introduction :
« Les déclins drastiques de la biomasse, de l'abondance et de la diversité des insectes signalés dans la littérature ont suscité des inquiétudes chez les scientifiques et le public (1-3). Si l'on extrapole à l'échelle de la planète, des pertes de biomasse de l'ordre de ∼25 % par décennie (1) projettent une catastrophe potentielle qui passe inaperçue sous notre nez. L'expression "Armageddon des insectes" a capté l'attention collective et a mis en lumière l'un des groupes d'organismes les plus nombreux et les plus divers de la planète. Pourtant, les insectes sont gravement sous-étudiés. Par exemple, la base de données BioTIME (4) – une compilation de séries chronologiques sur la biodiversité – contient des enregistrements pour 22 % des espèces d'oiseaux connues, mais seulement 3 % des arthropodes (l'embranchement qui comprend les insectes et les araignées). À la page 417 de ce numéro, van Klink et al. procèdent à une évaluation mondiale approfondie de l'abondance des insectes et des tendances de la biomasse et brossent un tableau plus nuancé que celui prévu par les extrapolations (5).
L'article principal de Roel van Klink, Diana E. Bowler, Konstantin B. Gongalsky, Ann B. Swengel, Alessandro Gentile et Jonathan M. Chase est « Meta-analysis reveals declines in terrestrial but increases in freshwater insect abundances » (une méta-analyse révèle un déclin de l'abondance des insectes terrestres mais une augmentation de celle des insectes d'eau douce) :
« Les facteurs locaux de déclin sont importants
Des études récentes ont fait état de déclins alarmants des populations d'insectes, mais des questions subsistent quant à l'ampleur et au schéma de ces déclins. van Klink et al. ont compilé les données de 166 enquêtes à long terme sur 1.676 sites répartis dans le monde et ont confirmé des déclins des insectes terrestres, bien qu'à des taux inférieurs à ceux signalés dans certaines autres études (voir la perspective de Dornelas et Daskalova). Toutefois, ils ont constaté que les populations d'insectes d'eau douce ont globalement augmenté, peut-être en raison des efforts déployés pour la propreté de l'eau et du changement climatique. Les schémas de variation suggèrent que les facteurs locaux sont probablement responsables de nombreux changements dans les tendances démographiques, ce qui permet d'espérer des actions de conservation ciblées.
Résumé
Des études de cas récentes montrant des baisses importantes de l'abondance des insectes ont suscité l'inquiétude, mais l'étendue de ces tendances reste incertaine. Nous avons compilé les données de 166 enquêtes à long terme sur des ensembles d'insectes dans 1.676 sites pour étudier les tendances de l'abondance des insectes au fil du temps. Dans l'ensemble, nous avons constaté une variation considérable des tendances, même entre des sites adjacents, mais une baisse moyenne de l'abondance des insectes terrestres d'environ 9 % par décennie et une augmentation de l'abondance des insectes d'eau douce d'environ 11 % par décennie. Ces deux tendances sont largement dues aux fortes tendances observées en Amérique du Nord et dans certaines régions d'Europe. Nous avons constaté certaines associations avec des facteurs potentiels (par exemple, les facteurs liés à l'utilisation des terres), et les tendances dans les zones protégées ont eu tendance à être plus faibles. Nos résultats donnent une vision plus nuancée des tendances spatio-temporelles de l'abondance des insectes que ce qui avait été suggéré précédemment. »
Il resterait à savoir ce qui a été inclus dans la méta-analyse, et comment cela a été fait. Lorsqu'on voit que l'étude de Hallmann et al. est considérée comme « de grande notoriété » (ce qui est vrai, mais... voir par exemple « "L’extinction de 75% des insectes : Comment naît une légende scientifique" de M. Philippe Stoop dans European Scientist »), on peut penser que van Klink et al. sont peut-être encore au-dessus de la réalité pour les arthropodes terrestres.
Citons encore « Are insects declining and at what rate? An analysis of standardised, systematic catches of aphid and moth abundances across Great Britain « (les insectes sont-ils en déclin et à quel rythme ? Une analyse des captures standardisées et systématiques de pucerons et de mites en Grande-Bretagne) de James R. Bell, Dan Blumgart et Chris R. Shortall, publié dans Insect Conservation & Diversity.
Ou encore « Is the insect apocalypse upon us? How to find out » (sommes-nous confrontés à une apocalypse des insectes ? Comment le savoir ?) de Graham A. Montgomery et al.
Il ne faut pas interpréter ce billet comme un déni de la « disparition » des insectes. Maria Dornelas et Gergana N. Daskalova nous offrent une conclusion à laquelle on peut adhérer sans retenue :
« La tentation de tirer des conclusions trop simples et sensationnelles est compréhensible, car cela capte l'attention du public et peut potentiellement catalyser des actions bien nécessaires dans les domaines de l'élaboration des politiques et de la recherche. Cependant, les messages fondés sur la peur se retournent souvent contre eux. Cette stratégie risque fort de saper la confiance dans la science et peut conduire au déni, à la fatigue et à l'apathie. Le fait d'adopter une approche nuancée nous permet de trouver un équilibre entre le signalement précis de pertes inquiétantes et des exemples de succès prometteurs. L'espoir est un moteur de changement plus puissant que la peur. »