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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'entomocalypse selon Sanchez-Bayo : des scientifiques réagissent

5 Avril 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #critique de l'information

L'entomocalypse selon Sanchez-Bayo : des scientifiques réagissent

 

et calme plat au Monde Planète, déjà passé à l'annonce d'autres apocalypses

 

 

Dans « Les insectes disparaissent... les déontologies scientifique et médiatique aussi ! », nous avions épluché « Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers » (déclin mondial de l'entomofaune : une revue de ses moteurs) publié dans Biological Conservation par MM. Francisco Sánchez-Bayo et Kris A.G. Wyckhuys, respectivement de l'Université de Sidney et de l'Université du Queensland.

 

En résumé, cet article « scientifique » est une annonce de l'apocalypse, amplifiée dans la communication du premier auteur dans des médias friands de collapsologie, y compris notre journal qui fut de référence.

 

Mis en ligne le 31 janvier 2019, cet article a suscité au moins trois réponses de chercheurs.

 

Le 5 mars 2019, Clive Hambler, du Département de Zoologie de l'Université d'Oxford, a mis en ligne « Challenges in Measuring Global Insect Decline » (les défis de la mesure du déclin mondial des insectes). En voici le résumé :

 

« Les taux mondiaux de déclin des insectes seront très difficiles à mesurer. Les conclusions concernant les moteurs et les taux de déclin peuvent ne pas être fiables en raison de biais – notamment pour le lieu d'échantillonnage et l'omission de publications pertinentes en raison de termes de recherche étroits. L'extrapolation vers un déclin global des espèces à partir de quelques régions ou d'un échantillon incluant de manière disproportionnée des pertes de population aux marges des aires de répartition est indéfendable et le taux de perte mondial prévu peut être gravement surestimé. Les échantillons d'insectes en déclin (par exemple, les publications examinées) ne doivent pas se chevaucher dans l'espace et dans le temps, car cela violerait l'indépendance des observations. La menace du changement climatique peut être surestimée si les déclins ne sont pas séparés des effets de la saisonnalité et de l'activité. Les mesures de la densité, et non de l'activité-abondance, sont les plus utiles. Aucune extinction ne peut être fermement attribuée au changement climatique anthropique à moins que la tendance climatique ne puisse également être attribuée à l'homme. Le rôle des pesticides sera gonflé si les pays développés dominent dans les échantillons. Nous suggérons des exigences méthodologiques minimales lors de l'examen des déclins et des extinctions. Compte tenu de ces restrictions, nous réaffirmons que les déclins de la plupart des groupes d'invertébrés non marins devront être estimés à l'aide d'indicateurs préalablement calibrés tels que les oiseaux et les poissons d'eau douce. »

 

« Alarmist by bad design: Strongly popularized unsubstantiated claims undermine credibility of conservation science » (alarmiste par mauvaise conception : des allégations non fondées et fortement popularisées minent la crédibilité de la science de la conservation) publié dans Rethinking Ecology par trois chercheurs de l'Université de Jyväskylä, en Finlande, Atte Komonen, Jana S. Kotiaho et Panu Halme, est plus direct. En introduction :

 

« "Si nous ne modifions pas nos modes de production alimentaire, les insectes dans leur ensemble se dirigeront vers l'extinction dans quelques décennies". Ceci est la conclusion verbatim du récent article de Sánchez-Bayo et Wyckhuys (2019) : Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers [déclin mondial de l'entomofaune : une revue de ses moteurs]. Il y a également une autre conclusion un peu moins radicale mais toujours audacieuse : "Nos travaux révèlent des taux de déclin spectaculaires qui pourraient entraîner la disparition de 40 % des espèces d’insectes dans le monde au cours des prochaines décennies". Dans une interview donnée à Damian Carrington du Guardian, les auteurs ont expliqué qu'ils n'étaient pas alarmistes, mais qu'ils voulaient vraiment réveiller les gens. À l'aune de l'attention des médias mondiaux, ils ont réussi. Une version de leurs conclusions a fait les gros titres de la planète dans les principaux médias, tels que BBC News, Al-Jazeera, ABC News et USA Today. Malheureusement, même si ce n'était pas intentionnel, les conclusions de Sánchez-Bayo et Wyckhuys (2019) sont devenues alarmistes par leur mauvaise conception : en raison de défauts méthodologiques, leurs conclusions sont sans fondement. »

 

Les auteurs de la critique alignent ensuite une série de griefs dans un paragraphe percutant. Base de données insuffisante – « Si vous cherchez des déclins, vous trouverez des déclins. » – affirmations non étayées, comme pour la vitesse du déclin – « ...il n'y a pas de données sur la vitesse du déclin. » –, limitation géographique et taxonomique.

 

Leur deuxième critique concerne l'inadéquation entre les objectifs de l'étude de Sánchez-Bayo et Wyckhuys et les études utilisées. Conclusion :

 

« En fait, bon nombre d'"extinctions" dans les articles examinés semblent représenter des pertes d'espèces dans des sites ou des régions particuliers, et il n'est pas facile d'extrapoler à l'extinction d'espèces à des échelles spatiales plus grandes (voir aussi Thomas et al. 2019). L'extrapolation est également difficile car l'étude n'incluait que les cas pour lesquels un déclin avait été détecté. »

 

La Liste rouge de l'UICN a aussi été utilisée de manière abusive. Les chercheurs finlandais ont identifié au moins un cas d'amalgamation d'espèces des catégories « données insuffisantes » et « vulnérables ». Cela donne notamment :

 

« Parce que, par définition, il n’existe pas de données sur les espèces "données insuffisantes" pour évaluer le déclin, la taille de l’aire de répartition et l’abondance de la population, cela signifie que les auteurs ont assigné un déclin de 30 % ("vulnérable" indique un déclin supérieur à 30 %) aux espèces "données insuffisantes". Ce n'est pas anodin, car 24 % des espèces vulnérables étaient en réalité des "données insuffisantes" dans McGuinness (2007). »

 

La critique est tout aussi sévère pour les moteurs du déclin :

 

« ...il peut aussi y avoir une complication méthodologique concernant les moteurs, en raison de l'indicateur choisi. Les auteurs fondent leur inférence sur l'importance du moteur sur le nombre ou la proportion de documents rapportant un moteur ayant provoqué des déclins. Le nombre de rapports n’est pas un indicateur fiable de l’importance du moteur, car il peut simplement refléter l’intérêt des scientifiques ou faciliter l’étude de certains moteurs. Des conclusions plus fiables sur l'importance des différents moteurs auraient obligé à examiner également les moteurs dans les études sans déclin. Le décompte des votes effectué ici ne fournit que des informations limitées, voire inexistantes, sur la force du moteur, ce qui pourrait intéresser les responsables de la conservation. Idéalement, une méta-analyse formelle avec des tailles d'effet des différents moteurs et un échantillon non biaisé d'études de tendance des populations comprenant des effets positifs, négatifs et nuls aurait fourni une image plus complète des déclins et de leurs forces relatives. »

 

Enfin, les auteurs s'en prennent au langage, amplifié par les médias :

 

« Les informations exagérées diffusées par les médias sont mauvaises, mais des exagérations similaires dans les articles scientifiques originaux ne devraient pas être acceptables. L’affaire en cours a déjà fait l’objet de corrections et de retraits dans la presse écrite ainsi que sur les réseaux sociaux, et les premières réponses académiques ont été publiées (par exemple, Thomas et al. 2019). »

 

Pour un rectificatif ou une mise au point dans le Monde, on pourra toujours attendre...

 

Les chercheurs finlandais concluent :

 

« En tant que scientifiques de la conservation impliqués dans la vulgarisation, nous craignons que ce développement ne diminue l'importance de la crise de la biodiversité, rende plus difficile le travail des défenseurs de l'environnement et compromette la crédibilité de la science de la conservation. »

 

On ne peut que souscrire à cette conclusion. En ajoutant que ce genre de « recherche » militante est aussi susceptible de détourner les politiques et mesures de conservation de l'essentiel pour les amener à l'accessoire ou, pire, à de fausses solutions et des remèdes pires que le mal.

 

C'est ce que suggère une lettre à l'éditeur de trois chercheurs britanniques, Chris D. Thomas, T. Hefin Jones et Sue E. Hartley, « “Insectageddon”: A call for more robust data and rigorous analyses » (“Insectageddon” : un appel à des données plus robustes et à des analyses rigoureuses). L'introduction :

 

« En tant que membres de ce sous-groupe de la population qui aime les insectes, nous avons été alarmés par une récente publication faisant état de leur déclin mondial et de leur extinction imminente (Sánchez‐Bayo & Wyckhuys, 2019) et par le tapage médiatique qui s'en est ensuivi. En effet, l'ampleur et les conséquences potentielles de la diminution des populations d'insectes suscitent de plus en plus d'inquiétudes (Hallmann et al., 2017 ; Lister et Garcia, 2018, par exemple). Cependant, nous suggérons respectueusement que les récits de disparition des insectes peuvent être légèrement exagérés. De mauvaises choses se produisent – nous sommes d'accord – mais ce n'est pas toute l'histoire. Nous appelons à une analyse rigoureuse, équilibrée et numérique des changements en cours et à une interprétation calme et impartiale des changements, plutôt que de se précipiter dans l'hyperbole de l'apocalypse imminente. »

 

S'agissant des solutions :

 

« Nous reconnaissons pleinement l’importance du développement d'approches durables de l’agriculture et avons contribué à ce domaine de recherche actif (par exemple, Pretty et al., 2018). Mais nous reconnaissons également que les parasites et les maladies des cultures, dont beaucoup sont véhiculés par des insectes, entraînent actuellement des pertes de rendement de 35 % et peuvent atteindre 70 % en l'absence de pesticides (Popp, Peto et Nagy, 2013). Étant donné que l'agriculture est déjà le principal facteur de 80 % de la déforestation (Kissinger, Herold et Sy, 2012), toute solution à la "crise" actuelle, qui nécessite des terres agricoles supplémentaires pour maintenir la production de nourriture, pourrait aggraver certains des problèmes de la conservation mondiale des insectes. Une réflexion commune est nécessaire. »

 

On ne peut que souscrire à cette conclusion.

 

 

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