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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La folie avec le bio

25 Juin 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Ludger Wess, #Agriculture biologique

La folie avec le bio

 

Ludger Weß*

 

 

Un paysage "naturel" ? Fabriqué par l'Homme

 

 

Qu'est-ce que la nature ? Qu'est ce qui est naturel ? Les philosophes se disputent à ce sujet depuis l'antiquité. Les adeptes de l'agriculture biologique semblent le savoir exactement. Pour eux, l'utilisation de la « chimie » et des « gènes » n'est pas naturelle. Mais ni la nature, ni les agriculteurs biologiques n'adhèrent à cette définition. Cela démontre que le concept de la nature ne peut pas servir comme fondement pour décider de l'utilisation des techniques.

 

 

L'agriculture biologique, comme le croient la plupart des gens, ne repose que sur des méthodes « naturelles ». Tout ce qui n'existe pas dans la nature – les engrais minéraux, le génie génétique et les produits phytopharmaceutiques de synthèse tels que le glyphosate ou les néonicotinoïdes – est interdit. Il est permis, cependant, d'utiliser ce qui se trouve dans la nature : la fertilisation avec des excréments, la protection des cultures avec des métaux lourds ou des toxines de plantes, des champignons et des bactéries et la production de variétés dont le matériel génétique a été modifié par le rayonnement nucléaire [ma note : les idéologues du bio s'opposent maintenant aux mutations induites].

 

Mais l'agriculture biologique a un problème : elle n'a aucun remède efficace contre les champignons, de sorte que lors des étés humides, toute la culture peut être infestée par un champignon dans le champ. Jusqu'à il y a quelques années, elle pouvait recourir au phosphonate de potassium. Ce produit était approuvé comme « stimulateur de croissance », mais il s'agit en fait d'un fongicide chimique de synthèse qui ne se trouve pas dans la nature. C'est pourquoi il a été interdit pour l'agriculture biologique par la Commission Européenne (les chimistes reconnaissent immédiatement le phosphonate en tant que parent proche du glyphosate ; mais il n'agit que sur les champignons).

 

Parce que le phosphonate fait cruellement défaut, il y a des mesures d'exception (NB : Julia Klöckner, la nouvelle ministre de l'Agriculture, s'est attiré les foudres des Verts parce qu'elle voulait permettre aux agriculteurs biologiques d'utiliser des pesticides de synthèse dans des cas exceptionnels – ah, si elle avait seulement prononcé le mot « phosphonate » et mentionné les exemptions accordées de longue date par ses collègues ministres verts des Länder !). Dans le même temps, les associations de lobbying de l'agriculture biologique tentent de prouver que le phosphonate de potassium existe réellement dans la nature. Et – Eureka ! – voici que des chercheurs de la NASA en ont trouvé des traces dans une météorite qui est tombée sur la Terre en provenance de Mars il y a des millions d'années après une catastrophe cosmique [voir aussi ici]. Le phosphonate est donc parfaitement naturel.

 

 

Quand la nature est-elle naturelle ?

 

Les chercheurs ont également constaté que, dans la nature, le transfert de gènes d'une espèce à une autre se produit fréquemment : les fougères utilisent des gènes de la mousse, les escargots ont intégré des gènes d'algues, des herbes ont littéralement volé l'ensemble du cycle de la photosynthèse à d'autres espèces, et les insectes échangent des gènes avec des bactéries et des plantes supérieures. Pour la nature, les « barrières d'espèces » ne sont en aucun cas « sacrées » ; même le concept de barrières ou de frontières dans la nature est fondé sur des conceptions qui découlent du mode de pensée des États nationaux.

 

On n'a d'ailleurs pas besoin de voyager vers des endroits exotiques pour trouver des « transgressions de la barrière des espèces » ; il suffit de se rendre dans le magasin d'aliments bio le plus proche : on y trouve des patates douces produites en biodynamie, un pur produit du génie génétique naturel dont la valeur nutritionnelle est due à des gènes étrangers. Ceux-ci ont été transmis aux ancêtres sauvages de la patate douce il y a environ 8.000 ans par un Agrobacterium – maintenant un outil très estimé du génie génétique – à partir d'un organisme encore inconnu. N'est-il pas temps d'accueillir le génie génétique comme méthode admise en agriculture biologique, parce qu'il est clairement présent dans la nature ?

 

Incidemment, les phytogénéticiens modernes ont abandonné ces méthodes il y a quelque temps. Avec l'édition des gènes, ils utilisent une méthode qui a été développée et affinée par la nature depuis des millions d'années. Presque toutes les bactéries l'utilisent pour se protéger contre les infections virales. Aucun gène n'est transféré – c'est un gène précis qui est modifié et, là encore, c'est un site précis qui est modifié. Alors que les méthodes jusqu'à peu habituelles de l'amélioration des plantes par induction de mutations étaient brutales, perturbaient des milliers de gènes à la fois et les arrachaient à leur environnement naturel, les mécanismes d'édition des gènes comme CRISPR/Cas sont des outils de précision qui effectuent un changement souhaité dans un seul lieu, sans toucher le reste des gènes. Quasiment rien n'est ajouté, coupé ou réarrangé – c'est un mécanisme de correction très élégant et minimaliste qui est utilisé des milliards de fois dans la nature, jour après jour.

 

 

Des Verts en faveur des nouvelles méthodes d'amélioration des plantes

 

Certains représentants de l'agriculture biologique trouvent également que cette méthode dérivée de la nature est précieuse. Le premier était Urs Niggli, directeur de l'Institut de Recherche de l'Agriculture Biologique en Suisse. Il pense que c'est génial que CRISPR/Cas puisse réduire la dépendance de l'agriculture biologique au cuivre, un métal lourd toxique. Parce que le cuivre pollue le sol et l'eau et produit des bactéries résistantes aux antibiotiques [voir aussi ici et ici]. Et voici maintenant Matthias Berninger, jusqu'en 2005 Secrétaire d'État au Ministère Fédéral de la Protection des Consommateurs, de l'Alimentation et de l'Agriculture, alors dirigé par Renate Künast. Niggli et Berninger déclarent publiquement qu'ils voient une grande opportunité dans la méthode pour rendre l'agriculture conventionnelle et biologique plus écologique. Car enfin, l'édition du génome n'est pas du génie génétique, mais une forme d'amélioration des plantes par mutation, une technique utilisée depuis les années 1930.

 

Des fondamentalistes tels que Harald Ebner, le porte-parole Vert pour le génie génétique, s'y opposent toujours : « Le nouveau génie génétique est aussi du génie génétique ; il ne faut pas se leurrer ». Sauf que l'édition de gènes n'est pas du génie génétique et que, contrairement au phosphonate de potassium, on ne le trouve pas seulement dans une seule météorite, mais dans des myriades d'êtres vivants.

 

Qu'est-ce que cela signifie à propos de la nature et de la naturalité ? La nature est juste comme les Verts voudraient que la société soit : multicolore, ouverte à l'étranger et absolument pas dogmatique. Les adeptes de la « naturalité » voient exactement l'inverse : elle est pleine de limites, d'interdictions et d'incompatibilités. Donc, en vérité, ils ne sont pas des partisans de la nature telle qu'elle est, ils voient la nature à travers des prismes idéologiques. La nature est pour eux une étiquette que l'on colle ou arrache à volonté.

 

Très peu d'adeptes du bio savent cela. Ils se réjouissent quand ils voient « sans OGM » sur un berlingot de lait, bien qu'il n'y ait pas de lait « avec OGM » ; ils vantent le blé, le maïs et les choux de Bruxelles qui viennent d'une ferme biologique, prétendument, « comme la nature les a créés ». Comme Robert Habeck, philosophe et dirigeant fédéral des Verts, ils considèrent que ces cultures sont un produit de l'évolution. En fait, le blé est un artefact humain fabriqué à partir d'au moins trois graminées. Le maïs vient d'une herbe dont les Indiens d'Amérique centrale ont modifié le patrimoine génétique au point de le rendre méconnaissable, et le chou de Bruxelles est un descendant du modeste chou sauvage dont les bourgeons axillaires ont été anormalement épaissis pour former de petites têtes pommées par intervention dans le matériel génétique.

 

 

Ah, l'Europe !

 

En Europe, les consommateurs de produits bio se font d'abord du mal : ils jettent de l'argent par la fenêtre parce qu'ils croient faire quelque chose pour leur santé et « l'environnement ». Mais dans les pays qui dépendent de l'Europe, le fétichisme du naturel est potentiellement mortel.

 

En Afrique, la légionnaire d'automne se nourrit actuellement de presque toutes les cultures ; les dévastations ont la dimension de celles des nuées de criquets. Les bananiers du continent sont gravement menacés d'extinction par un champignon agressif. Ni les cultures mixtes ni les stimulateurs de croissance homéopathiques ne sont efficaces contre ces ravageurs.

 

L'édition des gènes peut apporter des solutions : le processus est simple et peu coûteux, les brevets sont gratuits pour les sélectionneurs non commerciaux et il y a déjà des dizaines d'universités et d'institutions de recherche africaines qui modifient des plantes et des variétés indigènes pour qu'elles résistent à des ravageurs, au stress et à d'autres facteurs. Mais c'est ce qu'ils ne devraient pas faire, sous peine de barrières commerciales et de retrait de l'aide au développement : parce que des politiciens européens bornés et une opinion publique totalement désorientée par des campagnes alarmistes menées par des ONG environnementales considèrent que l'utilisation de tubes à essai et de boîtes de Pétri est du génie génétique dangereux et croient que les variétés locales résistantes nuisent aux petits agriculteurs dès lors qu'ont été impliqués dans leur création des professionnels qui ont plus que des « connaissances indigènes ».

 

Pour parler comme la cinéaste Katarina Schickling [voir aussi ici et ici] : un plan Marshall pour l'Afrique est actuellement largement discuté. Il y aurait selon elle une mesure très simple : la fin de la politique insensée de l'UE dans le secteur de la recherche agricole. Pas d'édition de gènes en Afrique car, selon elle, ce qui ressemble à première vue à une contribution à la lutte contre la faim et les difficultés détruit en réalité les sources de revenus et incite ainsi à l'émigration.

 

Quand la folie avec le bio s'arrête-t-elle finalement ?

 

____________

 

* Ludger Weß écrit sur la science depuis les années 1980, principalement le génie génétique et la biotechnologie. Avant cela, il a fait des recherches en tant que biologiste moléculaire à l'Université de Brême. En 2006, il a été un des fondateurs d'akampion, qui conseille les entreprises innovantes dans leur communication. En 2017, il a publié ses polars scientifiques « Oligo » et « Vironymous » chez Piper Fahrenheit. Cet article a été écrit par Ludger Weß à titre privé.

 

Source  : https ://www.salonkolumnisten.com/der-irrsinn-mit-dem-bio/

 

Également traduit en anglais, avec des adaptations, sur Genetic Literacy Project.

 

 

 

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G
Mouai mouai toujours la meme rengaine du genie genetique qui sauvera le monde. Quelque chose me chiffone dans le peu de mise en perspective de ces progres dans une economie liberale telle qu'elle est aujourd'hui. Les ogm devaient apporter des vitamines et etre resistants a la secheresse... Au final la tres grande majorite d'entre eux ne sont resistant qu'aux pesticides... Je vous laisse deviner pourquoi.
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S
Non, ce n'est pas la rengaine du "génie génétique qui sauvera le monde" -- qui est la rengaine homme de paille des anti-OGM. Le génie génétique est un outil pour répondre à un certain nombre de problèmes et de défis. Point.<br /> <br /> Oui, des OGM résistants à la sécheresse sont en train d'être déployés. Quant à la biofortification, le drame est qu'elle est bloquée par l'activisme anti-OGM et la pusillanimité des politiques. Il y a des choses toutes prêtes qui n'attendent que le feu vert.
G
Bonjour, attention je n'ai pas encore lu cet article qui m'a ete conseille mais la lecture de la premiere phrase me fait deja bondir. Vous confondez engrais mineral et engrais chimique et cela decredibilise d'entree l'article. quand on utilise des amendements calciques ou potassique, magnesiun et d'autres qui m'echappent on a souvent a faire a des engrais d'origine minerale.<br /> Bon je continue la lecture...
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S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour ce commentaire (si, si…) <br /> <br /> L'auteur a utilisé "Mineraldünger", ce qui se traduit par "engrais minéral". L'engrais chimique, c'est "Kunstdünger".<br /> <br /> A la réflexion, je ne modifierai pas le texte. Ni l'une expression ni l'autre ne reflète avec précision la folie idéologique du bio. Les "chimiques" (azote de synthèse) sont manifestement interdits, mais les "minéraux" comme le phosphore et la potasse qui sont transformés, voire simplement purifiés pour éliminer le cadmium dans le cas du phosphore, le sont aussi.<br />
N
Bonjour à tous je ne sais pas trop pourquoi cet article tente de "casser" l'agriculture dite "bio". Pourquoi s'attaquer à des agriculteurs qui font bien leur métier et à des clients qui ont un cahier des charges ? Il y en a d'autres, des clients qui ont d'autres cahiers des charges (calibres, résistance au transport, couleur, teneur en protéine, ...) et qui trouvent des filières agricoles pour les satisfaire. Et alors ? En quoi cela menace-t-il l'agriculture ou les agriculteurs ?
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Non, cet article ne tente pas de « casser » le 'bio ». Il s'attaque à ses inconséquences, ou plutôt celle de ses idéologues.<br /> <br /> Des inconséquences qui risquent d'être hautement préjudiciables pour la filière. Imaginez que l'on finisse par produire un blé sans gluten (on y arrivera) par CRISPR/Cas9. Les agribios devront dire à leurs clients qu'il n'aurons pas droit à du pain de blé sans gluten bio, parce que les bl »s issus de cette technique ne sont pas admis par le cahier des charges ?<br /> <br /> Il y a « des clients qui ont d'autres cahiers des charges » ? Oui, mais ils ne tentent pas d'imposer le leur, ou de promouvoir le leur en dénigrant les autres... ou encore d'imposer leurs produits à la cantine.