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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pesticides dans l’eau du robinet : à quand la « tolérance zéro » pour les fake news ?

28 Mars 2024 Publié dans #critique de l'information

Pesticides dans l’eau du robinet : à quand la « tolérance zéro » pour les fake news ?

 

Philippe Stoop*

 

 

 

 

Mise à jour du 26 mars : Ouest-France m'informe ce jour que suite à ces retours sur cette nouvelle, le journal a dépublié l'article incriminé [archivé] et prend contact avec l'ARS Auvergne-Rhône-Alpespour revenir sur le sujet de façon mieux documentée. Une décision dont nous prenons acte avec satisfaction, tout en regrettant qu'il n'y ait pas de démenti plus explicite. Mais à tout prendre, c'est toujours mieux que l'attitude de Le Progrès qui n'a toujours pas réagi...

 

 

Un nouvel exemple d’agribashing outrancier, qui montre une fois de plus le manque de déontologie de la presse, mais aussi l’étrange passivité des agences publiques qui laissent déformer l’interprétation de leurs données.

 

Dans la chronique ordinaire de l’agribashing, beaucoup d'acteurs de l’agriculture ont vu passer sur Google News ou MSN news la nouvelle extravagante du quidam qui aurait fait analyser son eau du robinet, et y aurait trouvé des traces de plus de 200 pesticides.

 

André HEITZ, un des fact-checkers de l’agribashing les plus actifs en France, est allé voir ce qu’il y avait derrière cette histoire, et les résultats sont affligeants :

 

  • Premier mensonge : le citoyen à l’origine de cette fake news n’a pas fait analyser son eau du robinet. Il s’est contenté d’aller chercher les données publiques sur le suivi de la qualité des eaux de boisson, accessibles pour tout un chacun sur le site Web de l’Agence Régionale de Santé de sa région. Ce premier point est relativement mineur, mais il donne à la fake news la touche complotiste qui lui permet de gagner en visibilité sur les réseaux sociaux et les agrégateurs de news : il donne l’impression que le citoyen à l’origine de cette histoire a dû chercher par lui-même des données qui sinon seraient restées secrètes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce mensonge est propre au titre de l’article d’Ouest-France, qui est apparu dans Google News et MSN news. L’article du Progrès, qui a lancé cette rumeur, indiquait d’emblée que ce citoyen avait simplement consulté les données publiques… et n’a pas connu le même succès dans les agrégateurs de news. Le procédé du titre « putaclic », bien que contredit dans le corps de l’article d'Ouest-France, a donc parfaitement fonctionné !

 

  • Mais surtout, quand on consulte le bulletin d’analyse en question, on constate qu’en fait aucun pesticide n’a été détecté ! Simplement, selon l’usage dicté par la rigueur scientifique, l’ARS ne donne aucun résultat égal à 0, pour aucune molécule. En effet, on ne peut jamais être sûr qu’une molécule était absente, on peut simplement affirmer que, si elle était présente, ce serait à une concentration inférieure au seuil de détection de la méthode analytique utilisée. C’est pourquoi, pour chaque molécule recherchée, le bulletin porte une mention du type « < xx microg/l », xx étant le seuil de détection de la molécule. C’est le cas pour toutes les molécules, ce que l’auteur de cette infox a compris comme « il y avait des traces de toutes les molécules ». Le bulletin d’analyse mentionnait bien un dépassement des valeurs de référence (et non des normes de qualité, ce qui aurait entrainé l’arrêt de la distribution d’eau), mais pour des raisons microbiologiques, pas à cause des pesticides.

 

Au mépris de toute règle déontologique, Ouest-France et Le Progrès, les deux journaux qui ont fait mousser cette fausse nouvelle, se sont donc abstenus de toute vérification, même la plus élémentaire, de l’information qui leur avait été communiquée par leur « lanceur d’alerte ». Apparemment, ses « cautions scientifiques » (une étudiante-chercheuse en biologie et un ami pharmacien, tous deux anonymes) suffisaient. C’est d’autant plus gênant que celui-ci n’était pas un inconnu, au moins pour le Progrès, qui lui ouvre régulièrement ses colonnes en tant que « défenseur de la nature » et promoteur des variétés anciennes de légumes [1].

 

On accuse souvent les réseaux sociaux de propager de fausses nouvelles, mais cet exemple nous montre une fois de plus que la presse classique, même des titres aussi bien installés que ces deux-là, n’est pas forcément plus rigoureuse. Une démonstration plutôt inquiétante, quand on voit que les acteurs de l’Intelligence Artificielle générative s’orientent vers des accords avec la presse écrite, soi-disant pour entrainer leurs modèles avec des informations prétendument mieux triées que le tout-venant d’Internet…

 

L’attitude des ARS interroge aussi. Sur des données publiques aussi sensibles, pourquoi conserver, sans explications facilement visibles, un libellé des résultats qui se prête si facilement à de mauvaises interprétations par le grand public ? Pourquoi ne pas réagir quand une déformation aussi grossière de ces résultats d'analyse sort dans la presse ? Un droit de réponse (que l’ARS est la seule à pouvoir demander, puisqu’il s’agit d’une mésinterprétation de ses données) permettrait de rétablir la vérité, et inciterait les journaux concernés à faire preuve d’un peu plus de sérieux. Cette absence de réaction est d’autant moins compréhensible que ce genre de fake news sème le soupçon sur la volonté des ARS de vraiment protéger les consommateurs. A quand la « tolérance zéro » pour ces fausses informations ?

 

______________

 

« Il analyse l’eau de son robinet [FAUX] et découvre plus de 200 substances issues de pesticides [FAUX] » dans Ouest France - Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels (over-blog.com)

 

[1] Saint-Just-Saint-Rambert. Des familles vont adopter des graines pour protéger la biodiversité (leprogres.fr)

 

Directeur Recherche & Innovation ITK - Membre de l'Académie d'Agriculture de France

 

Source : Pesticides dans l’eau du robinet : à quand la « tolérance zéro » pour les fake news ? | LinkedIn

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