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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

ANSES et nouvelles techniques génomiques : chronique d'une (possible) manipulation médiatique du Monde de M. S...

17 Mars 2024 Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Le Monde, #NGT, #ANSES

ANSES et nouvelles techniques génomiques : chronique d'une (possible) manipulation médiatique du Monde de M. S...

 

 

(Source)

 

 

La publication d'un rapport de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) sur les NGT a-t-elle été bloquée sur pression politique, comme l'a affirmé M. Stéphane Foucart – dans une chronique, pas un article d'information – dans le Monde ? L'allégation est invérifiable. Mais les circonstances de des publications du Monde interrogent...

 

 

J'ai du retard dans mes vitupérations. Mais c'est peut-être une bonne chose dans le cas présent.

 

Le 18 février 2024, le Monde publiait sur la toile une chronique de M. Stéphane Foucart, « Sur l’environnement, le divorce entre la Macronie et la communauté scientifique est désormais consommé » (c'est une citation extraite de l'article).

 

Une production dans la norme : méandreuse, filandreuse et un tantinet fielleuse.

 

En chapô :

 

« Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur les plantes issues des nouvelles techniques génomiques a été bloqué, sur pression politique. Un signe, parmi d’autres, de la rupture entre la communauté scientifique et l’exécutif, affirme, dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au "Monde". »

 

Dans l'édition papier, le titre est raccourci pour s'étaler sur les deux colonnes attribuées traditionnellement aux chroniques : « La pilule amère pour les chercheurs ». Et il y a, comme d'usage, deux pavés : « Sur l'environnement, le divorce entre la Macronie et la communauté scientifique est consommé » et « Un rapport de l'ANSES sur les "nouveaux OGM" a été bloqué sur pression politique ».

 

 

« La Communauté scientifique » ?

 

Commençons, comme il se doit, par le hors-d'œuvre, la question de « la communauté scientifique ».

 

L'auteur de la chronique se prévaut de lettres ouvertes, tribunes, etc. signées par des personnes se prévalant de leur statut de scientifiques et publiées notamment dans le Monde, L'Obs et la Croix à propos d'Écophyto et du projet d'autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

 

Bien entendu, ces écrits – aussi abondamment signés soient-ils pour certains – ne sauraient autoriser l'article défini employé par un auteur de chroniques orfèvre en matière de sculpture d'opinions et aux connaissances grammaticales et sémantiques avérées.

 

En outre, on peut trouver pathétique le « Pesticides : "Nous, chercheurs et chercheuses, dénonçons une mise au placard des connaissances scientifiques" » éructé par des auteurs/contributeurs d'expertises collectives de l'INSERM, de l'INRAE et de l'IFREMER.

 

Ils étaient mécontents de la « mise en pause » du volet d'Écophyto fixant un objectif de 50 % de réduction de l'usage des pesticides (nouvelle date cible : 2030) ? Pourtant, ils savaient pertinemment que c'était le temps de définir (officiellement) un nouvel indicateur, qui était du reste déjà connu. Cela interroge sur l'impartialité des signataires et, partant, sur le produit de leurs travaux.

 

« Nos expertises scientifiques collectives ont démontré l’ampleur des impacts des pesticides sur la santé humaine et l’environnement, et mis en évidence des alternatives agroécologiques capables de répondre aux enjeux environnementaux tout en préservant la production agricole. Nos travaux ont aussi identifié les verrous socio-économiques et institutionnels qui limitent le déploiement des alternatives, et les leviers pour les dépasser. »

 

 

(Source)

 

 

À lire cela, nous devons conclure que nous sommes dans une situation catastrophique, voire apocalyptique... Il s'agit pourtant d'une situation gérée et étroitement encadrée.

 

Dans l'Obs, on voit mal la science s'exprimer dans « Normes, Ecophyto… Les réponses du gouvernement à la colère agricole risquent d’être contreproductives ». On ne déniera pas aux signataires le droit de donner des avis, mais impliquer la communauté scientifique, dans son ensemble, dans ces avis est particulièrement audacieux.

 

 

(Source)

 

 

Dans la Croix, « Pesticides, l’appel de 140 scientifiques : "La science n’est pas une option" », 140 « scientifiques » – en fait des milieux de la sociologie – nous « rappellent que la nocivité des pesticides est un fait scientifique ». Merci bien ! Ils nous rebattent aussi les oreilles avec un « déni de la recherche scientifique ». Ah oui ?

 

« Les travaux de sciences sociales ont montré que les industries des pesticides ont, tout au long du 20ème siècle et jusqu’à aujourd’hui, développé de nombreuses stratégies pour maintenir l’ignorance sur les effets sanitaires des pesticides et fabriquer volontairement du doute. »

 

Formidable constat... Mais il y a aussi (c'est nous qui graissons) :

 

« Une agriculture moins dépendante des pesticides peut être une agriculture qui dégage plus de revenus pour les agriculteurs si les soutiens publics et les règles de marché sont mieux pensés. Une agriculture moins dépendante des pesticides est peut-être une agriculture qui renforce certaines contraintes physiques (mais pas toujours), mais c’est aussi une agriculture qui, parce qu’elle implique une réappropriation du travail et des savoirs agronomiques, peut redonner du sens et de l’autonomie au travail. [...] »

 

 

(Source)

 

 

Et l'A69 ? À ce jour où j'écris, 1.881 signataires d'un texte des Scientifiques en Rébellion. La Cour des Miracles... fermez le ban. Euh non ! On cherche la science derrière ce catalogue de récriminations.

 

M. Stéphane Foucart nous a même annoncé que « [d]'autres prises de position collectives, sur la gestion de l'eau notamment, ne devraient pas tarder ». Quel rôle joue-il dans ces affaires ?

 

 

Un rapport de l'ANSES bloqué sur pression politique ?

 

Ce serait un scoop ! Or, curieusement, la « révélation » est faite dans une chronique – l'expression d'une opinion – et sous un titre qui ne l'annonce pas.

 

Le chapô de la version électronique est tout aussi curieux :

 

« Un rapport de l’[ANSES] a été bloqué, sur pression politique. Un signe, parmi d’autres, de la rupture entre la communauté scientifique et l’exécutif [...] »

 

Voilà donc l'ANSES – si souvent vilipendée, comme l'EFSA, quand ses avis ne plaisent pas à la bien-pensance – intégrée dans la communauté scientifique !

 

On aurait aussi pu penser qu'une telle « information » aurait déclenché un tir nourri dans les médias contre le gouvernement. Ce ne fut pas le cas...

 

L'histoire commence par une affirmation péremptoire :

 

« Que le pouvoir en place bloque la publication d’un rapport d’expertise n’est jamais anodin. [...] »

 

Le fait est/serait donc acquis. Mais la suite est plus prudente. Les démarches entreprises pour étayer l'allégation aboutissent en effet à ceci :

 

« Interrogé le 8 février par Le Monde, le cabinet de M. Fesneau n’a pas démenti le blocage du rapport de l’Anses, se bornant à répondre, deux relances et quarante-huit heures plus tard : "Pas de commentaires pour nous pour l’instant." »

 

Autrement dit, c'est fort léger (et invérifiable tant du point de vue de la véracité du propos que de sa source et son contexte).

 

C'est toutefois conforté par un sophisme du déshonneur par association :

 

« A l’automne 1997, on se souvient que Nature avait consacré une couverture sans concession aux tentatives de Claude Allègre, alors ministre de la recherche, de bloquer la publication du rapport d’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur l’amiante. »

 

« On se souvient... » ? Il y a 26 ans... « [U]ne couverture sans concession... » ? C'est vraiment exagéré, l'article en cause étant aussi du style méandreux. Et, cerise sur le gâteau, ce dont il s'agissait, c'était la publication sous forme de livre, le rapport ayant été disponible sous une autre forme, largement médiatisée par une annonce dans INSERM Actualités.

 

La chronique n'est pas diserte sur l'identité de ce rapport de l'ANSES. Pour démentir ou mettre en doute l'allégation de blocage, les premiers commentateurs se sont précipités sur un rapport déjà publié, l'« Avis de l'Anses relatif à l’analyse scientifique de l’annexe I de la proposition de règlement de la Commission européenne du 5 juillet 2023 relative aux nouvelles techniques génomiques (NTG) – Examen des critères d’équivalence proposés pour définir les plantes NTG de catégorie 1 ».

 

Certains en ont pris plein la carafe, mais c'est une autre histoire.

 

 

(Source et source)

 

 

Il est daté du 29 novembre 2023. Selon les conclusions et recommandations,

 

« L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) rappelle qu’elle a engagé, sur saisine des ministères chargés de l’environnement et de l’agriculture et alors que la proposition de règlement n’était pas encore parue, une expertise sur les méthodes d’évaluation des risques des plantes NTG et leur impact socio-économique, qui devrait être disponible au premier trimestre 2024. Cette expertise en cours s’attache notamment à identifier les adaptations à apporter à la méthodologie l’évaluation des risques (sanitaires et environnementaux) des plantes issues de transgénèse lorsque l’évaluation va porter sur des plantes issues de mutagénèse dirigée réalisée à l’aide de CRISPR-Cas9 et techniques dérivées. »

 

Mais, selon la chronique de M. Stéphane Foucart,

 

« De longue date, l’Anses avait annoncé la publication de cette expertise pour début février, c’est-à-dire avant que les députés européens ne se prononcent sur les conditions d’un assouplissement réglementaire de ces nouvelles cultures (ce qu’ils ont fait le 7 février).

 

Cela pose trois problèmes non négligeables : le « début février » de la chronique, ce n'est pas le « premier trimestre 2024 » de l'ANSES ; celle-ci ne pouvait pas savoir « de longue date » quand le Parlement Européen allait voter sur un projet de résolution ; et une opinion de l'ANSES qui critiquait le texte de la Commission avait été rendu disponible bien avant le vote, le 21 décembre 2013, de sorte que le rapport prétendument bloqué, c'eut été en quelque sorte ceinture et bretelles.

 

M. Stéphane Foucart disserte ensuite sur le rapport, dont on (et lui) n'aurait pas connu le contenu à l'époque, mais qui aurait pu être peu favorable à la position de notre gouvernement, partisan d'un assouplissement de la réglementation :

 

« […] Dès lors, donner accès à une expertise en bonne et due forme sur le sujet aurait été nécessaire à un vote éclairé des eurodéputés. Cela n’a pas été le cas. »

 

C'est là une création fort artistique du doute et de la suspicion...

 

Comme il est dit plus haut, l'expertise avait été demandée par les ministères en charge de l'environnement et de l'agriculture. À l'évidence, le ministère de la Transition Écologique n'a pas été contacté pour s'assurer de la réalité d'un blocage gouvernemental ou, s'il l'a été, cela n'a pas été rapporté dans la chronique. C'est donc le ministère de l'Agriculture qui est en première ligne, en fait seul, comme « bad boy »...

 

 

Le jour d'avant...

 

 

(Source)

 

 

Le 5 mars 2024 (date sur la toile), le Monde publie, sous la signature de M. Stéphane Foucart, « Risques liés aux "nouveaux OGM" : l’Anses recommande une évaluation au cas par cas, dans un avis resté confidentiel ».

 

En chapô :

 

« "Le Monde" a pu consulter l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sur les nouvelles techniques génomiques. Contrairement à la position du gouvernement, il préconise une surveillance étroite des plantes concernées. »

 

C'est plutôt de bonne facture, nous semble-t-il, mais avec quelques ficelles. L'ANSES est ainsi citée pour des situations où il y aurait des « risques potentiels »... mais pas pour celles où aucun risque n'est identifié. Quant à l'illustration, elle est franchement malveillante... C'est aussi une méthode de formatage des opinions !

 

Ce rapport, « Risques et enjeux socio-économiques liés aux plantes NTG – Avis de l’Anses – Rapport d’expertise collective », qui porte la date du 22 janvier 2024, sera publié (mis en ligne) le lendemain, 6 mars 2024 (communiqué de presse)...

 

 

(Source)

 

 

« Gorge profonde » – l'informateur (ou manipulateur) anonyme – aura donc donné, d'une manière ou d'une autre, un jour d'avance à M. Stéphane Foucart pour, d'une part, remettre une pièce dans le bastringue s'agissant d'« un avis resté confidentiel » et, d'autre part, définir l'angle des articles de presse à venir.

 

De plus, ce serait grâce à un valeureux journaliste, ardent défenseur de la transparance et de la rectitude démocratique, que ce rapport aurait été publié. Ou tourné autrement : confronté à une publication issue d'une fuite, le gouvernement aurait été en quelque sorte pris de panique et se serait empressé de publier le rapport... confirmant implicitement qu'il l'avait bloqué.

 

 

Bloqué ou pas bloqué ?

Question basique : le gouvernement avait-il le pouvoir de bloquer la publication du rapport, qu'il avait commandé et dont la publication avait été annoncée par l'ANSES – compte tenu de la répartition des pouvoirs, et aussi des règles de transparence de la vie publique ? Il pouvait aussi s'attendre à la flak des oppositions politiques, ainsi que des mouvances anti-OGM, etc.

 

Il n'y a pas eu de flak.

 

On peut cependant penser qu'il y a eu des surprises et des mécontentements au sein du gouvernement. Peut-être s'agissant des recommandations opérationnelles, sans doute de la teneur générale.

 

 

(Source)

 

 

Une « mise en débat la plus ouverte et la plus éclairée possible » ? Il ne nous semble pas que c'était l'objectif de la saisine.

 

 

(Source)

 

 

(Source)

 

 

La chronologie est aussi intéressante.

 

L'avis issu de l'autosaisine a été daté du 29 novembre 2023 et mis en ligne le 21 décembre avec, selon cette fiche, une date de publication prévue du 13 décembre et un visa du DG du 11 décembre.

 

L'avis prétendument bloqué – beaucoup plus long et comportant deux volumineuses annexes – est daté du 22 janvier 2024 et a été publié le 6 mars.

 

Le rapport aurait été – selon M. Stéphane Foucart – finalisé le 11 décembre 2023, et l’avis formel (donc signé le 22 janvier 2024) aurait été immédiatement transmis au gouvernement.

 

M. Stéphane Foucart n'en démord pas dans son article du 5 mars 2024 (mais notez qu'il prend de la distance) :

 

« L’Anses avait prévu de publier le rapport et l’avis au début de février – de source proche du dossier, la publication a été bloquée sur "pression politique". »

 

Dans le cas de l'avis issu de l'autosaisine, la publication avait aussi eu lieu après la date prévue – l'adverbe « aussi » ne se justifiant que si l'information obtenue de « Gorge Profonde » est exacte. L'écart est certes plus important... le volume du rapport également.

 

Voici encore un élément :

 

« Mardi 5 mars, l’Anses n’avait toujours rien rendu public, ne donne pas d’explication à ces atermoiements, ne fait aucun commentaire et assure que tout sera publié prochainement. »

 

Il y a une contradiction évidente dans cette phrase... et cela alimente les suspicions, en tout cas les nôtres.

 

Et cette phrase donne à croire que, le 5 mars 2024, « Gorge Profonde » n'avait pas informé M. Stéphane Foucart de la publication imminente de l'avis. Mais elle lui avait fait parvenir cet avis... à un moment où la fuite n'allait pas susciter de gros remous.

 

 

Mais...

 

Le 13 mars 2024, lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, Mme Lisa Belluco (EÉLV) a interrogé très rudement : « Avez-vous, en guise de cadeau à Bayer, Monsanto, et Corteva, retardé la publication » d'un avis de l'ANSES sur les NTG ?

 

 

(Source)

 

Mme Agnès Pannier-Runacher,  ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, a répondu très calmement : l'ANSES « a choisi de publier à sa convenance [l'avis des?] travaux qu'il mène et que nous avons sollicités ».

 

 

(Source)

 

 

Finalement, ce rapport a-t-il été bloqué ou non ? Ami lecteur, faites-vous votre propre opinion...

 

 

Post scriptum

 

M. Stéphane Foucart insiste dans sa chronique de ce jour, « Ecologie : "Le gouvernement n’hésite pas à dissimuler ou à retenir des informations cruciales pour le débat démocratique" ».

 

Le rapport de l'ANSES, aurait été bloqué – c'est maintenant spécifique – par le ministère de l'agriculture.

 

Il aurait du « éclairer le vote du 7 février des zurodéputés appelés à s'exprimer sur la dérégulation de ces plantes » (les « nouveaux OGM »).

 

Et d'insister encore, avec une dose de vantardise : « [Le rapport] a dû attendre que la presse en donne les conclusions pour être publié – mais bien après le vote du Parlement de Strasbourg. »

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