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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le principe « possibiliste » : comment Bruxelles est devenue un terrain de jeu pour les activistes basé sur les dangers

1 Août 2023 Publié dans #Risk-monger (David Zaruk), #Toxicologie, #Activisme, #Politique, #Principe de précaution

Le principe « possibiliste » : comment Bruxelles est devenue un terrain de jeu pour les activistes basé sur les dangers

 

David Zaruk (Risk-monger)*

 

 

(Source)

 

 

Ma note : C'est un texte d'octobre 2017. Long, mais très instructif.

 

Dans une scène du film Dumb and Dumber (La Cloche et l'Idiot au Québec), le personnage joué par Jim Carrey, Lloyd, s'adresse à la fille de ses rêves et lui demande sans détours quelles sont ses chances avec elle. Lorsqu'elle lui répond qu'elles ne sont pas bonnes, peut-être une sur un million, il est absolument ravi. Il avait une chance.

 

 

Ce film était un précurseur de l'analphabétisme numérique auquel nous sommes confrontés aujourd'hui à l'Âge de la Stupidité. Un âge où les gens peuvent à la fois accepter un événement possible hautement improbable et rejeter des événements probables en raison de l'absence de certitude absolue. En d'autres termes, nous avons perdu la capacité de mesurer, de discerner et de distinguer la probabilité de la possibilité (ou ce que j'appellerais avoir perdu la capacité d'être raisonnable).

 

Quelques exemples :

 

  • Si les scientifiques ne peuvent pas prouver avec une certitude absolue qu'une substance chimique ne perturbe pas notre système endocrinien (peut-être lors d'une exposition à faible dose ayant un effet cocktail possible avec d'autres substances chimiques), alors elle doit être considérée comme un perturbateur endocrinien potentiel (et interdit). Dans le même temps, ces chimiophobes ne considèrent pas que les traitements hormonaux de substitution, les pilules contraceptives, le café, le houmous ou les graines de soja présentent des risques endocriniens (bien que les données soient assez claires).

     

  • Bien que les outils de test et les laboratoires soient discutables, les activistes trouvent des traces de résidus extrêmement faibles de glyphosate dans certains aliments et – faisant fi de la réalité de sa toxicité qui est bien inférieure à celle des ingrédients courants que l'on trouve dans les biscuits et le chocolat – les activistes font pression avec succès pour faire interdire l'herbicide. Les agriculteurs devront donc utiliser des solutions de remplacement moins inoffensives et abandonner les pratiques de gestion durable des sols. Et ce, alors que la communauté scientifique (à l'exception d'une agence ayant pris une position discordante) clame haut et fort sa confiance dans la sécurité du glyphosate.

     

  • Nous buvons de grandes quantités d'alcool, fumons et mangeons des aliments riches en graisses (tous cancérigènes connus), mais on me dit régulièrement que les « consommateurs » paniquent à l'idée d'être exposés à un additif alimentaire, à un produit non biologique ou à un emballage synthétique (dont les risques de cancer sont négligeables).

     

  • Les taux de réussite croissants des traitements contre le cancer, l'amélioration de la qualité de vie des survivants et les meilleures technologies ont banalisé l'expression « vaincre le cancer », mais étant donné que les traitements conventionnels ne peuvent pas offrir aux patients une liberté totale à vie contre le cancer (une impossibilité même pour les personnes en bonne santé), un nombre croissant de personnes souffrant d'un cancer optent pour des approches thérapeutiques naturopathiques alternatives et moins invasives, comme les jus de fruits (sans que l'on dispose de données claires sur les taux de survie).

     

  • Alors que les vaccins ont permis d'éradiquer des maladies qui décimaient des populations importantes et que la recherche commence à adopter une approche préventive pour de nombreuses maladies courantes (comme les cancers du col de l'utérus et du sein), un nombre alarmant de parents ont renoncé à tous les vaccins. Pourquoi ? Il existe une faible possibilité, fortement amplifiée dans les médias et sur les réseaux sociaux, d'effets indésirables dus aux vaccins, les assurances données par les autorités ne faisant qu'attiser les craintes.

     

  • La recherche a trouvé un moyen de réduire les pesticides pulvérisés sur les feuilles et le sol en traitant les semences au moment du semis, réduisant ainsi les risques pour l'environnement et les êtres humains. Comme il est impossible de prouver avec certitude qu'il n'y a pas de risque pour les pollinisateurs (par exemple, avec les néonicotinoïdes), il est fort probable que tous les pesticides systémiques utilisés pour le traitement des semences soient interdits (y compris pour les cultures ne fleurissant pas comme la betterave sucrière). Les agriculteurs devront recourir à des techniques de pulvérisation plus anciennes et moins efficaces qui, nous le savons, nuisent aux abeilles. Le financement de la recherche sur les causes connues du déclin des abeilles (virus et parasites) se tarit et les agriculteurs plantent moins de cultures riches en pollen à la suite de l'interdiction des néonics dans l'UE.

     

Il y a de nombreuses théories de la décision qui évaluent ces perceptions « illogiques justifiées » (je n'ai pas la place de les aborder ici), mais ce récit naturophile irrationnel porte un coup inquiétant à la capacité des gestionnaires de risques à les traiter et à penser de manière scientifique. Il semble que les personnes qui mènent les débats sur l'environnement et la santé n'aient plus la capacité de distinguer une possibilité lointaine d'une probabilité élevée. Dans leur quête d'une gestion certaine des risques (exigeant l'impossibilité d'une exposition à un danger), les activistes ne tiennent plus compte de la probabilité d'effets néfastes, mais seulement de la possibilité que quelque chose se passe mal. Et si un danger est possible (Lloyd est à une chance sur un million), alors le danger doit être éliminé.

 

Il nous faut un mot pour désigner ce phénomène irrationnel.

 

 

Le possibilisme

 

Jusqu'à présent, j'ai qualifié ce manque de rationalité d'« Âge de la Stupidité », mais je reconnais que certaines personnes instruites se laissent prendre à cet illogisme. J'aimerais inventer le terme « possibiliste » pour désigner une personne qui accepte une possibilité lointaine comme une bonne raison d'éviter une décision et de prendre des précautions. Le possibilisme permet à ceux qui sont « en manque de confiance » de rejeter une technologie, une substance ou un danger s'il n'est pas possible de déclarer avec certitude qu'ils sont sûrs (en gardant à l'esprit que l'on peut adopter une norme très élevée en matière de sécurité).

 

S'il est possible que quelque chose cause du tort (un pesticide, un vaccin, un additif alimentaire...), les possibilistes rejetteront les assurances des autorités et des experts scientifiques et exigeront que des mesures soient prises pour les protéger et éliminer le danger. Les possibiliste ne font pas confiance à la science ou aux autorités – ils font confiance à d'autres possibilistes qu'ils ont trouvés sur Internet dans leur quête d'auto-éducation ; ils créent leurs propres données, leur propre science et leurs propres théories. Ils considèrent que la science traditionnelle est pilotée par l'industrie et la rejettent catégoriquement, tandis qu'ils promeuvent la science de leurs gourous, de leurs chamans et de leurs opportunistes.

 

Un possibiliste est un idéaliste animé par la passion de promouvoir un monde parfait (naturel, exempt d'interventions synthétiques ou de modèles d'entreprise) qui contraste avec les maux que l'intervention humaine a jusqu'à présent infligés à la société. J'évoque souvent les néo-malthusiens qui estiment que le monde ne peut pas supporter de grandes populations et que les interventions de l'homme n'ont fait que nous conduire plus loin sur la voie d'une catastrophe imminente. Les conséquences négatives de leur fondamentalisme dogmatique sont minimisées ou considérées comme nécessaires (insécurité alimentaire mondiale, augmentation des maladies...) pour réparer les erreurs des efforts qu'a fait l'homme pour résoudre les problèmes et répondre aux défis auxquels l'humanité est confrontée.

 

« Si vous aimez votre famille et vos amis, partagez ce message ! »

 

 

Comment contrarier le Risk-monger

 

Les possibilistes sont généralement des chimophobes élitistes et suffisants qui jouissent du luxe d'un monde avec des alternatives (offrant un accès abondant à la nourriture, les avantages d'une communauté largement immunisée et des technologies médicales qui peuvent corriger les mauvaises décisions). Ils forment des communautés (tribus des réseaux sociaux) qui donnent l'impression que les possibilités lointaines sont hautement probables et que les garanties réglementaires en matière de sécurité sont douteuses et contradictoires. Les possibilistes peuvent se permettre de prendre des décisions exigeant une « sécurité » à 100 % (ils ont de l'argent et ne souffrent probablement pas d'une maladie mortelle), mais que se passe-t-il lorsqu'ils imposent ces attentes aux autres ?

 

Les habitants des pays en développement n'ont pas le luxe d'écouter les absurdités des possibilistes, pas plus que les pauvres ou les malades des économies avancées. Les personnes qui ont le ventre vide, des maladies mortelles ou des moyens limités prennent des décisions en fonction du meilleur résultat probable (avec le moins de perte d'avantages ou de qualité de vie possible). Lorsque vous avez du mal à nourrir votre famille, vous ne vous souciez pas de savoir si votre fichu bœuf biologique a été nourri à l'herbe, vous faites confiance aux autorités et vous recherchez n'importe quelle source de protéines que vous pouvez vous offrir.

 

Et c'est là que le Risk-monger s'énerve. Si les possibilistes restaient simplement à l'abri dans les limites de leurs campements sectaires, partageant leur Kool-Aid chimiophobe uniquement entre eux, le reste d'entre nous pourrait ignorer ces idiots privilégiés et incultes et s'atteler au développement de technologies et de systèmes bénéfiques pour l'humanité. Mais sous la houlette de leurs gourous de l'ignorance, les possibilistes – des sortes de Luddites – étendent leur influence par le biais d'outils de communication en ligne émergents qui exploitent les personnes vulnérables et tentent de rationaliser le ridicule.

 

Se présentant comme la majorité malmenée, la voix du peuple, les 99 %, le « Nous » contre un « Eux » industriel et mondialisé, les possibilistes ont fait du lobbying, mobilisé des fonds, des réseaux et des outils médiatiques et sont maintenant entrés dans l'arène politique. Le lobbying n'a pas pour but d'améliorer l'humanité, ni de dire la vérité, ni de sauver l'environnement... il s'agit plutôt de prendre le dessus. Ce que je constate aujourd'hui, c'est que nous sommes pris au piège d'une myriade d'outils politiques irrationnels imposés dans l'arène du lobbying bruxellois par des possibilistes intelligents et rusés qui se sont frayé un chemin dans les directions et les agences européennes. Ils utilisent ces outils pour créer des conditions dans lesquelles la raison, la science et les preuves sont isolées et paralysées par la peur, la vulnérabilité et le populisme.

 

Tout irait bien si la politique possibiliste devait simplement rester à l'abri dans les limites de la bulle bruxelloise riche et élitiste, largement ignorée par les États membres et le reste du monde. Mais de nombreux pays en développement, dépourvus de structures réglementaires sophistiquées, adoptent tout simplement en masse les réglementations et les normes de l'UE, attirés (ou menacés) par les perspectives commerciales. Les économies émergentes ne peuvent pas se permettre d'imposer à leurs populations des mesures politiques aussi possibilistes.

 

L'année dernière, j'ai rencontré des experts agricoles en Asie du Sud-Est. Des pays comme la Thaïlande et l'Indonésie se contentent d'adopter la réglementation européenne en matière de pesticides. L'Indonésie, par exemple, compte 33 millions de petits exploitants (si l'on ajoute les enfants et les conjoints, cela représente environ la moitié de la population du pays) qui cultivent chacun un hectare de terre ou moins. S'ils perdent une récolte, ils ne perçoivent pas suffisamment pour payer le loyer et quittent leurs terres. La politique de l'UE en matière de pesticides, « conçue pour l'échec », n'était pas destinée à être adoptée par des pays peuplés de petits exploitants, sans politique agricole commune ni argent pour payer les agriculteurs lorsqu'ils ne parviennent inévitablement pas à produire des rendements décents sans recourir aux technologies agricoles. Cette réalité devrait inciter les décideurs européens à réfléchir à deux fois avant d'écouter des gens stupides qui répandent des absurdités possibilistes à Bruxelles. Les fonctionnaires européens devraient peut-être devenir plus responsables.

 

Pour ajouter de l'huile sur le feu de cette stupidité scandaleuse, étant donné que nous ne sommes plus capables de nous nourrir nous-mêmes, les Européens imposent alors aux pays en développement une politique qui détourne leur agriculture pour satisfaire les ventres affamés des Occidentaux (qui, par puritanisme possibiliste, exigent des aliments biologiques), plutôt qu'une politique agricole pour leurs propres économies. Cette demande d'aliments de luxe exerce une pression sur les petites exploitations familiales (et leurs enfants).

 

Toute cette folie possibiliste s'inscrit dans un discours moralisateur selon lequel ils sauvent le monde de la science diabolique menée par l'industrie qui empoisonne intentionnellement les bébés et pollue la planète par appât du gain et volonté de pouvoir. Les possibilistes croient qu'ils occupent le haut du pavé moral, transformant leur éco-religion suffisante et auto-satisfaite, dirigée par des zélotes fondamentalistes et des prédicateurs manipulateurs, en congrégations de militants passionnés.

 

Il ne se passe pas un jour sans que je sois personnellement attaqué par des personnes convaincues que je représente le mal. La semaine dernière, un média bruxellois m'a qualifié de « partisan du glyphosate ». La journaliste a admis qu'elle s'était trompée, mais ce n'est pas une raison pour corriger. Je suppose qu'il y a quelque chose de purement diabolique dans le fait de soutenir l'agriculture et la science, alors qui s'en soucie ? Les agriculteurs, les professeurs et les chercheurs sont attaqués quotidiennement jusqu'à ce que la plupart d'entre eux abandonnent, soient discrédités ou trouvent d'autres occupations. C'est la première étape de leur victoire : le refus du dialogue, des faits et des preuves. Une victoire vide de sens pour ceux qui ne sont pas intègres et qui laissent le monde dans un état d'ignorance encore plus grand.

 

Je pense que le Risk-monger a le droit d'être en colère !

 

La suite de cet article examine comment les outils politiques possibilistes pervers ont conduit à une approche basée sur le danger à Bruxelles et sont responsables de la paralysie de la précaution dont nous souffrons aujourd'hui.

 

 

Paracelse était un alchimiste médiéval

 

Paracelse a déclaré au XVIe siècle que « Tout est poison et rien n'est sans poison ; seule la dose fait qu'une chose n'est pas un poison ». Une aspirine peut faire des merveilles pour soulager un mal de tête, mais cent peuvent être moins bonnes. Ce principe de probabilité de dommage a très bien servi la toxicologie, la gestion des risques et l'humanité (jusqu'à ce que les possibilistes « plus sophistiqués » arrivent et décident de corriger ce qui n'avait pas permis d'obtenir des certitudes). Aujourd'hui, les possibilistes invoquent la possibilité d'une exposition à long terme à de faibles doses (de glyphosate, de bisphénol A ou de n'importe quoi), éventuellement combinée à d'autres substances chimiques inconnues, pour rejeter toute discussion sur les doses ou les risques acceptables.

 

Tout est poison et rien n'est sans poison ; seule la dose fait qu'une chose n'est pas un poison.

Un alchimiste médiéval

 

Les possibilistes chimiophobes restent bloqués sur la première partie du principe de Paracelse : les poisons sont indésirables et doivent être évités.

 

Les ONG effectuent donc des analyses de sang ou d'urine sur les « blessés ambulants » – les victimes de la science et de la technologie –, trouvent des preuves de la présence d'une substance chimique que la nature ne nous avait pas accordée, souvent dans la plage des parties par milliard (ppb), et déclarent que le poison est une menace qui doit être réglementée (c'est-à-dire interdite). Le fait que les niveaux d'exposition soient si faibles qu'ils ne soient en aucun cas nocifs (c'est la dose qui fait le poison) n'entre pas en ligne de compte. Et si un scientifique, un régulateur ou un communicateur a le courage de soulever ce point, les possibilistes sont prêts.

 

En 2005, alors que je m'occupais des communications au CEFIC (Conseil Européen de l'Industrie Chimique) pour le Gestion Responsable des Produits lors de la première lecture de REACH au Parlement Européen, j'avais tenté d'introduire la raison et Paracelse dans la discussion. David Gee de l'Agence Européenne pour l'Environnement (en détachement de son poste de direction de Friends of the Earth UK) a déclaré que nous ne devions plus considérer que c'est la dose qui fait le poison (il a même qualifié Paracelse d'« alchimiste médiéval »), mais plutôt que c'est : « Le timing fait le poison ».

 

Les niveaux de dose acceptable devaient être ajustés pour tenir compte de l'exposition chimique possible des enfants, des nourrissons et des fœtus (et là, nous ne trouvions pas de niveaux de dose acceptable). Les ONG testaient les cordons ombilicaux et le lait maternel à l'aide d'outils de biosurveillance sophistiqués (et très coûteux), à la recherche de traces d'exposition aux substances chimiques, les sites d'offres d'emploi recherchaient des femmes enceintes de huit mois pour un engagement à court terme lors d'événements de campagnes militantes... bref, à l'époque de REACH, c'était la saison de la chasse à Paracelse.

 

 

Le principe possibiliste

 

Au cours des débats sur REACH, je me suis retrouvé pour la première fois dans le monde étrange du possibilisme et j'ai identifié ce que j'aimerais appeler le « principe possibiliste ». Le mystérieux effet à long terme des faibles doses faisait qu'il était impossible de conclure que « risque = danger X exposition ». Tout niveau d'exposition est un danger, donc tout danger est un risque. Et même si les toxicologues pouvaient démontrer comment un fœtus pouvait survivre à l'assaut chimique de l'industrie contre l'humanité, les possibilistes avaient une autre carte à jouer.

 

Si une substance chimique n'était pas particulièrement toxique ou si la dose à long terme était minime, nous pouvions toujours évoquer la possibilité d'un effet cocktail. Cette substance chimique de synthèse (qui ne provient pas de la nature) pourrait, même à des niveaux très bas, réagir avec une autre substance chimique d'une manière que nous ne connaissons pas et, dans cette soupe toxique fabriquée par l'homme, entraîner toutes sortes de problèmes (cancer, obésité, perturbation endocrinienne, allergies, autisme... la liste des possibilités est infinie). Avec la possibilité d'effets cocktails, nous nous sommes retrouvés devant un fait accompli : le principe de Paracelse était mort – vive le principe de possibilisme.

 

Peu importe que le repas moyen combine environ 10.000 substances chimiques (selon des modalités que nous connaissons très mal), parce que, eh bien, il y avait cette substance chimique de synthèse introduite dans le monde qui pouvait avoir une plus grande probabilité de faire des ravages sur l'humanité. Bien sûr !

 

Le principe possibiliste permet aux activistes d'imposer des barrières réglementaires à toute technologie ou substance chimique dont ils ne veulent pas en soulevant trois outils illimités de dommages possibles : la possibilité d'une exposition à long terme à faible dose, la possibilité d'un effet cocktail inconnu de substances chimiques combinées et la possibilité de nuire à des populations vulnérables à des niveaux que nous connaissons si peu. Le possibiliste ignore les bénéfices ou les bienfaits sociétaux, promeut un mode de vie naturophile et implique une logique de précaution, basée sur le danger .

 

Note personnelle à propos de cette histoire : Lorsque le processus REACH s'est achevé, un spécialiste de la gestion des risques épuisé pensait que les niveaux élevés de stupidité qui imprégnaient les centres de conférence de Bruxelles auraient cessé ; mais ensuite est venue la révision de la directive sur les pesticides ; et ensuite est venue la stratégie de brouillage des activistes, celle de la perturbation endocrine – « il y a tellement de choses que nous ne savons pas »... les possibilités étaient infinies ! Cette quête de l'interdiction sélective des substances chimiques (les activistes avaient dressé une liste de cibles) était devenue une profession à plein temps. Le principe possibiliste était bien ancré dans la politique de l'UE en matière de risques environnementaux et sanitaires. J'ai alors décidé de prendre ma retraite plutôt que de passer mon temps à m'occuper de ces crétins manipulateurs.

 

 

Le possibilisme et l'approche politique fondée sur le danger

 

Le possibilisme et l'utilisation des outils débilitants du principe possibiliste (exposition à faible dose à long terme associée à des effets cocktail potentiels inconnus) n'ont pas été développés par des personnes stupides croyant en un monde sans produits chimiques. C'est loin d'être le cas. Ces militants étaient rusés et malveillants, animés par l'obsession de gagner et d'imposer au monde leur myopie radicale, anti-industrielle et anti-commerciale. Ils ont été financés par des industries (de Big Bio à Opaque Aluminium) qui ont bien profité de ces campagnes. Bravo à eux, ils ont fait passer le reste d'entre nous pour des imbéciles !

 

L'approche politique fondée sur le danger découle inévitablement du principe possibiliste. Cette approche ne relève pas de la gestion des risques, mais vise à saper le processus réglementaire de gestion des risques et à déboulonner cet infâme Paracelse. Traditionnellement, la politique réglementaire était abordée par le biais de la gestion des risques. Lorsqu'un risque est identifié (un danger auquel nous sommes exposés), le régulateur ou le gestionnaire du risque doit trouver un moyen de limiter l'exposition à ce danger. Il peut s'agir d'installer une main courante à côté des marches, d'ériger un feu rouge, de veiller à ce que les codes de construction permettent aux bâtiments de résister aux tremblements de terre, de réduire les émissions atmosphériques des automobiles ou de remplacer des produits par d'autres moins nocifs.

 

La gestion des risques est régie par le principe ALARA [as low as reasonably achievable – aussi bas que raisonnablement possible], qui consiste à réduire l'exposition au niveau le plus bas qu'il soit raisonnablement possible d'atteindre. Ce qui est considéré comme raisonnable dépend des avantages, des traditions culturelles et de la tolérance au risque de la société. Voir ma série Risk School sur la différence entre les approches politiques basées sur les risques et celles basées sur les dangers, ainsi que d'autres illustrations de l'application du principe ALARA.

 

Lorsque les possibilistes remettent en question tout niveau d'exposition (selon eux, tout niveau d'exposition pourrait éventuellement nuire à certaines personnes), les régulateurs doivent mettre sur un pied d'égalité le risque et le danger, et si un danger est identifié, ou si nous ne sommes pas certains de la sécurité d'un produit, d'une substance ou d'une technologie, le gestionnaire du risque doit l'éliminer.

 

Si le principe possibiliste fondé sur le danger devait être appliqué de manière cohérente, les technologies, substances ou produits artificiels/naturels ne seraient-ils pas tous interdits ? Les possibilistes essaient en effet d'interdire tous les pesticides et produits chimiques de synthèse, beaucoup souhaitent l'arrêt des vaccinations et certains estiment que toutes les interventions pharmaceutiques (en dehors de l'homéopathie) devraient être interdites. Cependant, les possibilistes sont suffisamment intelligents pour ne pas toucher à des avantages largement appréciés comme les téléphones portables, les voitures et la viande [ma note : quoique, pour la viande...]. Ils ne songeraient jamais non plus à imposer le principe possibiliste aux pesticides approuvés pour l'agriculture biologique (ce qui conduirait à leur interdiction à tous). Personne n'a prétendu que les possibilistes n'étaient pas hypocrites !

 

Une approche de la réglementation basée sur les dangers découle presque inévitablement de l'application du principe possibiliste. Et de l'approche basée sur les dangers découle, encore une fois presque inévitablement, la confiance réglementaire dans le principe de précaution. C'est là que réside la logique de l'illogisme.

 

 

La précaution est une émotion normale... mais pas un outil politique normal

 

Le pape possibiliste, David Gee, a identifié le meilleur moyen de perturber la politique réglementaire occidentale : redéfinir le processus d'évaluation des risques en plaçant la preuve de la sécurité (une demande de certitude issue d'un concept émotionnel à vocation normative) au cœur du processus. Dans son ouvrage Late Lessons from Early Warnings (volume 1), David Gee a redéfini le principe de précaution comme le renversement de la charge de la preuve. Au lieu que les régulateurs prouvent que quelque chose est dangereux (c'est-à-dire qu'ils identifient un risque et le gèrent), Gee, qui faisait campagne depuis son poste à l'Agence Européenne pour l'Environnement, a exigé que l'industrie prouve que quelque chose est sûr avant qu'il puisse être autorisé sur les marchés européens.

 

Il s'agissait là d'une opération absolument géniale de bâtardiser la politique réglementaire traditionnelle, car elle introduisait de l'émotion et de la subjectivité dans ce qui avait été un processus scientifique rationnel, créant ainsi la « voie vers le possibilisme ». La demande de précaution de Gee était une demande de certitude à la porte d'entrée – pas de certitude, pas d'accès au marché (c'était la base de REACH : « Pas de données, pas de marché »). Mais de quoi la science peut-elle être sûre à 100 % ? David Hume a reconnu les limites de l'empirisme plusieurs siècles auparavant – il a montré que nous ne pouvions pas être certains que même les règles de la gravité pourraient s'appliquer à l'avenir. Cela a permis aux activistes de mentir et d'émettre des doutes sur les produits et les substances qu'ils n'aimaient pas.

 

La précaution possibiliste de Gee a également créé une demande de sécurité – un autre concept chargé d'émotion. Ce que je considère comme sûr ou comme un risque acceptable peut ne pas être partagé par la personne à côté de moi qui manque de confiance. Ainsi, même si les scientifiques prouvent qu'un produit est sûr, David Gee pourrait simplement hausser les épaules et marmonner qu'il n'est pas assez sûr. Pour les possibilistes, la moindre possibilité de dommage est considérée comme créant une sécurité insuffisante... désolé pour l'industrie, mais il n'y a pas de marché pour votre médicament, produit ou substance chimique bénéfique. Il y a six ans, j'ai présenté sept raisons pour lesquelles nous devrions abandonner cette version perverse de la précaution.

 

Bien sûr, il était très difficile d'exiger une certitude de sécurité dans le cadre de la méthodologie scientifique traditionnelle et David Gee le savait. Le volume II de ses Leçons tardives était une tentative ratée d'introduire un autre outil – redéfinir la science selon une approche émergente et relativiste appelée « science post-normale ». Gee était en contact avec une école de penseurs de la philosophie des sciences, principalement des sociologues rassemblés en Norvège, qui estiment que la science ne doit pas être laissée aux scientifiques purs. Que le ciel nous en préserve !

 

Selon ces renégats, le processus d'évaluation des risques devrait être ouvert aux préoccupations du public et aux contributions de la société. Par exemple, les données scientifiques sur les OGM sont claires : ils sont sûrs et répondent à toutes les exigences réglementaires pour être autorisés sur le marché européen. Mais les scientifiques post-normaux diraient, une fois de plus : « Oh-Oh, ce n'est pas suffisant ! Le public veut un autre type de certitude ». Nous voyons des scientifiques post-normaux actifs dans le débat sur les néonicotinoïdes (avec des activistes comme Gérard Arnold et Jeroen van der Sluis qui publient des articles sur la façon de réparer le processus d'évaluation des risques « cassé »), tandis que Christopher Portier a également entrepris de saper le processus d'évaluation des risques du glyphosate.

 

Si vous abordez la gestion de l'incertitude d'un point de vue sociétal (bannir tout ce qui ne répond pas aux exigences de certitude de la société) plutôt que scientifique (amélioration continue et développement scientifique), votre définition du rôle de la science dans le processus d'élaboration des politiques va sans aucun doute changer. Gee a donc conclu, dans Late Lessons II, que le rôle de (sa nouvelle définition de) la science devrait être de se concentrer sur la correction de toutes les erreurs que la science et la technologie ont commises au cours des 500 dernières années (plutôt que sur l'identification, le développement et la résolution de problèmes). En d'autres termes, il s'agit d'éliminer tout ce qui ne répond pas à la demande post-normale de sécurité et de certitude. C'est-à-dire à peu près toutes les technologies que ces néo-luddites n'aiment pas (la plupart, mais pas toutes, celles qui sont liées aux technologies développées par l'industrie... Hum, je vois une tendance ici !)

 

 

Des bébés dans l'eau du bain post-moderniste

 

Marcel Kuntz, chercheur français en biotechnologie, a écrit plusieurs excellents articles liant le récent rejet de la recherche scientifique et de la technologie à la croyance post-moderniste selon laquelle, puisque la science ne peut rien prouver avec certitude, rien ne peut être connu. Et si rien ne peut être connu, alors nos scientifiques d'aujourd'hui n'ont aucune crédibilité. Par exemple, si une théorie scientifique est construite sur un paradigme et que ce paradigme, comme l'a soutenu Thomas Kuhn, devait changer, entraînant une révolution scientifique, alors aucune théorie scientifique n'est digne de confiance. Elle ne satisferait pas aux exigences des requins de la certitude comme les possibilistes post-normaux.

 

Ainsi, la connaissance, construite au fil de siècles de travail scientifique, est désormais soumise à l'adhésion participative de parties prenantes sans aucun intérêt, expertise ou, franchement, intellect (désolé Marcel, pour mon ajout grossier). Avec des années d'avance, Kuntz a essentiellement défini un monde gouverné par des faits alternatifs et des sociologues post-normaux.

 

Comment ces possibilistes en sont-ils arrivés à un tel état de confusion ?

 

Je pense qu'il faut remonter plusieurs siècles en arrière, à Emmanuel Kant. Kant a été le premier philosophe allemand à écrire en allemand plutôt qu'en latin et il a souvent joué avec des mots qui avaient des significations multiples. Le mot « objectif » en est un exemple. Pour Kant, le mot « objectif » avait deux significations (et s'ajoutait à deux mots latins différents) :

 

Objectif peut signifier absolu et universel (semblable aux formes platoniciennes). C'est le type de certitude que les mathématiciens et les cartésiens recherchent.



Objectif peut également signifier « non subjectif ». Si je dis « Ma femme est belle », il s'agit d'une affirmation subjective. Mais si je trouve dix ou vingt personnes qui sont d'accord avec moi, cela devient objectif.

 

L'« objectivité » exigée par les possibilistes est que nous devons être absolument certains (premier sens). La science, quant à elle, repose sur l'approche « non subjective » de Kant, selon laquelle nous continuons à tester nos théories, à les affiner et à renforcer notre compréhension. Plus les tests ne parviennent pas à falsifier une théorie, plus celle-ci devient objective.

 

La science ne vise pas la certitude cartésienne, mais l'avancement du corpus de connaissances. Ce que font les possibilistes, c'est imposer à la science une exigence confuse de certitude, prêts à rejeter l'ensemble des connaissances si leurs besoins émotionnels ne sont pas satisfaits. C'est de la folie.

 

Le fait que la quasi-totalité de Bruxelles ait adhéré à cet illogisme montre à quel point la bulle est devenue intellectuellement stérile. Je n'aurais peut-être pas dû prendre ma retraite il y a dix ans !

 

*******

 

Pour en revenir à notre héros possibiliste, Lloyd, dans le film Dumb and Dumber de Jim Carrey, nous devons accepter le fait que nous ne pouvons pas apprendre aux possibilistes à maîtriser les chiffres ou même à être raisonnables – ils ne sont pas intéressés par les faits, les données ou les preuves – ils ont un programme qu'ils sont déterminés à imposer aux autres.

 

J'ai pensé à Dumb and Dumber en regardant le récent lobbymentaire GMOs Revealed. Dans un épisode, la militante anti-OGM et anti-vaxx, Toni Bark, interviewée par Robert Saik, cherchait un moyen de conclure que le glyphosate causait le cancer. Sa logique était que si l'on n'était pas sûr à 100 % que le glyphosate ne causait pas le cancer, il était probable qu'il le causait. Le pauvre Robert n'a pas compris sa logique à la Lloyd.

 

J'ai maintenant un mot pour cela. Si seulement je pouvais trouver un antidote !

 

________________

 

David pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur Twitter ou la page Facebook de Risk-monger.

 

Source : The Possibilist Principle: How Brussels Became a Hazard-based Activist Playground – The Risk-Monger

 

 

 

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U
C'est plutôt l'histoire de ce petit pois qui empêche la princesse de dormir, mais pas la misère des paysans du royaume.<br /> Il relève de la logique élémentaire, quand on fait un choix, de considérer les risques d'une décision et ceux de la décision opposée.
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