Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« Betteraves: une course contre la montre pour se passer des néonicotinoïdes » ? Vraiment, Mme Emmanuelle Ducros ?

3 Janvier 2022 Publié dans #Pesticides, #Néonicotinoïdes, #betteraves, #Politique, #critique de l'information, #Activisme

« Betteraves: une course contre la montre pour se passer des néonicotinoïdes » ? Vraiment, Mme Emmanuelle Ducros ?

 

 

(Source)

 

 

Le titre est à dessein attrape-clics. L'article de Mme Emmanuelle Ducros est informatif mais passe à côté de l'essentiel qu'elle ne pouvait évidemment pas dire, sauf à offenser ses interlocuteurs : tout cela n'est qu'une farce. Et cela a des conséquences graves sur notre démocratie.

 

 

Le Gouvernement a mis en consultation le 27 décembre 2021 et jusqu'au 16 janvier 2022 – parce qu'il s'agit un texte ayant une incidence sur l'environnement – un projet d'arrêté « autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivante ».

 

 

Rappels

 

Nos très futés législateurs ont inscrit dans le marbre de la loi l'interdiction de l'« utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances, précisées par décret, et des semences traitées avec ces produits ». C'était par la loi « biodiversité » de 2016 et à compter du 1er septembre 2018 pour les néonics (le « ou présentant... » est venu dans un deuxième temps).

 

 

2016, c'était sous M. François Hollande, Mme Ségolène Royal et Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État chargée de la biodiversité (source)

 

 

Il se trouve qu'en 2020, deuxième année d'application de l'interdiction, les betteraves à sucre ont été victime de formidables attaques de pucerons vecteurs de maladies virales, la jaunisse selon leur désignation générique, provoquant de très importantes chutes de rendement. Le Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation annonce rétrospectivement, à l'appui de la nouvelle dérogation proposée, « une perte de rendement de -27,70 % pour les 26 principaux départements betteraviers (par rapport à la moyenne olympique sur 5 ans) avec une amplitude s’échelonnant entre -64,27 % et +1,84 % selon les départements » et une baisse de la production de sucre de l’ordre de 31 %. C'est en fait toute la filière – et elle est longue et ramifiée – qui était menacée (incidemment : « olympique »?).

 

 

(Source)

 

 

Il a fallu se rendre à l'évidence : les betteraviers – qui protégeaient jadis leurs cultures grâce à des semences enrobées – ne disposent d'aucune solution de remplacement efficace ; et il a fallu réautoriser ces semences pour la campagne 2021 dans le cadre d'une dérogation de 120 jours permise par la réglementation européenne.

 

 

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique (source du premier)

 

 

Le constat d'une situation d'urgence a du reste été confirmé récemment par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) pour la France et dix autres États membres de l'Union Européenne en réponse à la Commission Européenne. Celle-ci lui avait demandé « d'évaluer si les autorisations d'urgence accordées par les États membres étaient justifiées en raison d'un danger pour les cultures "qui ne pourrait être contenu par aucun autre moyen raisonnable", conformément au règlement de l'UE sur l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. »

 

 

(Source)

 

 

Relevons incidemment que cette situation illustre à merveille le cynisme et la veulerie qui peuvent présider à la prise de décision à Bruxelles : des pays ont voté en faveur de l'interdiction des néonicotinoïdes par facilité et sous la pression, notamment du gouvernement français sensible aux pressions des lobbies anti-néonics, en sachant très bien qu'ils pouvaient les réautoriser par des dérogations.

 

 

Une usine à gaz législative et réglementaire

 

Mais revenons à la France... Il a fallu revenir sur le formidable mouvement de menton anti-néonicotinoïdes et modifier la loi. L'ANSES ne pouvait pas simplement délivrer une dérogation comme elle le fait en d'autres circonstances (y compris en faveur de l'agriculture biologique).

 

 

(Source)

 

 

Mais plutôt que de prendre la mesure du désastre phytosanitaire et législatif, nos très futés législateurs ont produit une véritable usine à gaz par la loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

 

Faisons simple pour les besoins de ce billet : les dérogations peuvent/doivent être accordées par des arrêtés conjoints des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement, après avis d'un « conseil de surveillance », et ce, jusqu'au 1er juillet 2023.

 

C'est qu'il a fallu composer avec la fierté de Mme Barbara Pompili et les oppositions, notamment au sein de la majorité à l'Assemblée Nationale. C'est qu'il était aussi prévu – par les futés législateurs et d'autres, dans le silence contraint des « sachants » – qu'en « mettant la gomme » sur la recherche, on allait trouver des solutions miracles applicables sur le terrain – croix de bois, croix de fer – dès la campagne 2024.

 

Pour faire bonne mesure, il a été prévu que le « conseil de surveillance » :

 

« se réunit trimestriellement pour assurer le contrôle des avancées et de l'efficacité des tests en matière de recherche et de mise en œuvre d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d'action identiques à ceux de ces substances, ainsi que la conformité de ces avancées au plan de recherche sur les alternatives aux néonicotinoïdes de la filière concernée par un arrêté de dérogation mentionné au deuxième alinéa du II. […] »

 

Il y en encore sous le capot !

 

 

Une visite dans les coulisses, dans l'Opinion

 

Mme Emmanuelle Ducros ne s'est pas contentée de rapporter dans « Betteraves: une course contre la montre pour se passer des néonicotinoïdes », du 28 décembre 2021, l'information brute, agrémentée des récriminations des milieux anti-pesticides. Ceux-ci ont en effet été outrés dans une réaction pavlovienne que l'on puisse autoriser, pour une utilisation limitée et étroitement encadrée, ces insecticides «tueurs d'abeilles » (cf. le chapô de l'article de M. Stéphane Foucart dans le Monde, « Les pesticides néonicotinoïdes en voie de réautorisation pour 2022 » ou le titre de Reporterre, « Un an de plus pour les néonicotinoïdes "tueurs d’abeilles" »).

 

Nous avons donc une sorte d'état des lieux.

 

Elle rapporte en particulier les propos du député LaREM de l'Aube Grégory Besson-Moreau, qui avait porté la modification de la loi et préside aujourd'hui le conseil de surveillance de 34 membres (professionnels, chercheurs, députés, représentants de l’Etat et d’ONG) :

 

« Il manquait des moyens et de la pression [...]. Nous avons mis les deux. L’Etat a alloué 7 millions d’euros sur trois ans pour la recherche, 10 fois plus qu’auparavant. La filière et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ont ajouté 13 millions. Et nous contrôlons tous les trois mois par des réunions à Paris et au bord des champs les avancées du plan national de recherche et d’innovation. Les alternatives sont plurielles, composites ; on ne remplacera pas un produit phytosanitaire par un autre. »

 

Quel enfumage !

 

Se plaçant dans le contexte de l'adoption de la loi « biodiversité » en 2016 – et de l'échéance de septembre 2018 – Mme Emmanuelle Ducros avait écrit précédemment, à juste titre :

 

« L’intendance devait suivre et sortir une alternative de son chapeau... mais la réalité s'était cruellement rappelée au bon souvenir des "yaka". »

 

La réalité ne s'est pas encore manifestée s'agissant du nouveau dispositif, et elle est « consciencieusement » occultée. Qui pouvait croire – nous parlons ici de gens sérieux – en décembre 2020 qu'on sortirait une alternative du chapeau en trois ans, pour la campagne 2024 ?

 

Il en est un dont nous pouvons penser que sa position lui interdit de proclamer que l'empereur est nu (mais voir ici un fil sur les activités déployées en 2020) :

 

« En neuf mois, 21 chantiers de recherche ont été lancés, deux sont sur le point de l'être et il en reste deux à finaliser. "Nous avons quatre axes, qui font l’objet d’un suivi tous les 15 jours, détaille Alexandre Quillet, président de l’Institut technique de la betterave : des travaux de compréhension des viroses ; des modélisations paysagères pour intégrer dans l'équation ce qui se passe autour des parcelles, dans le territoire ; des travaux économiques pour évaluer ce qui est viable, ce qui ne l’est pas, ce qui doit être doublé de mécanismes assurantiels ; et bien sûr, l’expérimentation de solutions agronomiques proprement dites." »

 

Bien sûr... des expérimentations qui se déroulent nécessairement sur une campagne, c'est-à-dire une année... yaka...

 

M. Alexandre Quillet cite cependant quelques pistes plus précises, un petit arsenal de l'« agro-écologie ». C'est largement théorique, en tout cas au stade actuel.

 

Voici les « plantes compagnes », censées avoir un effet répulsif sur les pucerons vecteurs de jaunisse. Mais...

 

« Il faut cependant bien caler le moment où on les retire, afin qu’elles jouent leur rôle sans pénaliser la croissance de la betterave. »

 

Oui, c'est que la betterave est très sensible à la concurrence des adventices – et donc aussi des plantes compagnes. Et il se pose la question du mode de destruction, sans compter évidemment la question technique et économique du double-semis... Yaka...

 

 

(Source du premier – tout le fil)

 

 

Notez maintenant le verbe :

 

« Nous imaginons aussi des réserves autour des parcelles pour héberger durant l’hiver les auxiliaires que sont les coccinelles ou les hyménoptères, afin qu’ils puissent neutraliser les premiers pucerons du printemps. »

 

Cela pourrait être combiné avec des phéromones pour attirer les auxiliaires et des répulsifs pour chasser les pucerons, de quoi produire un équilibre délicat entre « mangeurs » et « mangés ». Mais, sauf à disposer d'une véritable armada, les coccinelles arrivent trop tard, quand les premiers pucerons ont déjà transmis la virose.

 

 

(source du premier)

 

 

M. Grégory Besson-Moreau a aussi évoqué « [u]ne variété survivant à deux viroses sur quatre [qui] pourrait être prête pour 2024 ».

 

Est-ce bien sérieux ? Une seule variété pour plus de 400.000 hectares ? Deux viroses sur quatre ? Le temps nécessaire pour les essais à plus grande échelle, la procédure d'inscription au Catalogue, la multiplication des semences ? C'est de l'aveuglement, de la fuite en avant dans les faux-semblants.

 

Il ajoute cependant, à juste titre (bien que la durée évoquée soit très optimiste) :

 

« C’est le fruit d’un travail long, qui a commencé bien avant l’interdiction [...]. Typiquement le genre de recherche qu’on pourrait faire à l’identique mais en seulement un an ou deux si nous pouvions avoir accès aux nouvelles technologies génétiques de sélection variétales, sur lesquelles l’Europe doit se prononcer l’an prochain. »

 

 

(Source)

 

 

M. Alexandre Quillet rajoute une couche :

 

« Loin de l’imprécation écologiste simpliste, chaque innovation, complexe, prend du temps, doit être évaluée pour ne pas se retourner contre l’objectif. La volonté est là, l’urgence aussi : dès 2024, il n’y aura plus de dérogation possible, la betterave devra pousser sans le filet des néonicotinoïdes. "On travaille pour ça comme des malades", conclut Alexandre Quillet. »

 

On comprend bien que dans la configuration actuelle, l'important est de sécuriser la campagne 2022. Mais il faudra bien se sésoudre à parler un jour le langage de vérité. Le mur de 2024 est factice : il suffira d'adopter une nouvelle loi (ou de sacrifier une filière agro-industrielle...). Mais ni les professions concernées, ni le pouvoir politique ne sortiront grandis des petits arrangements.

 

 

L'impossible entente

 

On ne saurait quitter ce sujet sans revenir sur les derniers événements.

 

Sur un plan plus général, l'équation « néonicotinoïdes = tueurs d'abeilles » est vraie, s'agissant du danger (comme pour de nombreux insecticides, y compris ceux utilisables en agriculture biologique), et fausse, s'agissant des risques en utilisation selon les préconisations. C'est là un sujet de discordes et le socle de positions irréconciliables (sachant aussi que pour certaines entités, le « tueurs d'abeilles » est un fond de commerce financièrement et politiquement lucratif).

 

Les betteraves à sucre, qui ne fleurissent pas hormis en production de semences et n'attirent pas les abeilles en font les frais. L'enrobage des semences aussi, alors que les apiculteurs de l'Alberta n'ont aucun problème à mettre leurs ruches dans le canola (colza) issu de semences enrobées, pourtant mellifère et très attractif.

 

Le conseil de surveillance a délibéré sur la base d'une fiche sur les réservoirs viraux et d'une fiche sur les prévisions climatiques saisonnières (à télécharger depuis ici). La première montrait que les réservoirs – tels qu'observés – sont très bas ; la deuxième, professorale, concluait en bref que les prévisions météorologique ne sont pas une science exacte et qu'il vaut mieux se positionner du côté de la sécurité.

 

 

 

 

On rappellera à cet égard que le risque est fondamentalement à la charge des planteurs.

 

Sur ces bases, sur 20 membres présents et votants (sur 34), 17 se sont prononcés pour la dérogation, deux contre (on devine lesquels... voyez le Monde et Reporterre...) et un s'est abstenu.

 

Le Monde cite M. Jacques Caplat, membre du conseil de surveillance au titre d'Agir pour l'Environnement, qui :

 

« critique quant à lui un recours aux néonicotinoïdes qui "s'apparente à une assurance" »

 

et :

 

« En réautorisant les néonicotinoïdes, on est dans une situation absurde où l'on cherche des solutions agronomiques à des problèmes économiques qui ont été créés de toutes pièces, pour des raisons purement idéologiques ».

 

Dans Reporterre, c'est :

 

« Il serait plus économique et écologique d’organiser une indemnisation des agriculteurs réellement touchés et un plan de sauvegarde de la filière, plutôt que de déverser des produits toxiques. »

 

Et, dans un communiqué d'Agir pour l'Environnement :

 

« Dans ce contexte, pour l'agronome Jacques Caplat, secrétaire général d'Agir Pour l'Environnement et membre de ce Conseil de surveillance, "autoriser à nouveau l'utilisation de ces pesticides ultra-toxiques et ultra-rémanents, sans même zoner l'autorisation ni prévoir de 'clause de revoyure' pour intégrer d'éventuels épisodes de gel, revient à utiliser une enclume pour tuer un moustique". »

 

Lorsqu'on voit de tels propos, on peut s'interroger sur la pertinence sur des systèmes participatifs pour la prise de décisions.

 

Quant à Générations Futures, la petite entreprise a déjà organisé un système de réponses panurgiques à la consultation. À la suite d'un raisonnement qui tient du salmigondis, vous pouvez vitupérer :

 

« Comment alors expliquer que le gouvernement propose de reconduire quasi automatiquement la dérogation pour l’emploi de ces insecticides tueurs d’abeilles ? La réponse est simple : il cède tout à l’industrie betteravière et à la FNSEA ! »

 

 

(Source)

 

 

Cela lui permettra de proclamer que « les citoyens » n'auront pas été entendus. Et ce sera un nouveau coup de canif dans les principes régissant une saine démocratie.

 

Mais ces principes sont aussi érodés par des politiques publiques qui prennent des libertés avec les faits et les réalités.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Y
"Néonicotinoïde tuers d'abeilles" <br /> Cette affirmation ,fausse , qui n'est devenu une vérité seulement car simplement rabâcher par des escrologistes environnementeurs, ne pourrait elle pas être attaquée en justice?<br /> <br /> A ce que je sache aucunes études n'a pu prouver ce fait !<br /> Je ne parle pas des études de GP ou autres écoloreligieux , mais celles faites par des instituts reconnues !<br /> Même celle de l'INRA qui a permis l'activation du principe de précaution pour suspendre leurs utilisation, n'a pas démontré de perte d'effectif chez les abeilles !
Répondre
J
Je propose à Reporterre et Le Monde planète d'associer aussi systématiquement:<br /> - éoliennes avec tueuses d'oiseaux<br /> - panneaux solaires avec tueurs de Ouighours<br /> -...
Répondre