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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Un publireportage désolant – mais instructif – sur l'« agroécologie » dans Sciences et Avenir : où est la science, où est l'avenir ?

5 Juin 2020 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Agriculture biologique

Un publireportage désolant – mais instructif – sur l'« agroécologie » dans Sciences et Avenir : où est la science, où est l'avenir ?

 

 

 

Couverture d'une brochure de l'Union Interprofessionnelle des Semences Fourragères de février 1969

 

Dans son numéro de mai 2020, Sciences et Avenir a publié « Deux régions reprennent en main leur destin agricole » de M. Loïc Chauveau. Un titre pompeux, dithyrambique et militant pour annoncer que :

 

« Bretagne et Nouvelle-Aquitaine font front commun contre Paris et Bruxelles. Elles s'opposent aux pratiques conventionnelles et soutiennent l'agro-écologie, incitant éleveurs et agriculteurs à privilégier les pâturages et le développement du bio. »

 

 

Les bovins français mangent de l'herbe !

 

Avez-vous un minimum de connaissances sur l'élevage bovin ?

 

Savez-vous que la France compte environ 29 millions d'hectares de surface agricole utile (SAU – environ 54 % du territoire national, en baisse continue à cause de la déprise agricole et surtout de l'artificialisation), dont 7,7 millions d'hectares de prairies permanentes, 4,9 millions d'hectares de prairies temporaires et de fourrages annuels (source : Wikipedia) ?

 

Savez-vous que la ration des ruminants est composée en moyenne de 64 % d’herbe, de 20 % de maïs ensilé, de 10 % de céréales, de 5 % de tourteaux et de 1 % de minéraux et vitamines, 88 % de l’alimentation des bovins étant directement produite sur l’exploitation agricole (source : la-Viande.fr) ?

 

Pour en savoir plus sur l'alimentation des vaches laitières, il y a un superbe fil Twitter de M. Christophe Boizard, l'agriculteur à droite de la baie de Somme.

 

 

 

 

Pour convaincre, les hommes de paille !

 

Voici maintenant l'entrée en matière de l'article de Science et Avenir :

 

« INCROYABLE ! Chez quelques dizaines d'éleveurs laitiers bretons, les vaches mangent… de l'herbe. Ces pionniers font fi depuis des années des sobriquets qui leur sont accolés par les agriculteurs conventionnels : "babas cools","marginaux", "indécrottables passéistes"... Face au système dominant qui impose depuis les années 1960 un régime à base de maïs et de soja aux animaux, ces agriculteurs essaient de faire la preuve que leur méthode, plus écologique, est aussi plus productive et plus rentable. »

 

Avec une telle collection d'hommes de paille en entrée en matière, de plus insultantes pour les « agriculteurs conventionnels », il a été possible de construire un récit des plus manichéens.

 


 

Oui, mais ce n'est qu'une partie des équations.

 

 

 

Pour convaincre, une citation sortie de son contexte et dévoyée

 

Dans le corps du texte, pour nous convaincre du mépris que l'on affiche(rait) pour l'élevage à l'herbe, il y a aussi une citation d'une thèse publiée en... 1968... L'avis d'un jeune thésard d'il y a plus de 50 ans vaut opinion largement partagée aujourd'hui ! C'est d'autant plus cocasse que l'extrait de la thèse se réfère à la Nouvelle-Zélande, grande productrice de lait à l'herbe...

 

En réalité, le géographe Armand Frémont ne critiquait pas le système herbager en tant que tel – par rapport à un système utilisant du maïs ensilage qui en était à ses débuts à l'époque –, mais le caractère « ni intensif, ni productif » et inefficace de l'élévage normand.

 

 

L'extrait cité par Sciences et Avenir est surligné. Il s'agit bien d'une comparaison de l'efficacité du système herbager normand de l'époque avec les systèmes herbagers d'autres régions. (Source : L'élevage en Normandie, étude géographique. Volume 1)

 

 

Qui distribuera les sous ?

 

Abordons brièvement le volet politique. Où est le problème ?

 

« Toutes deux [les régions Bretagne et Nouvelle-Aquitaine] se sont ainsi récemment unies pour s'élever publiquement contre la décision du gouvernement de retirer aux régions la gestion des mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) prévues pour la période 2021-2027, soit 200 millions d'euros par an. L'État s'estime plus efficace pour gérer ces fonds et les répartir équitablement entre les territoires. »

 

Résultat collatéral : le titre de l'article de Sciences et Avenir est faux : elles ont leur destin agricole en main (en partie du moins) et elles risquent de perdre les moyens d'orienter les activités agricoles en fonction de leurs caprices.

 

Choisir l'« agro-écologie » ? Mais qu'est-ce que c'est ?

 

Pour le volet agronomique et économique, sur la base de témoignages, il est affirmé que le « système dit herbager » est bien supérieur au « modèle productiviste ». En encadré, « Cinq raisons pour choisir l'ago-écologie » :

 

« 1. L'amélioration des bénéfices des éleveurs.

 

2. Le maintien de la biodiversité grâce à l'entretien de prairies pérennes.

 

L'environnement : le stockage de carbone dans le sol (changement climatique) et l'évitement des fuites de nitrate dans les rivières et dans la mer (marées vertes).

 

4. L'indépendance alimentaire économisant ainsi l'importation de soja.

 

5. Le bien-être animal : les vaches sont moins malades. »

 

Tout cela mériterait un examen plus détaillé, comme d'autres affirmations du style :

 

« Or cette plante OGM [le soja] est importée d'Amérique latine ou des États-Unis à raison de 3,5 millions de tonnes par an et le bilan climatique est désastreux du fait notamment de la déforestation. »

 

Ah, le sophisme du déshonneur par association ! L'agriculteur devenu « vertueux » cité dans l'article a réduit sa sole de maïs à 8 hectares au profit de l'herbe et produit en plus 8 hectares de blé-féverole... Combien avant ? Il aurait tout aussi bien pu maintenir son ancien système avec plus de maïs en produisant lui-même ses protéines.

 

 

« Les systèmes herbagers multiplient les avantages »... Ah bon ?

 

Un graphique – non sourcé mais vraisemblablement fondé sur des données de l'étude économique 2016-2017 du Centre d'Étude pour un Développement Agricole plus Autonome (CEDAPA), une association de 155 agriculteurs des Côtes d'Armor – est censé convaincre le lecteur de la supériorité des systèmes herbagers.

 

Notons incidemment que qualifier le système « 100 % maïs/soja » de « système conventionnel » relève au mieux de l'escroquerie intellectuelle. Du reste, un tel système existe-t-il en Bretagne (ou ailleurs) et, si oui, avec une fréquence non anecdotique ? Notons aussi que dans ce graphique, le « système herbager » est de « 50 % herbe, 50 % maïs/soja »...

 

Ce graphique est-il des plus convaincants ? A priori oui, mais... serait-ce que les agriculteurs pratiquant le système faussement appelé « conventionnel » seraient à ce point idiots qu'ils refusent de changer de système ?

 

Les systèmes herbagers sont pourtant promus en Bretagne (et ailleurs) depuis les années 1980 par un personnage respecté, M. André Pochon, qui préconise une association de ray-grass et de trèfle blanc. S'ils ne se sont pas imposés, c'est qu'il y a quelques problèmes...

 

 

Serait-ce que les comparaisons sont affligées de biais ? Par exemple que les exploitations à dominante herbagère bénéficient de conditions agro-climatiques propices à la culture de l'herbe ?

 

Serait-ce que, comme pour les définitions des systèmes, il y aurait...

 

Nous trouvons dans ce graphique des chiffres qui correspondent à ceux des « Résultats de l’étude économique 2016 - 2017 » du CEDAPA, par exemple pour les frais vétérinaires.

 

 

RICA = Réseau d'Information Comptable Agricole

 

 

 

 

Une source pour les chiffres... mais des différences...

 

Mais, nous y trouvons aussi des différences, tant dans la définition des systèmes que dans les chiffres. Ainsi, Science et Avenir annonce des productions annuelles de 7.000 et 6.500 litres de lait par vache en « conventionnel » et en « herbager », respectivement (et, dans le corps du texte, une réduction de la production « de 400 à 600 litres de lait » ; dans le document du CEDAPA, c'est 6.975 litres (proche des 7.000 de Sciences et Avenir) en « conventionnel » et 5.675 litres en « herbager » (4.314 litres en « herbager bio », un mode partiellement passé à la trappe dans l'article de Sciences et Avenir).

 

 

Les chiffres du CEDAPA

 

Alors qu'ils sont 70 % (plus de 100) à être des éleveurs laitiers au CEDAPA et que « 60% des adhérents sont signataires d’une mesure agro-environnementale SPE (système polyculture élevage) et 50% sont en agriculture biologique (données 2019) », la comparaison du CEDAPA ne porte que sur 21 exploitations « herbagères » et 13 « herbagères bio ». Il y a probablement de bonnes raisons à cela, mais un doute est permis : biais de sélection ?

 

Il y a aussi des choses qui intriguent. Ainsi, les charges de mécanisation 653 euros/hectare en « conventionnel », 503 euros/hectare en « herbager ») sont-elles si différentes entre des systèmes qui ne se distinguent pas par la nature des cultures mais par leur proportion (67 % d'herbe et 33 % de maïs en « conventionnel » – loin du 100 % maïs/soja de Sciences et Vie – contre 89 % d'herbe et 11 % de maïs et autre en « herbager – également loin du 50-50 ») ?

 

 

« Bénéfice courant » ou excédent brut d'exploitation ?

 

Mais prenons acte des chiffres fournis par le CEDAPA. Quant à Sciences et Avenir, il nous semble qu'on tente de nous « vendre » les chiffres les plus « beaux ». Le « bénéfice courant pour 1000 litres de lait » n'est qu'un indicateur parmi d'autres de la performance d'une exploitation. Ce n'est du reste pas le plus approprié.

 

Les comparaisons se font généralement sur l'EBE, l'excédent brut d'exploitation, un chiffre largement indépendant des particularités de l'exploitation et permettant des comparaisons parlantes.

 

En triturant les chiffres du document du CEDAPA, nous avons trouvé un EBE/hectare de surface fourragère de quelque 1.610 euros en « conventionnel » et 1.230 euros en « herbager ».

 

D'où vient la différence ? Une production par vache plus élevée et surtout un chargement à l'hectare – et donc une production de lait par hectare – plus élevé en « conventionnel » (calculés à 54 ares/vache contre 84, ou 1,86 contre 1,19 vache/hectare et 13.000 litres contre 6.700).

 

Il manque une donnée, le chargement à l'hectare (ou la surface par UGB), pour faire le calcul sur l'« herbager bio ». Si on prend un hectare par vache, l'« herbager bio » fait jeu égal avec l'« herbager ».

 

Attention ! Tout cela s'entend sur la base des prix du lait utilisés par le CEDAPA, en vigueur à l'époque analysée, ains quei, notamment, le prix des concentrés. L'exercice que nous avons fait ci-dessus fait aussi l'impasse sur d'autres facteurs tels que la part de la surface fourragère réservée à l'élevage des suites et notamment des génisses de renouvellement. Les chiffres ci-dessus sont sans doute faux dans la réalité mais parlants « toutes autres choses étant égales par ailleurs ».

 

L'objectif de l'exercice a été de montrer que la présentation faite dans l'article de Sciences et Avenir est outrancière. Encore une fois, les agriculteurs ne sont pas idiots : il n'y aurait que des éleveurs en « herbager bio » s'il était bien vrai que l'« herbager bio » dégage un résultat courant 4,5 fois plus grand que le « conventionnel » aux 1.000 litres (selon les chiffres sélectionnés par Sciences et Avenir) et 2,8 fois à l'hectare (un chiffre que l'on peut tirer facilement du document du CEDAPA).

 

 

 

 

L'entourloupe de l'empreinte carbone

 

Repassons à Sciences et Avenir. Selon le graphique, le « conventionnel » et l'« herbager » ont une empreinte carbone de, respectivement, 8.897 et 4.996 kgde CO2/hectare. Selon le texte, c'est, respectivement, 0,87 et 0,75 kgde CO2/litre de lait (ces chiffres sont peut-être tirés de ce document). Ce serait une des raisons qui aurait poussé le Conseil Régional à soutenir fortement les exploitation « herbagères » « pour un montant de 195 millions d'euros depuis 2015 » (soit 39.000 euros par exploitation ou peut-être éleveur – le texte est ambigu).

 

Pourquoi a-t-on donné des chiffres à l'hectare dans le graphique ? Manifestement pour enjoliver la situation en faveur de l'« herbager ».

 

La différence à l'hectare – à partir d'une différence plutôt modeste au litre de lait – n'est importante... que parce qu'on produit beaucoup plus de lait à l'hectare en « conventionnel ». Toutefois, l'objectif de l'élevage laitier n'est pas d'occuper des hectares, mais de produire du lait (et accessoirement des veaux). C'est là un exemple de plus des entourloupes de l'idéologie du « bio » qui met en avant l'indicateur le plus favorable à sa cause, mais le moins pertinent.

 

 

« C'est incroyable ! »

 

Passons à la conclusion de l'article de Sciences et Avenir :

 

« Autant de raisons qui ont poussé le conseil régional à soutenir désormais fortement ces exploitations à travers les Maec pour un montant de 195 millions d'euros depuis 2015. "En cinq ans, nous avons accompagné 5000 éleveurs dans leur transition, et notre but c'est d'impliquer l'ensemble des 30000 exploitants de la région", ambitionne Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne. D'où la colère de se voir déposséder des fonds nécessaires pour mener à bien cette révolution agro-écologique. La nourriture des vaches, nouvelle pomme de discorde entre jacobins et girondins! »

 

L'article s'ouvrait par « Incroyable ! » ? Nous pouvons fermer ce billet par « Incroyable ! » : on prétend « accompagner » des agriculteurs vers un mode de production qui serait beaucoup plus rentable et qui, a priori, n'a pas besoin d'être soutenu... puisqu'il est dit qu'il est rentable ! Pensez donc, un « bénéfice courant » de 76 euros/1.000 litres de lait quand le « conventionnel » n'en dégage(rait) que 30...

 

Et par un autre « Incroyable ! »... Les surfaces agricoles n'étant pas extensibles, ce qui est proposé – en prenant les chiffres du CEDAPA en quelque sorte à la lettre – c'est une réduction de la production de lait de... moitié. Les conséquences sur la filière agroalimentaire et la vie économique bretonnes seraient dévastatrices.

 

On ne peut pas extrapoler linéairement à la France entière. On sait que, sur 10 litres de lait produits, 4 sont exportés et que la France a exporté pour quelque 6,6 milliards d'euros de produits laitiers en 2016 (près de 7 milliards en 2018), pour 3,4 milliards d'euros d'excédent commercial. Mais il est clair que la politique proposée entamerait une part importante de ce bienfait pour l'économie française.

 

 

Vive l'écologisme décroissantiste !

 

La région Nouvelle-Aquitaine a eu droit à un encadré dans Sciences et Avenir.

 

Au programme de la région (pour autant qu'elle garde le contrôle des fonds du 2e pilier de la PAC et que la majorité actuelle rempile aux prochaines élections) :

 

  • certifier 80 % des exploitations de la région en bio dès 2030 ;

     

  • interdire l'utilisation des pesticides cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques encore autorisés dès 2025 (mesure sans doute illégale, la région n'ayant pas compétence en la matière) ;

     

  • interdire tous les produits phytosanitaires en 2030 (l'article ne dit pas s'il s'agit seulement des produits « de synthèse ») ;

     

  • « L'agriculture devra en outre réduire de 30 % ses prélèvements d'eau l'été » ;

     

  • « 30 % des exploitations commercialiseront leurs produits en circuit court à la fin de la décennie » (on se demande comment le Conseil Régional pourra organiser et imposer cela... foie gras et chopine de bordeaux obligatoires au petit déjeuner ?) ;

     

  • la restauration collective devra utiliser 20 % de produits bio et les cantines scolaires 30 % (obligations probablement illégales, tout au moins pour la restauration collective) ;

     

  • l'ensemble des lycées agricoles devront basculer sur l'enseignement des pratiques agro-écologiques (gageons que sur ce point, ce sera une obligation nationale... mais que sont les « pratiques agro-écologiques » ?).

 

Tout cela, c'est sous le titre : « La Nouvelle-Aquitaine veut répondre à l'urgence climatique »...

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M
Selon Marion Enzer de fermes d'avenir, pas d'OGM en agroécologie. Ce modèle trop flou à été happé par les écologistes et ce qui essaye de défendre une définition rationnel ne sont pas écouter. <br /> <br /> https://twitter.com/MarionEnzer/status/1268556609141313538
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D
Les organismes agricoles en tiennent une couche également: je lis dans une revue spécialisée lait, l'avis d'un "expert" sur la gestion de l'herbe et j'ai l'impression d'entendre André Pochon en 1983, lors d'une de ses interventions dans notre école.<br /> Selon cet expert, vu que la pousse d'herbe était très bonne (fin avril, début mai en Bretagne), il fallait faire du "stock sur pied". L'autre solution, non préconisée car sans doute pas gaïa compatible, était de faire de l'enrubannage, histoire de stocker l'excédent d'herbe dans de bonnes conditions.<br /> Je ne sais pas si vous avez noté, mais la deuxième quinzaine de mai a été sèche et chaude, si bien que l'herbe, "stockée sur pied" a grillé et est devenue de la paille, avec une valeur alimentaire très dégradée (donc, pour la valoriser, il faut ajouter des concentrés, bien joué les gars).<br /> Et oui, la gestion de l'herbe est compliquée et aléatoire et ce n'est pas pour rien que le maïs s'est imposé car il offre une sécurité fourragère imcomparable.<br /> En attendant, les éleveurs qui ont suivi les conseils de ces "experts" sont dans la mouise.<br /> Rappelons quand même que les conseils de André Pochon s'appliquent correctement dans des zones humides, pas trop chaudes, en gros centre et nord Bretagne, Normandie, et encore. Ailleurs, c'est très risqué, mais qu'est ce qu'on ne ferait pas pour faire plaisir à S&A.
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