Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Alimentation : quand une revue « prestigieuse » comme Nature succombe au militantisme politique, nous avons un gros problème

7 Décembre 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #critique de l'information, #Activisme

Alimentation : quand une revue « prestigieuse » comme Nature succombe au militantisme politique, nous avons un gros problème

 

André Heitz*

 

 

 

 

Le 10 octobre 2018, la revue Nature – la bienséance exige que son nom soit précédé de « prestigieuse » – la prestigieuse revue Nature a publié « Options for keeping the food system within environmental limits » (options pour maintenir le système alimentaire dans les limites environnementales) de Marco Springmann et al.

 

En voici le résumé (nous découpons en paragraphes) :

 

« Le système alimentaire est un facteur majeur du changement climatique, des modifications de l'utilisation des terres, de l'épuisement des ressources en eau douce et de la pollution des écosystèmes aquatiques et terrestres par des apports excessifs d'azote et de phosphore.

 

Nous montrons ici qu'entre 2010 et 2050, en raison des changements attendus dans la population et les niveaux de revenus, les effets environnementaux du système alimentaire pourraient augmenter de 50 à 90% en l'absence de changements technologiques et de mesures d'atténuation spécifiques, pour atteindre des niveaux qui sont au-delà des frontières planétaires qui définissent un espace d’exploitation sûr pour l’humanité.

 

Nous analysons plusieurs options pour réduire les effets environnementaux du système alimentaire, y compris des changements alimentaires vers des régimes alimentaires plus sains et davantage fondés sur les végétaux, des améliorations des technologies et de la gestion, ainsi qu'une réduction des pertes et gaspillages alimentaires.

 

Nous trouvons qu'aucune mesure unique n'est suffisante pour maintenir ces effets simultanément dans toutes les frontières planétaires et qu'une combinaison synergique de mesures sera nécessaire pour atténuer suffisamment l'augmentation projetée des pressions sur l'environnement. »

 

L'article est derrière un péage, mais il y a un accès ici. Nous ne le commenterons pas, sauf à dire que cela semble enfoncer des portes ouvertes, sur le plan des principes tout au moins, et que bien malin est celui qui peut faire des projections à l'horizon 2050. Et ce n'est pas non plus l'objet de ce billet.

 

Mon propos porte sur ce qui semble être une politique éditoriale qui dérape sur une pente glissante vers l'activisme, pour une revue qui est généralement considérée comme une des publications scientifiques les plus prestigieuses du monde.

 

Le 14 novembre 2014, la – prestigieuse – revue Nature a publié une lettre, « Governments should unite to curb meat consumption » (les gouvernements devraient s'unir pour réduire la consommation de viande), qui se fonde sur l'article précité.

 

Il y a une signature unique : M. Philip Lymbery de l'Université de Winchester, au Royaume-Uni, sans autre précision. Quelle fonction à l'Université ? Il serait professeur invité. Quelles publications scientifiques ? Google Scholar ne renvoie aucun résultat.

 

En fait, son occupation principale est d'être le directeur général de Compassion in World Farming (CIWF), une organisation de militantisme et de lobbying militant pour la fin du système actuel de production de viande – ce qu'elle appelle les « fermes-usines » – en tant que moyen de promouvoir le bien-être des animaux de ferme.

 

Ne trouvez-vous pas étonnant que l'occupation principale du signataire ne soit pas indiquée ?

 

En fait, il y a entre 60 et 70 co-signataires listés dans des informations supplémentaires. On n'est plus dans le domaine de la science mais bien dans celui du manifeste.

 

Pour les universitaires, seule l'université d'affiliation est mentionnée. Pour les autres, c'est la ville de résidence, sans aucun rattachement à une organisation.

 

En deuxième position dans cette liste derrière M. Lymbery : « Jane Goodall, Bournemouth, UK ». La célèbre primatologue est certes une personnalité prestigieuse, mais a-t-elle les compétences pour s'exprimer sur la politique alimentaire dans une revue scientifique ? Mme Goodall s'est aussi rendue célèbre plus récemment avec ses curieuses « connaissances » sur la biotechnologie agricole, qu'elle rejette avec véhémence, et l'appui qu'elle a apporté à l'un des grands charlatans du business de l'anti-OGMisme, Jeffrey Smith.

 

 

 

 

Et qu'en est-il de « Dave Goulson University of Sussex, UK. », dont la spécialité est les abeilles – et qui est bien connu comme un militant anti-pesticides et un « scientifique à louer » ? Et « Hans Herren Millennium Institute, Washington DC, USA » – l'un des co-organisateurs de l'infâme mascarade du « Tribunal International Monsanto » ?

 

Que représente donc cette lettre ? La liste des signataires soulèvent de fortes suspicions. Mais le message clé est limpide :

 

« ...Nous exhortons les pays à travailler avec les Nations Unies en vue de la conclusion d’un accord mondial sur l’alimentation et l’agriculture promouvant l’adoption de tels régimes [« flexitariens » fondés sur les végétaux], qui sont plus durables que les régimes à base de viande et étayés par des preuves relatives à l'alimentation saine. »

 

La – prestigieuse – revue Nature est bien sûr libre de sa politique éditoriale, mais est-on dans le domaine de la science avec l'article original et la lettre ? Nous pensons que c'est du militantisme. Il ne s'agit pas de contribuer à la réflexion sur notre avenir, mais de promouvoir un mode de vie et un régime alimentaire.

 

Un militantisme de plus doublement critiquable.

 

Les signataires ont-ils une idée de ce que pourrait être un tel accord ? De ce qu'il pourrait contenir ? Des mesures pour sa mise en œuvre ? Etc.

 

Vive le Gosplan alimentaire mondial ! Dirigé et animé par des diplomates, de préférence...

 

Et, bien sûr, cet appel à une gouvernance, voire une dictature alimentaire mondiale, est brièvement « étayé » par ces lieux communs qui servent d'argumentaires mille fois répétés par le militantisme. Il y a notamment :

 

« Dans l'agriculture industrielle, les céréales qui sont comestibles pour l'homme sont données aux animaux pour être transformées en viande et en lait. Cela mine notre sécurité alimentaire : l'élevage du bétail n'est efficace que si les animaux convertissent des matériaux que nous ne pouvons pas consommer en aliments que nous pouvons manger. Cela implique de les élever sur des prairies extensives, de pratiquer des systèmes intégrés de rotation de cultures et d’élevage et d’utiliser des sous-produits, des déchets alimentaires inévitables et des résidus de culture comme aliments pour animaux. »

 

Ces gens ont réinventé, en partie, l'agronomie, sans en mesurer les véritables tenants et aboutissants. Parce que, par exemple, ne produire du bétail que sur les « prairies extensives » a un coût en termes de rendements par rapport à un système naisseur-engraisseur. Et « pratiquer des systèmes intégrés de rotation de cultures et d’élevage » signifie détourner temporairement des surfaces dédiées à la production d'aliments pour les humains en faveur de l'élevage.

 

Avec une telle proposition, l'avenir – la coercition alimentaire par la coercition agricole (vraisemblablement complémentée par une police de l'assiette et des tickets de rationnement) – sera radieux :

 

« Nourrir les animaux exclusivement avec de tels matériaux réduirait considérablement la disponibilité et donc la consommation de viande et de produits laitiers, ainsi que l'utilisation d'eau, d'énergie et de pesticides, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre. »

 

La – prestigieuse – revue Nature s'était déjà aventurée dans le domaine de la politique et du militantisme avec une lettre de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel, « Risks associated with glyphosate weedkiller resurface » (les risques associés à l'herbicide glyphosate refont surface), et ce, en refusant subséquemment une réponse (voir « Glyphosate : quand Nature publie des lettres militantes... le Parlement Européen est mené en bateau »).

 

Il y a récidive. Ce n'est pas bon pour le prestige de la – prestigieuse – revue Nature. Mais on peut s'en moquer.

 

Ce n'est pas bon pour la science. Et là, nous avons un problème.

 

_____________

 

* Une version un peu différente de cet article a été publiée dans Genetic Literacy Project sous le titre : « Viewpoint: The public loses when a ‘prestigious’ journal such as Nature indulges in political activism ».

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Oui, vous avez un gros souci... vous allez bientôt devoir cesser de tout détruire et d'empoisonner tout le monde... incroyable, non ?
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour vos commentaires (si, si…)<br /> <br /> Je vois que j'ai affaire à une formidable capacité argumentative.