Santé publique et insanité publique

Santé publique et insanité publique

Vraiment ?

Un lecteur m'a mis sur la piste de « Nadia Volf : "On peut optimiser notre trésor génétique grâce à l’acupuncture" » publié dans le Figaro Madame du 20 mai 2018.

Dans une démocratie qui respecte la liberté d'expression, il est permis à tout un chacun d'écrire toutes sortes d'âneries, d'inepties et de sottises, et même de les publier dans un livre.

Il est permis aussi à un docteur en médecine d'exciper de son titre. Mais il existe un code de déontologie médicale avec un article 31 « essuie-glace » (identique en substance à l'article R.4127-31 du Code de la Santé Publique) :

« Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. »

L'explication de texte comporte notamment le paragraphe suivant (c'est nous qui graissons) :

« Dans l'exercice de sa profession, c'est surtout dans ses rapports avec les patients que le médecin peut être amené à commettre de tels actes : manquement aux devoirs d'honnêteté, comportements ou propos scandaleux, grossièretés, attentats à la pudeur, exigences financières abusives, acte de cupidité... Mais peut être regardé aussi comme déconsidérant la profession médicale, le médecin qui se comporte en charlatan ou qui fait commerce de sa fonction. »

Le comportement de charlatan relève ainsi de la Chambre Disciplinaire du Conseil de l'Ordre des Médecins. Mais admettons que le sujet est devenu délicat avec la multiplication des charlataneries médicales qui ont pignon sur rue.

Alors voyons l'article 13 :

« Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d’une cause qui ne soit pas d’intérêt général. »

L'article du Figaro Madame est le compte rendu verbatim (en principe) des propos tenus par Mme Volf. Florilège :

« Nous utilisons seulement 10 % de notre capacité cérébrale et 10 % de notre ADN. Cela signifie aussi que nous n’avons recours qu’à une toute petite partie de nos vaisseaux sanguins, de nos muscles… Nous disposons donc d’une immense réserve inexploitée. Il est probable que lorsque nous sommes en bonne santé nous n’ayons pas besoin de puiser dans ces réserves. En revanche, lorsque nous tombons malades, l’activation de cette deuxième voie physiologique, à l’instar du second souffle des marathoniens, permet d’augmenter les capacités de notre corps. Les méridiens d’acupuncture qui le traversent sont en quelque sorte les clés nous donnant accès à ces serrures. Ainsi, la stimulation de tel point d’un méridien, connecté à tel organe du corps, conduit à une cascade de réactions physiologiques qui "allume" dans le cerveau une zone spécifique. L’acupuncture n’est rien d’autre qu’un moyen d’activer les forces de défense et de compensation qui existent en nous. »

« Longtemps, on a cru en effet que notre capital génétique était figé. Or, depuis quelques années, de même qu’on a admis la plasticité neuronale, cette capacité du cerveau à remodeler ses connexions en fonction de l’environnement et des expériences vécues, on a découvert aussi la plasticité génétique. »

« Par ailleurs, le foie sécrète une substance qui couvre les muqueuses des yeux et du nez et protège donc des allergies. »

« Notre cœur ne se réduit pas à une simple pompe électrique qui propulse le sang à travers les vaisseaux sanguins ; c’est aussi la source d’énergie électromagnétique la plus puissante de l’organisme. À l’instar du système sanguin, qui irrigue chaque cellule de notre corps, le système cardiaque, avec ses ondes électromagnétiques, a une action régulatrice sur l’activité de toutes nos cellules. »

« La longévité de chacun est génétiquement programmée dans le corps. Certaines protéines (les sirtuines) en sont les messagers. L’acupuncture permet d’agir sur cette programmation en activant ces protéines. Concrètement, cela se traduit par l’allongement des télomères (sortes de petites queues situées sur les chromosomes), que certaines maladies chroniques, par exemple, peuvent raccourcir. Mais ça n’est pas figé ! Là encore, on peut parler de plasticité des télomères. »

Il est permis – écrivions-nous ci-dessus – à tout un chacun d'écrire toutes sortes d'âneries, d'inepties et de sottises, et même de les publier dans un livre.

Mais est-il conforme à la déontologie journalistique de les répercuter ? Et surtout de le faire sans recul ni esprit critique ? Figaro Madame, vous avez fauté !

Les commentateurs (à une exception près) ne se sont pas privés de le faire savoir. Dans le lot :

« Qu'au XXIe siècle on profère encore de telles inepties révèle la déroute de l'esprit de la bobosphère ! »

Cela rejoint d'une certaine manière le propos tenu récemment par Mme Agnès Buzyn sur France Inter :

« Il va y avoir une loi sur les fake news en politique. Je trouve vraiment que c'est aujourd'hui, un enjeu majeur de citoyenneté et de responsabilité collective que de faire réapparaître la rationalité et la vérité dans le débat public, et donc dans les réseaux sociaux. »

Il est aussi loisible à Mme Buzyn d'agir et de saisir le Conseil de l'Ordre.

Mme Volf enseigne aussi à l'Université Paris-XI (Orsay) dans le cadre d'une formation menant à un diplôme inter-universitaire d'« acupuncture scientifique: médecine factuelle et pratique » (et ici). Trois adjectifs... trois sujets d'étonnement !

Que pensent les disciples d'Hippocrate, les vrais, de ce salmigondis :

« L’enseignement de l'Acupuncture Médicale est basé sur les aspects à la fois scientifiques et cliniques, intégrés à la pratique quotidienne de toutes les spécialités médicales. Grâce à l'approche méthodologique de la Médecine Factuelle de l'acupuncture objectivant une efficacité démontrée dans de nombreux essais cliniques randomisés ainsi qu'aux techniques les plus avancées d'imagerie médicale en passant par les données apportées par l'acupuncture expérimentale, l'acupuncture millénaire offre un champ thérapeutique insoupçonné dans le service de santé moderne et peut y être pleinement intégrée. »