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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Agriculture biologique, enfumages politiques et mensonges médiatiques

18 Novembre 2016 , Rédigé par Seppi Publié dans #Agriculture biologique, #critique de l'information, #Politique

Agriculture biologique, enfumages politiques et mensonges médiatiques

 

 

Une image idyllique --  Porc Schwäbisch-Hällisch (Photo: Bäuerliche Erzeugergemeinschaft Schwäbisch Hall)...

 

 

Nous sommes à la mi-novembre 2016... L'Agence Bio – que nous finançons en partie par nos impôts pour faire la promotion d'une forme particulière d'agriculture d'une manière qui pose question – n'a toujours pas publié ses statistiques pour 2015. Mais elle a organisé des Assises Nationales de la Bio, sur une seule journée, le 14 novembre 2016. On peut visionner l'ensemble de la manifestation ici (6 heures 15).

 

C'était donc l'occasion de paraître dans les médias...

 

Et une autre image (source)

 

Le pompon pour M. Stéphane Le Foll

 

Mais petit retour en arrière. Le 7 novembre 2016, M. Stéphane Le Foll, Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt, et Porte-parole du Gouvernement, annonce :

 

« Depuis 2015, les demandes des agriculteurs pour bénéficier des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) ou du soutien pour l’agriculture biologique sont en forte croissance.

 

Une des conséquences du succès de ces dispositifs est le dépassement des budgets initialement prévus, et ce malgré un doublement des budgets alloués à ces mesures entre la période 2007/2014 et la période 2015/2020.

 

Afin de répondre à cette forte montée en puissance, qui traduit la volonté des agriculteurs de s’engager dans le sens de l’agro-écologie, Stéphane Le Foll a obtenu la mobilisation de 50 M€ supplémentaires sur le budget du ministère de l’Agriculture. Ils sont destinés à couvrir les forts besoins constatés sur l’année 2016. »

 

Notons que les millions supplémentaires sont à deux fins. Mais il prend les vessies pour des lanternes. En pleine crise agricole, de nombreux agriculteurs, pris à la gorge, cherchent par tous les moyens à s'en sortir. Une partie des « conversions » aux MAEC et à l'agriculture biologique relève de la recherche de subventions ; on ne saurait le reprocher aux agriculteurs. Mais libre au ministre à temps partiel de croire à une « volonté des agriculteurs de s’engager dans le sens de l’agro-écologie » ; ce n'est toutefois pas une bonne politique que de succomber à une démagogie indigente.

 

Pour le bio, les statistiques sur la durée sont éloquentes : la progression de l'agriculture biologique relève en partie de l'effet d'aubaine. Encore une fois, on ne saurait le reprocher aux agriculteurs.

 

 

 

Un bon point pour le Monde

 

Le Monde a publié le 14 novembre 2016 un excellent « L’appétit dévorant de la grande distribution pour le bio ».

 

Les chiffres sont éloquents : la grande distribution généraliste et spécialisée représentent près de 80 % du chiffre d'affaires du bio. On est loin de l'image idyllique et bucolique d'une agriculture biologique proche du consommateur, du « bio et local ».

 

 

 

Les palmes à M. Florent Guhl

 

Nous étions habitués à Mme Elisabeth Mercier... promue inspectrice générale de l'agriculture, et ses écharpes (elle n'a pas le monopole de ce tic vestimentaire). Monsieur Bio, c'est maintenant M. Florent Guhl et, question enfumage et désinformation, nous sommes servis :

 

« Un des avantages de la production en agriculture biologique, c'est de ne pas avoir de pesticides. C'est aussi une production locale, qui respecte la terre et le travail des agriculteurs. »

 

Non, Monsieur Guhl, l'agriculture biologique utilise aussi des pesticides, et certains ne sont pas anodins. En fait, l'idéologie du « bio » force même les producteurs à utiliser des substances, qualifiées de naturelles, dont l'impact sanitaire et environnemental peut être supérieur à celui des contreparties de synthèse. Et dans certaines productions l'itinéraire raisonné est plus favorable à l'environnement que le bio.

 

 

L'agriculture biologique respecte la terre ? Avec le cuivre ? Les façons culturales, notamment les labours, que nécessite la lutte contre les mauvaise herbes ?

 

Nous ne le contredirons pas !

 

 

Propos entendu lors des Assises, de M. Jean-Fred Coste, viticulteur dans la Gard et administrateur de FranceVinBio :

 

« A Bordeaux, la pression parasitaire est forte. Cette année, la quasi-totalité du cuivre utilisable sur une période de cinq ans a été mobilisée par certains producteurs. »

 

On parle de quelque 30 kilos, alors qu'on a estimé que 4 kilos devraient être la limite maximum et que, pour tenir compte des aléas de la production bio, on en a autorisé 6, en ajoutant de surcroît une flexibilité sur cinq ans.

 

Remarquons que, comme cela a été rapporté par plusieurs médias, des viticulteurs bio ont fait le choix cornélien de sauver leurs récoltes (et l'avenir de leurs vignes) avec des produits de synthèse au détriment de la certification bio (voir par exemple ici). Ce n'est pas la première fois...

 

Quant à la production locale, voir ci-dessus.

 

 

Ce tableau montre aussi qu'il y loin entre le discours et la réalité pour nombre de productions, tant en termes de vente directe que d'importations.

 

Et le travail des agriculteurs ? Voici ce que rapporte Actu-environnement dans « Agriculture bio : les défis à relever face à la croissance » :

 

« Le contre-exemple, c'est le marché des œufs bio qui a connu une croissance de 15% en 2015. Produit d'appel de la grande distribution, il séduit de nombreux consommateurs. "Mais les agriculteurs ont du mal à vivre de cette production, les prix sont trop bas aujourd'hui, malgré une sous-production par rapport à la demande", alerte Bernard Devoucoux, agriculteur dans l'Allier et président de la commission bio du Syndicat des labels avicoles de France (Synalaf). Le problème : l'arrivée d'élevages hors normes sur ce marché. "Il n'y a pas de limitation de la taille des élevages dans la réglementation européenne. Pourtant, ce qui se développe aujourd'hui ne correspond pas à l'image que l'on se fait de la bio", souligne cet exploitant. »

 

Il n'y a pas que les élevages qui sont hors normes. La grande distribution a ses exigences... Pourtant :

 

« Certains s'inquiètent donc de la percée du bio dans la grande distribution, où les relations commerciales sont souvent tendues. Les méthodes peuvent paraître aux antipodes de celles prônées dans le bio, mais Florent Guhl se veut optimiste : "La grande distribution permet à des consommateurs de découvrir les produits issus de l'agriculture biologique, comme le lait, les œufs.»

 

Est-ce de la naïveté ou du réalisme contraint ? Contraint parce que la grande distribution – générale et spécialisée – est devenue un client incontournable, un dragon qu'il ne faut surtout pas exciter ? Un allié dans la promotion de l'idéologie du bio (d'ailleurs au profit de qui ? Les agriculteurs ? Vraiment?) ?

 

Ajoutons encore ceci :

 

« Un quart des œufs achetés en grande-surface sont bio, donc on a une marge très importante de progrès, grâce aux distributeurs aussi. »

 

Le marché étant mature, la croissance du bio ne peut se faire qu'au détriment du conventionnel. Est-ce la vocation des fonds publics qui alimentent l'Agence Bio de promouvoir les intérêts des uns au détriment des autres ?

 

 

Le Parisien hors concours !

 

« Consommer bio et pas cher, c'est possible » nous affirme le Parisien avec une infographie que l'on peut interpréter comme la démonstration de la relativité de la notion de « pas cher ».

 

Voilà donc un panier parisien – ben oui... le Parisien est parisien... – composé de quatre pots de yaourt nature, un steak de 125 grammes, I litre de lait demi-écrémé et 6 œufs. Bienvenue dans le monde de la diététique... les cinq portions de fruits et légumes par jour, le Parisien ne connaît pas. Mais nous, nous avons un élément de réponse : les produits ont été sélectionnés pour obtenir les « bons » résultats en matière de différences de prix.

 

Donc, bingo ! Le panier « bio » de marque distributeur – du grand distributeur qui a financé certains travaux de certain chercheur-militant mondialement connu – est moins cher que le panier de produits de marque achetés chez ce même distributeur. CQFD, même si c'est très marginalement ? Il est près de 30 % plus cher que le panier de produits de ladite marque distributeur. Et, si vous allez chez un distributeur spécialisé, c'est... quelque 70 % de plus.

 

Dans l'ordre: marque distributeur ; bio marque distributeur ; "grandes marqsues" ; bio distributeur spécialisé

 

 

On admirera l'effort conséquent du journaliste. Les produits n'étaient pas directement comparables, avec des lots de tailles différentes : « Il a donc ensuite fallu faire un petit calcul. » Ça a dû chauffer dans des crânes...

 

Mais le journal a aussi interrogé des acteurs de la filière :

 

« Avec cette même liste de courses, la note est, en revanche, plus salée dans la boutique spécialisée Bio c' Bon. "Les tarifs abordables des marques distributeurs bio, que ce soit Carrefour, Hyper U ou Leclerc, ne se font pas au détriment des agriculteurs, se félicite Stéphanie Pageot, présidente de la Fnab, la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France qui regroupe les producteurs bio. Pour surfer sur ce marché à forte croissance, les géants acceptent de jouer sur leurs marges.»

 

Ce n'est pas vraiment l'opinion de M. Bernard Devoucoux, citée ci-dessus, pour ce qui est de l'œuf. Ni de M. Guhl, également cité par le Parisien :

 

« Pour assurer une meilleure information des consommateurs et leur permettre d'y voir un peu plus clair, l'[Agence Bio] réfléchit à construire un observatoire des prix et des marges. Mais une chose est sûre, selon son président Florent Guhl : "Les prix à la caisse vont continuer de baisser." En 2010, rappelle-t-il, il fallait compter 2 € pour six œufs bio contre 1,85 € actuellement. Un mouvement qui devrait se poursuivre à mesure que l'offre va s'étoffer. »

 

 

La grenouille qui veut devenir...

Le Monde a été plus objectif :

 

« Pas étonnant alors que les grands acteurs de l’alimentaire, industriels comme distributeurs, se mettent sur le filon. D’autant que comme le souligne Nicolas Bouzou, du cabinet de conseil Asterès : "Les marges dans la distribution bio sont passées de 2,1 % en 2013 à 4,1 % en 2015, à comparer au 1 % pour le non bio." D’où l’effervescence qui règne sur tout le territoire. "Il se crée aujourd’hui un magasin bio spécialisé tous les jours ou tous les deux jours", affirme Benoît Soury, président de la fédération Natexbio et patron de La Vie claire»

 

Elle est à la croisée des chemins, cette agriculture biologique dont une partie de la filière – essentiellement l'aval – et les idéologues ont fait une promotion extravagante, allant jusqu'au dénigrement délictueux de l'agriculture conventionnelle. Elle découvre soudain qu'en sortant de sa niche, poussée par les conversions d'agriculteurs à la recherche de meilleurs prix et tirée par les acteurs de l'aval en quête de meilleurs profits et se livrant à une belle concurrence, elle est soumise aux mêmes lois du marché que l'agriculture conventionnelle.

 

 

Trop tard...

 

Le ministre Le Foll a posé la question en des termes qui ne lassent pas de nous choquer :

 

« Le bio est à un tournant [...]. Voulez-vous et doit-on nous contenter d'un bio sans pesticide ou le bio doit-il être autre chose et notamment un produit du sol, local et poussé naturellement ? Voulons-nous et le bio doit-il produire des animaux nourris avec des végétaux mais qui restent enfermés sans jamais paître dans un pré ? »

 

Quel déni de réalité ! Non, encore une fois, le bio n'est pas « sans pesticide », et M. Le Foll contribue par ce genre de déclaration à la dévalorisation, voire au dénigrement, de l'agriculture qui nous nourrit (et contribue par ses exportations à notre balance commerciale). Et le bio ne correspond plus depuis longtemps à l'image d'Épinal : tout confondu, un quart de la consommation, en valeur, était importé en 2014. C'est un signe qui s'ajoute au poids de la grande distribution.

 

Cela ne date pas d'hier ! L'article est sans nul doute excessif, mais le constat suivant est difficilement contestable (le gras est dans le texte cité) :

 

« Voici l’ère de l’agriculture biologique intensive et industrielle avec les monocultures, les monoélevages gigantesques, au développement de l’importation des denrées provenant de l’autre bout du monde, à l’allègement du cahier des charges des labels bio, au non respect des travailleurs, à la standardisation des coûts, etc. Comme le dit si bien Picard, par exemple, "Il nous faut du beau bio". »

 

Et dans un contexte de guerre des prix et de lutte pour les parts de marchés, les producteurs français auront bien du mal à résister à la concurrence des pays du Sud, favorisés par le climat et les bas salaires, et de certains pays du Nord comme l'Allemagne, favorisés par les économies d'échelle et une politique économique pragmatique.

 

À titre d'exemple, Bionest, en Andalousie, liée à la banque Triodos, ce sont 470 hectares, et de 9.000 à 11.000 tonnes de petits fruits partant pour 85 % à l'exportation. Et pour le lait, certains producteurs autrichiens livrent en Allemagne.

 

 

Revenir aux fondamentaux, si possible

 

La France Agricole a titré : « La filière à un tournant… mais attention à ne pas déraper ! » Sage conseil !

 

Une urgence nous paraît être de rattraper les dérapages verbaux et idéologiques, prélude à un recentrage de l'agriculture biologique sur... l'agriculture. Et, bien sûr, les agriculteurs.

 

Dans un autre article, « Halte aux idées reçues sur les circuits courts » (réservé aux abonnés), la France Agricole avait donné la parole à M. Jacques Mathé, économiste au sein du réseau CERFrance et professeur associé à l’Université de Poitiers, et auteur de « 10 clés pour réussir dans les circuits courts » :

 

« Rappelons une évidence économique : un modèle agro-industriel associé à un système de distribution ultra-rationalisé offrira toujours des prix de revient inférieurs à des systèmes où la logistique et les modes de production sont moins optimisés. »

 

Ajoutons que ce modèle et ce système ont aussi des exigences – y compris en matière de prix payés aux producteurs – aptes à les alimenter et les faire prospérer.

 

 

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