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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Émulsifiants d'additifs alimentaires et risque de cancer : tremblez, braves gens !

23 Février 2024 Publié dans #Article scientifique, #Santé publique, #Alimentation

Émulsifiants d'additifs alimentaires et risque de cancer : tremblez, braves gens !

 

 

 

 

L'étude répond sans aucun doute aux canons de la recherche épidémiologique, mais qu'en est-il de la valeur réelle des résultats et du rapport coût-intérêt ? En tout cas, elle comporte une conclusion qui dénote une approche militante et a – encore – fait l'objet d'une médiatisation critiquable fondée sur la peur.

 

 

L'équipe de la cohorte NutriNet-Santé vient de publier une nouvelle étude – dans PLOS Medicine – qui devrait nous faire trembler d'effroi... bon, j'exagère, mais juste un peu.

 

C'est « Food additive emulsifiers and cancer risk: Results from the French prospective NutriNet-Santé cohort » (émulsifiants d'additifs alimentaires et risque de cancer : Résultats de la cohorte prospective française NutriNet-Santé) d'une cohorte de chercheurs dont la première citée est Laury Sellem et la dernière Mathilde Touvier.

 

 

 

 

En voici le résumé (découpé) :

 

Résumé

 

Contexte

 

Les émulsifiants sont des additifs alimentaires largement utilisés dans les aliments transformés industriellement pour améliorer la texture et la durée de conservation. La recherche expérimentale suggère que les émulsifiants ont des effets délétères sur le microbiote intestinal et le métabolome, entraînant une inflammation chronique et augmentant la susceptibilité à la cancérogenèse.

 

Cependant, il n'existe pas de données épidémiologiques humaines sur leur association avec le cancer. Cette étude visait à évaluer les associations entre les émulsifiants d'additifs alimentaires et le risque de cancer dans une vaste cohorte prospective basée sur la population.

 

Méthodes et résultats

 

Cette étude a porté sur 92.000 adultes de la cohorte française NutriNet-Santé sans cancer prévalent à l'inscription (44,5 ans [SD [écart-type] : 14,5], 78,8 % de femmes, 2009 à 2021). Ils ont été suivis pendant 6,7 ans en moyenne [SD : 2,2].

 

Les apports en additifs alimentaires émulsifiants ont été estimés pour les participants qui ont fourni au moins 3 enregistrements alimentaires répétés sur 24 heures liés à des bases de données complètes sur la composition des aliments en additifs alimentaires en fonction de la marque.

 

Des régressions multivariables de Cox ont été effectuées pour estimer les associations entre les émulsifiants et l'incidence du cancer.

 

Au total, 2.604 cas de cancer ont été diagnostiqués au cours du suivi (dont 750 cancers du sein, 322 cancers de la prostate et 207 cancers colorectaux).

 

Des apports plus élevés en mono- et diglycérides d'acides gras (AG) (E471) ont été associés à des risques plus élevés de cancer global (HR catégorie haute vs. basse [hazard ratio, rapport des risques]= 1,15 ; IC à 95 % [intervalle de confiance à 95 %] [1,04, 1,27], p-trend = 0,01), de cancer du sein (HR = 1,24 ; IC à 95 % [1,03, 1,51], p-trend = 0,04), et de cancer de la prostate (HR = 1,46  ; IC à 95 % [1,09, 1,97], p-trend = 0,02).

 

En outre, des associations avec le risque de cancer du sein ont été observées pour des consommations plus élevées de carraghénanes totaux (E407 et E407a) (HR = 1,32  ; IC à 95 % [1,09, 1,60], p-trend = 0,009) et de carraghénanes (E407) (HR = 1,28  ; IC à 95 % [1,06, 1,56], p-trend = 0,01).

 

Aucune association n'a été détectée entre l'un quelconque des émulsifiants et le risque de cancer colorectal.

 

Plusieurs associations avec d'autres émulsifiants ont été observées, mais elles n'ont pas été confirmées par les analyses de sensibilité.

 

Les principales limites sont les erreurs possibles de mesure de l'exposition dans la consommation d'émulsifiants et la confusion résiduelle potentielle liée à la conception de l'observation.

 

Conclusions

 

Dans cette vaste cohorte prospective, nous avons observé des associations entre des apports plus élevés en carraghénanes et en mono- et diglycérides d'acides gras et le risque global de cancer du sein et de la prostate. Ces résultats doivent être reproduits dans d'autres populations. Ils apportent de nouvelles preuves épidémiologiques sur le rôle des émulsifiants dans le risque de cancer.

 

Enregistrement de l'essai

 

ClinicalTrials.gov NCT03335644.

 

Résumé de l'auteur

 

Pourquoi cette étude a-t-elle été réalisée ?

 

  • Les émulsifiants sont des additifs alimentaires largement utilisés dans les aliments transformés industriellement pour améliorer la texture et la durée de conservation.

 

  • Des recherches expérimentales in vivo/in vitro ainsi qu'un essai clinique pilote sur des individus en bonne santé suggèrent que la consommation d'émulsifiants comme additifs alimentaires a des effets délétères sur le microbiote intestinal, le métabolome, l'inflammation de l'hôte et la susceptibilité à la cancérogenèse.

 

  • À notre connaissance, en raison des difficultés rencontrées pour estimer avec précision l'exposition aux émulsifiants d'additifs alimentaires par le biais de l'alimentation, il n'existait jusqu'à présent aucune preuve épidémiologique disponible provenant de cohortes prospectives sur la consommation d'émulsifiants d'additifs alimentaires en relation avec le risque de cancer.

 

Qu'ont fait et trouvé les chercheurs ?

 

  • Cette étude a évalué l'exposition quantitative à une large gamme d'additifs alimentaires émulsifiants dans une vaste cohorte prospective d'adultes.

 

  • Des apports plus élevés en mono- et diglycérides d'acides gras (AG) (E471), en carraghénanes totaux (E407, E407a) et en carraghénanes (E407) ont été associés à des risques plus élevés de cancer global, de cancer du sein et/ou de cancer de la prostate.

 

Que signifient ces résultats ?

 

Ces résultats fournissent des informations épidémiologiques importantes sur le rôle des émulsifiants dans les risques de cancer et doivent être confirmés par d'autres recherches épidémiologiques et expérimentales.

 

On imagine la débauche d'énergie qu'il a fallu déployer pour remplir des relevés détaillés et les exploiter, puis pour triturer les chiffres.

 

Pour quels résultats ? Des corrélations entre, non pas la consommation d'émulsifiants, mais la consommation de trois jours (au moins) au cours des deux années qui ont suivi l'enrôlement, et la survenue de cancers.

 

C'est certes consubstantiel de certaines formes d'études épidémiologiques, mais il faut en être conscient quand on analyse les résultats.

 

Et qu'a-t-on a trouvé ? Quelques résultats statistiquement signficatifs à la suite d'une formidable pêche au chalut, mais qui ne semblent pas aller au-delà de la corrélation fortuite.

 

 

(Source)

 

 

On peut s'en convaincre facilement à la lumière des résultats annoncés. Pourquoi y aurait-il des associations significatives pour les cancers du sein et de la prostate, et pas pour le côlon-rectum, a priori plus exposé aux émulsifiants que les autres organes ? Quel mécanisme serait-il susceptible d'étayer un lien de causalité ?

 

Les associations statistiquement significatives sont sans doute liées au nombre de cancers totaux : suffisants pour le sein et la prostate, insuffisant pour les autres. Mais cela oblige à modérer les interprétations.

 

Les auteurs ont à juste titre conclu leur résumé avec : « Ces résultats doivent être reproduits dans d'autres populations. » Mais ils se sont avancés à notre sens témérairement en affirmant : « Ils apportent de nouvelles preuves épidémiologiques sur le rôle des émulsifiants dans le risque de cancer. »

 

De nouvelles données s'ajoutent, certes, au corpus de connaissances, mais on peut s'interroger ici sur leur valeur, sur le rapport coût-intérêt et, surtout, sur la médiatisation.

 

Était-il opportun de produire un communiqué de presse (ici pour l'INSERM, ici pour l'INRAE), avec un titre accrocheur et une mise en route vraiment criticable par son insistance sur les aliments ultra-transformés ? Certes, les aliments dits « ultra-transformés » sont la bête noire de l'équipe qui exploite la cohorte NutriNet-Santé.

 

C'était susciter un emballement médiatique, à l'instar de ce « Des additifs alimentaires associés à un risque accru de cancer » du Monde ou, pire, « Yaourts, soupes, céréales... dans quels aliments trouve-t-on le plus d'additifs mauvais pour la santé? » de RMC, ou pire encore, « Une étude révèle un lien inquiétant entre les émulsifiants et plusieurs cancers ».

 

Un exercice précédent de fondamentalement la même équipe, « Food additive emulsifiers and risk of cardiovascular disease in the NutriNet-Santé cohort: prospective cohort study » (émulsifiants d'additifs alimentaires et risque de maladie cardiovasculaire dans la cohorte NutriNet-Santé : étude de cohorte prospective), n'avait pas donné lieu à des roulements de tambour. Il y eut bien un communiqué de presse, mais au titre plutôt bal, « Association entre la consommation d’additifs alimentaires émulsifiants et le risque de maladies cardiovasculaires »

 

Il est vrai que les résultats n'étaient pas « sexy » pour une communication grand public : le plus gros rapport de risques pour une augmentation d'un écart-type était de 1,11 (pourquoi du reste, ici, des résultats rapportés aux écarts-types, plutôt qu'à des tertiles comme pour les cancers ?).

 

La conclusion de l'article (sur les maladies cardio-vasculaires) a tout de même insisté sur des « implications de politique » (« policy implications ») aussi insistantes que fallacieuses :

 

« Malgré l'ampleur modérée des associations, ces résultats peuvent avoir d'importantes répercussions sur la santé publique, étant donné que ces additifs alimentaires sont utilisés de manière omniprésente dans des milliers de produits alimentaires ultra-transformés largement consommés. Les résultats contribueront à la réévaluation des réglementations relatives à l'utilisation des additifs alimentaires dans l'industrie alimentaire afin de protéger les consommateurs. Entre-temps, plusieurs autorités de santé publique recommandent de limiter la consommation d'aliments ultra-transformés afin de limiter l'exposition à des additifs alimentaires controversés non essentiels. »

 

On est dans la même veine pour les cancers, mais en plus verbeux.

 

Cela illustre aussi une dissymétrie – et l'irresponsabilité associée – de la communication : discrétion quand on a trouvé des résultats somme toute rassurants ; tapage quand les résultats peuvent être présentés de manière à susciter l'anxiété.

 

Le titre des communiqués de presse (c'est nous qui graissons) : « La consommation de certains additifs alimentaires émulsifiants serait associée à un risque accru de cancers ». En conclusion des communiqués, une citation :

 

« "Si ces résultats doivent être reproduits dans d’autres études à travers le monde, ils apportent de nouvelles connaissances clés au débat sur la réévaluation de la réglementation relative à l’utilisation des additifs dans l’industrie alimentaire, afin de mieux protéger les consommateurs"», expliquent Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, et Bernard Srour, professeur junior à INRAE, principaux auteurs de l’étude. »

 

On est manifestement dans le domaine de la « science » militante.

 

 

 

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J
Le jaune d'oeuf de la mayonnaise est il considéré comme un émulsifiant?
Répondre
U
" Les principales limites sont les erreurs possibles de mesure de l'exposition dans la consommation d'émulsifiants et la confusion résiduelle potentielle liée à la conception de l'observation."<br /> <br /> Les auteurs eux-mêmes ont conscience de la qualité de leurs résultats.
Répondre
M
Ouaip.<br /> Et si on recommence l'analyse avec des exhausteurs de goût ?<br /> On trouvera peut-être une prévalence des cancers de la thyroïde ou des maladies de Charcot ?<br /> <br /> Et avec les conservateurs ça sera des maladies de Crohn et des cataractes ?<br /> Voire la gale et les ongles incarnés...<br /> <br /> Comment est-ce qu'on peut raisonnablement extraire de tout ce bruit statistique UNE classe d'additifs alimentaires parmi tout ce qu'on digère ?<br /> La taille de la cohorte, l'utilisation de tests statistiques ad-hoc et les termes savants dans la présentation des résultats peut faire illusion auprès des gogos et des convertis mais en fait de "Science", c'est la "Science" de mes fesses, oui !