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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Les données sur les PFAS des services géologiques américains sont à nuancer

5 Octobre 2023 Publié dans #PFAS (per- et polyfluoroalkylées - "polluants éternels"), #Santé publique

Les données sur les PFAS des services géologiques américains sont à nuancer

 

Suzan Goldhaber, ACSH*

 

 

Image : Jason Gillman de Pixabay

 

 

Ma note : Cela se passe aux États-Unis d'Amérique, mais cela nous intéresse aussi, vu les manœuvres d'envergure déployées au niveau européen pour faire interdire les PFAS. C'est aussi une petite plongée dan les arcanes de la toxicologie. J'ai quelques problèmes avec les chiffres que j'ai signalés dans les commentaires sous l'article original.

 

Au début du mois, le titre « New Study Finds PFAS 'Forever Chemicals' in Drinking Water from 45% of Faucets Across US » (une nouvelle étude trouve des PFAS « Forever Chemicals » [chez nous : « polluants éternels »] dans l'eau potable de 45% des robinets aux États-Unis) a fait la une de nombreux journaux. En effet, 32 PFAS différents ont été recherchés et trouvés dans les réserves d'eau privées et publiques, présentant des risques potentiels pour la santé de notre pays. Mais que dit réellement l'étude ?

 

 

Tout d'abord, un peu d'histoire sur les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Les PFAS sont un vaste groupe de substances chimiques caractérisées par des chaînes reliées de carbone et de fluor. Le PFOA et le PFOS sont les PFAS les plus connus et les deux seuls pour lesquels il y a des données suggérant des effets sur la santé. Ces deux composés ont été retrouvés dans les eaux souterraines et les réserves d'eau potable, principalement en raison de leur utilisation dans les mousses anti-incendie que l'on trouve dans les bases militaires et les aéroports où se déroulent les entraînements à la lutte contre les incendies.

 

L'EPA a proposé une réglementation applicable à l'eau potable pour le PFOA et le PFOS en mars 2023, en choisissant un niveau autorisé si bas, 4 parties par billion [mille milliards], qu'il est inférieur au niveau que de nombreux laboratoires peuvent détecter.

 

 

L'étude des services géologiques américains (USGS)

 

L'étude a testé la présence de 32 PFAS dans l'eau du robinet de 716 sites (269 puits privés et 447 sources d'approvisionnement en eau publiques) entre 2016 et 2021. On en a trouvé 17 dans un ou plusieurs échantillons. La carte suivante montre où les PFAS ont été détectés aux États-Unis :

 

 

 

 

Selon l'étude :

 

  • Le nombre de PFAS différents observés varie de 1 à 9 (médiane de 2).

     

  • Les concentrations cumulées correspondantes, c'est-à-dire la somme des PFAS détectés, étaient comprises entre 0,348 et 0,346 partie par billion – pour rappel, la nouvelle norme proposée est de 4 parties par billion. [Ma note : Il a été indiqué dans les commentaires que, selon les USGS, les laboratoires ont utilisé des méthodes de détection avec des limites allant de 0,1 à 61,8 ppt. À l'évidence, certains laboratoires n'ont pas pu détecter des PFAS à 0,348 ppt.]

 

L'étude conclut que :

 

« Les résultats modélisés indiquent qu'en moyenne, au moins un PFAS est détecté dans environ 45 % des échantillons d'eau potable aux États-Unis. Les approches de dépistage de référence ont indiqué que le risque potentiel d'exposition humaine était dominé par le PFOA et le PFOS. »

L'étude de l'USGS comporte toutefois d'importantes mises en garde et lacunes. Voyons-les en détail.

 

 

Une étude nationale

 

Le communiqué de presse de l'USGS et l'article lui-même donnent l'impression qu'il s'agit d'une nouvelle étude révolutionnaire avec des résultats significatifs. Or, cette étude n'est ni nouvelle ni exhaustive. L'USGS a rassemblé les résultats d'une étude de l'EPA portant sur 26 échantillons de 2016, de trois études de la Colorado School of Mines portant sur 82 échantillons de 2017 et 2018, et de six études de l'USGS portant sur 608 échantillons de 2019 à 2021.

 

Le nombre d'échantillons de cette étude est bien inférieur au nombre nécessaire pour réaliser une étude nationale sur la présence de ces substances dans l'eau potable. La loi sur la salubrité de l'eau potable (Safe Drinking Water Act) impose à l'EPA de réaliser tous les cinq ans une étude nationale sur les contaminants non réglementés présents dans l'eau potable. La dernière étude achevée, la quatrième règle de surveillance des contaminants non réglementés (Fourth Unregulated Contaminant Monitoring Rule), réalisée entre 2018 et 2020, a porté sur plus de 37.000 échantillons. La cinquième règle de surveillance des contaminants non réglementés de l'EPA est actuellement en cours et collecte des échantillons sur 30 contaminants chimiques, dont 29 PFAS. Lorsque cette étude sera terminée en 2025, nous aurons une bien meilleure compréhension de la présence réelle des PFAS dans l'eau potable.

 

Étant donné que l'étude de l'USGS était très limitée (moins de 2 % des 37.000 échantillons prélevés par l'EPA), elle n'a pas pu tirer de conclusions sur la présence des PFAS à l'échelle nationale. En revanche, elle a utilisé des modèles pour estimer la présence à l'échelle nationale. Ce sont ces résultats modélisés, et non les données réelles, qui ont permis d'annoncer que les PFAS se trouvaient dans 45 % de l'eau potable du pays. La majorité des échantillons ne contenaient pas de PFAS, le PFOA n'ayant pas été détecté dans 86,2 % des échantillons et le PFOS n'ayant pas été détecté dans 94,0 % des échantillons. Il y a là une grande différence avec la déclaration d'ouverture de l'USGS, selon laquelle « on estime qu'au moins 45 % de l'eau du robinet du pays contient un ou plusieurs types de produits chimiques connus sous le nom de PFAS ». L'USGS dissimule le fait qu'il s'agit de résultats modélisés basés sur des données limitées.

 

 

Concentrations de PFAS

 

L'étude s'est concentrée sur le nombre de PFAS détectés sur chaque site, et non sur leurs concentrations. Selon des données bien enfouies dans les tableaux supplémentaires, les concentrations de PFOA varient entre un minimum de 1,13 partie par billion et 33,2 parties par billion, avec une moyenne de 5,6 parties par billion.

 

 

Conclusions en matière de santé

 

L'étude s'est appuyée sur deux méthodes pour tirer ses conclusions en matière de santé :

 

  • La somme des rapports exposition/activité (∑EAR) : rapport entre la concentration détectée d'une substance chimique et la concentration d'activité détectée dans les études sur les cellules. Selon l'article, aucun des échantillons ne dépassait une valeur de 1, laquelle indique un problème de santé ; cependant, 65 échantillons dépassaient une valeur de 0,001, un niveau de dépistage de précaution signifiant un problème potentiel.

 

L'EPA a développé la méthode ∑EAR pour valoriser sa base de données ToxCast, qui contient des informations sur les effets d'environ 9.000 substances chimiques dans les cellules. La méthode ∑EAR n'est pas une méthode généralement acceptée pour mesurer la toxicité, et le niveau de dépistage « représentant un niveau de préoccupation potentielle » est purement arbitraire et ne repose pas sur la science.

 

  • La somme des quotients de toxicité (∑TQ) : rapport entre la concentration détectée d'une substance chimique et le repère sanitaire correspondant (niveau de sécurité). Contrairement à la méthode ∑EAR, le ∑TQ est une méthode plus acceptée pour mesurer la toxicité. Toutefois, les résultats de cette méthode dépendent des repères sanitaires choisis pour chaque substance chimique.

 

L'article a utilisé les avis sanitaires provisoires de l'EPA comme référence sanitaire pour le PFOA et le PFOS, concluant qu'il y avait une « forte probabilité de risque agrégé lorsque l'on considère les expositions à tous les PFAS observés avec une référence disponible ». Mais il existe peu de repères disponibles pour les PFAS autres que le PFOA et le PFOS – les avis sanitaires de l'EPA pour le PFOA et le PFOS –, avec des niveaux qui sont plus de 10. 000 fois inférieurs aux repères sanitaires d'autres pays.

 

Il est difficile de trouver de la crédibilité dans les conclusions de l'USGS. Historiquement, l'USGS est connue pour ses recherches complètes et bien documentées. Cette étude présente d'importantes lacunes et l'USGS a rendu un grave très mauvais service en la publiant sans en préciser les importantes limites. C'est décevant, et cela s'explique en partie par le fait que l'USGS aurait pu attendre les résultats de l'étude nationale en cours de l'EPA, la cinquième règle de surveillance des contaminants non réglementés, pour tirer des conclusions sur la présence des PFAS au niveau national.

 

Il se peut que l'USGS ait voulu se joindre au mouvement gouvernemental en faveur de la réglementation controversée de l'EPA sur les PFAS ; cependant, offrir des données limitées et imparfaites n'est pas la solution. Nous sommes en droit d'attendre mieux.

 

_______________

 

[1]

 

 

Sources :

 

Per- and polyfluoroalkyl substances (PFAS) in United States tapwater: Comparison of underserved private-well and public-supply exposures and associated health implications (substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) dans l'eau du robinet aux États-Unis : comparaison de l'exposition des puits privés et des puits publics mal desservis et conséquences pour la santé), Environment International DOI : 10.1016/j.envint.2023.108033

 

Tap Water Study Detects PFAS ‘forever chemicals’ across the US (une étude sur l'eau du robinet détecte des PFAS « polluants éternels » à travers les États-Unis) – Communiqué de presse de l'USGS

 

Susan Goldhaber, M.P.H., est une écotoxicologue qui a plus de 40 ans d'expérience dans des agences fédérales et d'État ainsi que dans le secteur privé. Elle s'intéresse particulièrement aux substances chimiques présentes dans l'eau potable, l'air et les déchets dangereux. Elle se concentre actuellement sur la traduction des données scientifiques en informations utilisables par le public.

 

Source : On PFAS, US Geological Services Shades the Data | American Council on Science and Health (acsh.org)

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J
La traduction de cette phrase ne me semble pas correcte:<br /> "Cette étude présente d'importantes lacunes et l'USGS a rendu un grave service en la publiant sans en préciser les importantes limites."<br /> Grave service : mauvais service aurait été mieux non?
Répondre
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour l'alerte.<br /> <br /> C'est même "un très mauvais service".<br /> <br /> C'est corrigé.