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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'impact des aliments ultra-transformés sur le cerveau

12 Mai 2024 Publié dans #"Bassines", #Alimentation, #Santé publique

L'impact des aliments ultra-transformés sur le cerveau

 

Mauro Proença, ACSH*

 

 

Image : David Sánchez-Medina Calderón de Pixabay

 

 

Découvrir la vérité sur l'impact des aliments ultra-transformés sur notre cerveau peut s'apparenter à un labyrinthe d'informations contradictoires. Dans un récent article publié par le Wall Street Journal, les projecteurs ont été braqués une fois de plus sur ce sujet controversé.

 

 

Au début du mois d'avril, le Wall Street Journal a publié un article sur l'impact des aliments ultra-transformés sur notre cerveau. J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'un énième article affirmant les effets néfastes des aliments ultra-transformés, blâmant les intentions de l'industrie alimentaire de promouvoir l'obésité et d'entraver l'accès aux aliments nutritifs.

 

Bien que l'article soulève des points intéressants, il est essentiel de reconnaître que les études citées par le WSJ ne visaient pas exclusivement les aliments ultra-transformés. Au contraire, elles ont principalement examiné des produits caractérisés par une forte teneur en sucre et en graisses saturées. Les produits ayant une telle composition posent des problèmes importants pour au moins deux raisons :

 

  • Ils présentent une densité calorique élevée, c'est-à-dire une concentration élevée de calories par gramme. Une consommation excessive de ces produits peut donc contribuer à la prise de poids.

     

  • Ils sont classés dans la catégorie des aliments hyper-palatables, induisant un plaisir accru lors de la consommation. Ils contiennent généralement deux des trois ingrédients suivants : sel, sucre et graisse.

 

Le WSJ a fait de l'audience, volontairement ou non, en vilipendant les produits ultra-transformés sans tenir compte de leur composition nutritionnelle.

 

Un autre aspect qui m'a beaucoup perturbé est l'affirmation de Mme Ashley Gearhardt, professeure de psychologie à l'Université du Michigan et co-créatrice de l'échelle de l'addiction alimentaire.

 

Dans un premier temps, Mme Gearhardt s'appuie sur un postulat scientifique largement accepté : les aliments ultra-transformés influencent rapidement le cerveau et exercent un effet puissant sur le système de récompense, qui régule le plaisir, la motivation et l'apprentissage. Cependant, au lieu de conclure sur ce point, elle avance l'affirmation suivante :

 

« Ces effets sont similaires à ceux de la nicotine, de l'alcool et d'autres drogues qui créent une dépendance. »

 

Bien que je puisse comprendre qu'il s'agisse d'une métaphore ou d'une hyperbole, assimiler les aliments ultra-transformés à la nicotine semble exagéré – surtout si l'on considère que je n'ai jamais vu quelqu'un avoir recours au vol pour acheter des nouilles instantanées ou un beignet.

 

 

Qu'est-ce qui définit un aliment comme ultra-transformé ?

 

Cette définition est établie par NOVA, un outil internationalement reconnu et validé pour la recherche, les politiques publiques et les actions dans le domaine de la nutrition et de la santé.

 

La classification NOVA est un système qui classe les aliments en fonction de leur transformation plutôt que de leur contenu nutritionnel. Elle prend essentiellement en compte les différents processus que subissent les aliments avant d'être consommés ou utilisés dans la préparation des repas :

 

  • Aliments non transformés ou peu transformés : Ces aliments restent à l'état naturel ou subissent des modifications minimes. Les fruits, les œufs, les céréales complètes et la farine en sont des exemples.

     

  • « Ingrédients » : Substances extraites de la nature et utilisées pour l'assaisonnement ou les préparations culinaires, telles que les huiles, les graisses, le sucre et le sel.

     

  • Produits transformés : Ils sont fabriqués en ajoutant du sel ou du sucre à des aliments non transformés ou peu transformés. Il s'agit par exemple des légumes en conserve, des fruits au sirop, du fromage et du pain.

     

  • Produits ultra-transformés : Ils subissent plusieurs étapes de transformation et contiennent divers ingrédients d'origine industrielle tels que des arômes, des colorants et des additifs. Les boissons gazeuses et les biscuits fourrés en sont des exemples.

 

Si l'hyper-palatabilité est une caractéristique prédominante des aliments ultra-transformés, elle n'est pas exclusive aux produits ultra-transformés et ne découle pas uniquement de la transformation, mais plutôt des ingrédients incorporés au cours de la fabrication.

 

Cela met en évidence une faille dans le système NOVA ; dans la catégorie des aliments « ultra-transformés », il existe une gamme de produits ayant des densités nutritionnelles variables. Or, la perception qui prévaut autour de cette catégorie conduit souvent à éviter uniformément tous ces produits avec la même intensité.

 

 

Les aliments ultra-transformés et le système de récompense

 

Dans la première étude citée par le Wall Street Journal, 49 volontaires en bonne santé et ayant un IMC normal ont été impliqués. Les participants ont conservé leur régime alimentaire habituel pendant huit semaines, mais ont été assignés au hasard à un groupe d'intervention recevant un yaourt riche en graisses saturées et en sucre (HF/HShigh fat/high sugat) ou à un groupe de contrôle recevant un yaourt à faible teneur en graisses saturées et en sucre (LF/LS – low fat/low sugar), deux fois par jour. Les deux collations étaient isocaloriques.

 

Les chercheurs ont cherché à déterminer si la consommation de ces en-cas pouvait influencer les préférences pour les graisses, les réponses neurales lors de l'exposition à des aliments savoureux et l'impact sur les tâches d'apprentissage.

 

Les deux groupes ont enregistré des augmentations marginales de l'IMC, de l'indice de masse grasse (IMG) et des niveaux de leptine. Dans le même temps, aucun changement significatif n'a été observé au niveau du poids corporel ou d'autres paramètres métaboliques tels que la résistance à l'insuline et le profil lipidique.

 

En analysant les images obtenues par IRMf, les chercheurs ont observé une augmentation des réponses neuronales dans certaines régions du cerveau, jouant un rôle fondamental dans les voies de contrôle sensorielles et motrices et dans les zones traitant les réponses émotionnelles et physiologiques.

 

Les chercheurs ont constaté que l'exposition aux aliments HF/HS :

 

  • Diminue la préférence pour les aliments à faible teneur en matières grasses ;

     

  • Influence de manière significative l'anticipation et la consommation d'aliments très appétissants et à forte densité énergétique ;

     

  • Exerce un effet généralisé sur l'apprentissage associatif, indépendamment des récompenses alimentaires.

 

« Il est donc essentiel de modifier l'environnement alimentaire et de réduire la disponibilité des aliments à haute densité énergétique pour lutter contre la pandémie d'obésité. »

 

Bien que les résultats de cette étude soient préoccupants, nous les avons déjà abordés précédemment et ils ne constituent pas une preuve concluante des effets néfastes des aliments ultra-transformés sur l'apprentissage.

 

  • La taille de l'échantillon de l'étude, qui ne compte que 49 volontaires, peut être considérée comme faible, ce qui limite potentiellement la généralisation des résultats.

     

  • Les participants devaient répondre à deux critères d'inclusion importants : avoir un IMC sain et juger le milkshake et le yaourt au moins modérément désirables. Ce dernier critère soulève la question de savoir si l'étude a inconsciemment sélectionné des personnes ayant une plus grande affinité pour ces aliments. Cette possibilité mérite d'être examinée, d'autant plus que les auteurs reconnaissent que ces résultats peuvent ne pas s'appliquer aux personnes qui n'ont pas envie de consommer ces aliments.

     

  • La qualité globale du régime alimentaire des participants est une variable encore plus importante. L'étude n'a pas vérifié la qualité de leur régime alimentaire au-delà des collations de l'intervention. L'alimentation des participants aurait pu comprendre des aliments riches en graisses saturées, en sucre et en sodium, entre autres.

     

  • En outre, il est difficile de déterminer si d'autres en-cas hyper appétissants produiraient des résultats similaires. Cette considération est cruciale, d'autant plus que la composition était HF/HS ; un cheeseburger conventionnel ne produirait peut-être pas les mêmes résultats.

     

  • L'étude n'a pas été réalisée en double aveugle, ce qui introduit la possibilité d'un biais de déclaration du chercheur – suppression de données susceptibles d'entraver la publication ou mise en évidence de données ou de conclusions facilitant la publication.

 

Ces facteurs pourraient influencer les résultats ou créer une fausse impression d'efficacité de l'intervention diététique.

 

 

Quel est l'impact du régime alimentaire occidental sur notre cerveau ?

 

La deuxième "étude" citée a cherché à savoir si le passage, pendant quatre jours, à un régime riche en graisses saturées et en sucre chez un échantillon de jeunes adultes maigres et en bonne santé, habitués à un régime nutritionnel adéquat (caractérisé par une faible consommation de graisses saturées et de sucre), entraînerait les effets suivants :

 

  • Une altération des performances lors des tests d'apprentissage et de mémoire dépendant de l'hippocampe (HDLM) sans altération des mesures non liées à l'hippocampe ;

     

  • Une réduction de la sensibilité à la faim et à la satiété ;

     

  • Une modification des marqueurs biologiques tels que la glycémie et le profil lipidique.

     

  • Des changements dans les habitudes alimentaires en dehors du laboratoire, c'est-à-dire, s'il y aurait une compensation.

 

L'échantillon final était composé de 102 participants dont l'IMC était inférieur à 25, qui ne suivaient pas de régime et qui ont été répartis au hasard entre un groupe d'intervention recevant un petit-déjeuner riche en graisses et en sucres et un groupe de contrôle recevant un petit-déjeuner pauvre en graisses et en sucres. Les groupes différaient légèrement en ce qui concerne l'IMC, le tour de taille et les habitudes alimentaires. Le groupe d'intervention :

 

  • a eu besoin d'un apport énergétique plus important, d'environ 70 calories, pour passer de la faim à la satiété, ce qui indique une diminution de la sensibilité aux signaux de satiété ;

     

  • a obtenu de moins bons résultats aux tests HDLM, notamment en ce qui concerne l'apprentissage verbal, par rapport au groupe témoin. Les chercheurs ont proposé que le petit-déjeuner riche en graisses saturées et en sucre puisse nuire directement à la rétention de la mémoire, comme le montrent les niveaux élevés de glucose dans le sang tout au long du petit-déjeuner et leur relation avec les changements dans les performances d'apprentissage verbal au cours de l'essai. En revanche, la mémoire logique n'a pas été affectée du tout.

 

L'étude s'est appuyée sur des carnets alimentaires et des rapports d'auto-évaluation des habitudes alimentaires. Bien que précieux, ces outils ne sont pas fiables : les participants peuvent sous-estimer leur consommation, en particulier d'aliments « malsains », ou oublier ce qu'ils ont mangé.

 

 

S'il vous plaît, ne gâchez pas mon dessert

 

Malgré la nature intrigante des données des deux études, il est essentiel de reconnaître que ces résultats sont des enquêtes préliminaires. Ils doivent être reproduits et confirmés avant d'être considérés comme définitifs ou même de faire l'objet d'un consensus.

 

Jusqu'à ce que nous disposions de preuves plus concrètes sur ce sujet, je suggère que si vous vous laissez tenter par des aliments riches en sucre et en graisses saturées, faites-le avec modération.

 

Source : The New Science on What Ultra-Processed Food Does to Your Brain (la nouvelle science sur ce que les aliments ultra-transformés font à votre cerveau), Wall Street Journal

 

_______________

 

Mauro Proença est étudiant diplômé en nutrition à l'Université São Camilo de São Paulo, au Brésil.

Il écrit également pour « Questão de Ciência » (RQC), un magazine numérique « dédié à la défense de l'utilisation des preuves scientifiques dans le domaine public ».

 

Source : The Impact of Ultra-Processed Foods on the Brain | American Council on Science and Health (acsh.org)

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