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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'eau tritiée de Fukushima

3 Septembre 2023 Publié dans #Divers

L'eau tritiée de Fukushima

 

ACSH*

 

 

Image : Enrique de Pixabay

 

 

Le conflit entre le Japon et la Chine n'est pas nouveau. Alors que le rejet de l'eau contaminée de Fukushima dans l'océan Pacifique a été approuvé par l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique, la Chine a émis des avertissements selon lesquels cette approbation est insuffisante. L'année dernière, l'ACSH avait abordé les aspects scientifiques sous-jacents ; en voici une reprise.

 

 

Le Japon prévoit de rejeter dans l'océan Pacifique des tonnes d'eau provenant du site nucléaire de Fukushima, une eau contaminée par du tritium, une forme radioactive de l'hydrogène. Ce projet a suscité des protestations de la part de la Chine, de la Corée du Sud, de la Russie et d'autres pays, ainsi qu'un tollé de la part de divers groupes de défense de l'environnement... sans parler des amateurs de produits de la mer qui s'inquiètent de la sécurité de leurs sushis. Compte tenu de ces préoccupations, il semble raisonnable de creuser un peu le sujet afin de déterminer la gravité de la situation.

 

 

Commençons par le tritium et sa source

 

Le tritium est de l'hydrogène radioactif. Comme tous les atomes d'hydrogène, le tritium possède un seul proton et un seul électron. Mais lorsque nous faisons passer des atomes d'hydrogène normaux dans le cœur d'un réacteur nucléaire (qui contient beaucoup de neutrons), certains de ces atomes d'hydrogène capturent deux neutrons, formant ainsi la contrepartie radioactive de l'hydrogène, le tritium. Ce phénomène se produit dans tous les réacteurs nucléaires. Lorsque le liquide de refroidissement des réacteurs détruits de Fukushima s'est répandu dans l'environnement, la nappe phréatique a été contaminée. Des millions de litres d'eau souterraine, ainsi que l'eau qui s'est accumulée dans les sous-sols de certains bâtiments du site, ont été recueillis dans des réservoirs et attendent d'être traités.

 

 

Que se passerait-il si cette eau était rejetée dans l'océan Pacifique ?

 

Il faut commencer par la quantité de radioactivité qui sera libérée. La radioactivité est mesurée par la vitesse à laquelle les atomes se désintègrent. Un becquerel, ou Bq, est la quantité de matière radioactive qui subit une désintégration radioactive par seconde. Selon un rapport élaboré en 2016 et portant spécifiquement sur l'eau tritiée de Fukushima, environ 820.000 mètres cubes d'eau (328 piscines olympiques) contiennent environ 760 billions [millions de milliards] de becquerels (760 TBq) de tritium.

 

L'océan Pacifique est assez vaste – le Pacifique Nord, où a eu lieu le rejet, contient 331 millions de kilomètres cubes d'eau. C'est 400 milliards de fois plus volumineux que l'eau retenue à Fukushima. Si l'on mélange les 760 TBq de tritium à 331 millions de milliards de mètres cubes [1] d'eau, on obtient une concentration de tritium de 0,0023 Bq par mètre cube d'eau. Cette concentration n'est pas suffisante pour causer une atteinte à la santé de qui que ce soit, ni d'aucune créature vivant dans l'eau.

 

Il est naturel de se demander comment je peux affirmer cela avec autant d'assurance.

 

Commençons par le fait que notre planète contient beaucoup plus de tritium que la plupart des gens ne le pensent, et que la grande majorité de ce tritium est naturel, formé lorsque des rayons cosmiques percutent des atomes dans l'atmosphère. Parfois, les rayons cosmiques brisent les atomes en morceaux (ou ils peuvent arracher des protons et des neutrons aux atomes dans l'air), et certains de ces morceaux ont justement un proton et deux neutrons. D'autres fois, les collisions de rayons cosmiques forment des neutrons qui sont capturés par des atomes d'hydrogène pour former du tritium.

 

Quel que soit le mécanisme, la nature est responsable de la formation d'une quantité de tritium environ 1000 fois supérieure à celle contenue dans les réservoirs de Fukushima. Le tritium naturel dans les eaux de la Terre est présent à des concentrations d'environ 185-925 Bq par mètre cube d'eau, soit des milliers de fois plus que le tritium présent dans les réservoirs de Fukushima. Cela représente des milliers de fois plus de tritium par mètre cube que les 0,0023 Bq par mètre cube que nous avons calculés ci-dessus. En d'autres termes, rejeter l'eau de Fukushima dans l'océan, c'est comme ajouter quelques grains de sucre à un pichet de punch aux fruits sucré que je buvais quand j'étais enfant.

 

L'eau de mer contient bien plus de radioactivité que le seul tritium : l'uranium, le potassium et le rubidium sont également dissous dans l'eau de mer, et certains d'entre eux contiennent également de la radioactivité naturelle. Le potassium et l'uranium émettent tous deux des rayonnements plus nocifs que la particule bêta de faible énergie émise par le tritium.

 

Si l'on met tout cela bout à bout, on constate que les océans contiennent déjà de la radioactivité naturelle :

 

  • Les océans contiennent déjà de la radioactivité naturelle.

     

  • Il y a beaucoup plus de radioactivité naturelle que de tritium dans les réservoirs de Fukushima.

     

  • Le tritium est l'un des radionucléides les plus inoffensifs auxquels nous puissions être exposés.

 

Nous ne pouvons que conclure que le rejet de cette eau dans le Pacifique ne présente aucun risque significatif pour la faune et la flore marines, ni pour ceux d'entre nous qui aiment se restaurer avec ses produits.

 

 

Le tritium et la santé : le calcul de la dose de rayonnement du tritium

 

Lorsqu'il s'agit de déterminer les effets des rayonnements sur la santé, tout se résume à la dose de rayonnement, c'est-à-dire l'énergie déposée par les rayonnements ionisants par unité de masse. Pour commencer, nous mesurons la quantité d'énergie créée par les rayonnements, en milliers (keV) ou en millions (MeV) d'électrons-volts. L'énergie libérée est mesurée par les « comptages » de radioactivité. Quelle que soit sa taille, une matière radioactive qui subit une désintégration radioactive par seconde aura une activité de 1 Bq ; 1.000 désintégrations par seconde donnent 1 kBq, et un million de désintégrations par seconde représentent 1 MBq.

 

Il faut ensuite mesurer la quantité d'énergie absorbée par gramme ou kg de matière, c'est-à-dire la dose de rayonnement. Un Gray ou Gy représente le dépôt de 6,242x109 MeV par gramme de matière – la matière peut être de l'air, de l'eau ou du métal. Un mGy correspond à 0,001 Gy

 

Commençons par l'énergie du rayonnement émis par le tritium. Supposons qu'un litre (1 kg) d'eau contienne 1 MBq de tritium. Cela signifie que chaque seconde, un million d'atomes de tritium émettront des particules bêta, d'une énergie moyenne d'environ 6 keV chacune. [2]

 

6 keV x 1.000.000 désintégrations/seconde x 3600 secondes/heure = 21.60. 000 Mev = 3,46 mGy. C'est la dose de rayonnement contenue dans ce litre d'eau

 

Si l'on applique ces mêmes principes et calculs aux 0,0023 Bq/m3 d'eau tritiée qui, selon nos calculs, résulteraient du rejet de l'eau de Fukushima, l'eau (et tout ce qui y vit) recevra une exposition aux rayonnements d'un peu moins de 0,0000007 mGy chaque année.

 

Pour mettre cela en perspective, lorsque j'allume mon détecteur de rayonnements dans mon appartement de Brooklyn, il indique environ 0,0000050 – 0,000010 mGy/h. Je reçois dix fois plus de radiations en une heure dans mon salon que je n'en recevrais en une année entière à flotter dans les eaux de l'océan Pacifique après le déversement des eaux de Fukushima.

 

Cela ne vaut tout simplement pas la peine de s'en préoccuper : le stress engendré par une telle exposition aux radiations est plus préjudiciable à la santé que les radiations elles-mêmes.

 

_______________

 

[1] Un kilomètre cube contient un milliard de mètres cubes.

 

[2] Une particule bêta de tritium a une énergie moyenne de 5,7 keV et une énergie maximale d'environ 18 keV.

 

* Source : Fukushima's Tritiated Water | American Council on Science and Health (acsh.org)

 

 

° o 0 o °

 

 

Le tritium de Fukushima : suivi des commentaires

 

Docteur Y, ACSH*

 

 

Image : Pete Linforth de Pixabay

 

 

Si vous avez suivi l'actualité, vous aurez remarqué que le Japon a commencé à déverser son eau tritiée dans l'océan la semaine dernière [l'article d'origine est daté du 30 août 2023], malgré les objections de la Chine et de la Corée du Sud et avec l'accord de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique. J'ai remarqué qu'il y avait eu quelques commentaires sur mon récent article de l'ACSH à ce sujet et j'ai pensé répondre à quelques-uns des points soulevés dans les commentaires.

 

 

Dilution du tritium

 

Certains commentaires ont porté sur la dilution dans l'océan Pacifique, notamment sur le fait qu'il faudra un certain temps pour que la radioactivité se diffuse dans l'ensemble de l'océan et que, dans l'intervalle, il pourrait y avoir localement de fortes concentrations de tritium dans l'eau. C'est vrai, mais avec quelques réserves.

 

L'une d'elles est que le Japon ne déversera pas toute l'eau dans l'océan en une seule fois, mais sur plusieurs années, de sorte que la quantité de tritium rejetée à un moment donné sera relativement faible. Cela signifie que les concentrations de tritium seront plus faibles au point de rejet et que l'eau tritiée aura la possibilité de se mélanger à l'océan au fur et à mesure de son rejet. En outre, le Japon prévoit également une pré-dilution (mélange de l'eau tritiée avec de l'eau de mer) avant le rejet en mer, de sorte que l'eau rejetée sera déjà conforme ou inférieure aux limites de sécurité réglementaires. Enfin, l'eau sera acheminée vers un point de rejet au large de la côte de Fukushima afin d'éviter qu'elle ne s'accumule près du rivage.

 

 

Autres radionucléides

 

La présence d'autres radionucléides dans l'eau rejetée, en particulier le césium 137 et le strontium 90, a fait l'objet d'une discussion. La personne concernée a souligné que ces radionucléides sont plus radio-toxiques que le tritium et qu'ils sont tous deux produits par la fission nucléaire. Bien que ces points soient exacts, ils ne tiennent pas compte du fait que l'eau a déjà été traitée pour tout éliminer, à l'exception du tritium – la raison pour laquelle le tritium ne peut être éliminé est qu'il s'agit d'hydrogène radioactif, qui devient partie intégrante des molécules d'eau ordinaires. Ainsi, bien que d'autres radionucléides (en particulier le Cs-137 et le Sr-90) soient préoccupants après un accident de réacteur, ils ont été retirés de l'eau devant être rejetée et ne sont pas préoccupants dans ce cas.

 

 

Types de réacteurs

 

Il semble également y avoir une certaine confusion quant au type de réacteur présent sur le site de Fukushima, avec une discussion sur les réacteurs CANDU (Canadian Deuterium), introduite par un commentateur qui s'appuyait sur son expérience passée en matière de travail et d'échantillonnage environnemental pour ces centrales, et qui a été mal comprise par un autre. Le fait est que le Japon n'exploite aucun réacteur CANDU – les centrales de Fukushima étaient toutes des réacteurs à eau pressurisée.

 

Cet article a suscité de bonnes discussions et de bons commentaires ! Il est agréable de voir que l'article original a tenu bon et que l'AIEA a étudié et approuvé le plan ; il est également agréable de voir que les Japonais prennent encore plus de précautions en pré-diluant l'eau à rejeter et en rejetant l'eau sur plusieurs années. Compte tenu de tous ces éléments, il semble que, même si les inquiétudes concernant le rejet sont compréhensibles, il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

 

_______________

 

Docteur Y

 

Le docteur Y, ce n'est pas son vrai nom, souhaite rester anonyme. Voici sa biographie :

 

Au cours des quarante dernières années, le docteur Y a accumulé toute une série d'expériences, en particulier dans le domaine des rayonnements et de la radioprotection, où il est titulaire d'un certificat de spécialiste. Son poste actuel limite les publications portant son nom ; elles doivent être revues. Tout comme l'Arche d'Alliance dans Indiana Jones, les revues sont entreposées et prennent la poussière. Il écrit pour l'ACSH sous le nom de Dr. Y.

 

Source : Fukushima's Tritium: Following-Up on Comments | American Council on Science and Health (acsh.org)

 

 

Ma note : Le tritium a une demi-vie de 12,32 ans.

 

Les bananes sont radioactives du fait de la présence de potassium 40. On a ainsi conçu une « dose équivalent banane » (ou DEB), une unité informelle de radioactivité utilisée pour comparer le danger des rayonnements ionisants à celui qui est généré par l'ingestion d'une banane. En moyenne, l'activité des bananes atteint 130 becquerels par kg, soit 19,5 Bq pour une banane typique de 150 grammes. À comparer aux 0,0023 Bq par mètre cube d'eau tritiée, calculé ci-dessus.

 

Sachez que si vous ne dormez pas seul... La radioactivité du corps humain est de l’ordre de 120 Bq/kg (8.400 Bq pour une personne de 70 kg) du fait de la présence de potassium 40 et de carbone 14.

 

Si le sujet vous intéresse (et même et peut-être surtout s'il ne vous intéresse pas), il y a un remarquable « Faut-il sortir du nucléaire ? » de Géraldine Woessner (collection Pour les nuls. Ça fait débat !).

 

 

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