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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'approche « tolérance zéro » du secteur biologique à l'égard de l'édition des gènes pourrait sceller sa propre disparition

21 Septembre 2023 Publié dans #NGT

L'approche « tolérance zéro » du secteur biologique à l'égard de l'édition des gènes pourrait sceller sa propre disparition

 

Paul M. Temple, Global Farmer Network*

 

 

Image : Sangharsh Lohakare

 

Le rejet de l'édition des gènes par le lobby de l'agriculture biologique perd chaque jour de son sens, et même certains des meilleurs amis de la filière commencent à apprécier les arguments en faveur de cette nouvelle technologie importante.

 

L'édition des gènes n'introduit aucun ADN étranger dans les aliments. Elle peut contribuer à réduire ou à éliminer le besoin de pesticides de synthèse. Et elle est infiniment plus précise et efficace que les anciennes formes de sélection par mutation utilisant des produits chimiques et des radiations, que de nombreux agriculteurs biologiques acceptent déjà.

 

Ceux qui s'opposent à l'édition des gènes peuvent percevoir une forme d'avantage commercial dans le fait de rester « sans OGM », même si cela condamne leurs systèmes agricoles à des formes de production alimentaire moins productives et, dans de nombreux cas, plus dommageables pour l'environnement.

 

Mais le jury ne s'est pas encore prononcé sur ce point. Il y a vingt-cinq ans, effrayer les gens sur les dangers cachés des OGM aurait pu faire grimper les ventes de produits biologiques, mais le monde est différent aujourd'hui.

 

La guerre en Ukraine, la pandémie, le changement climatique et la flambée des prix des denrées alimentaires et de l'énergie ont changé les mentalités. Le public est beaucoup plus enclin à adopter de nouvelles technologies alimentaires et agricoles pour relever les défis de la sécurité alimentaire, de la santé et du changement climatique.

 

C'est ce qui ressort d'une étude récente menée par la Food Standards Agency, qui a montré que près des deux tiers des consommateurs mangeraient des aliments génétiquement édités si, par exemple, ils présentaient des avantages pour la santé (65 %), étaient meilleurs pour l'environnement (64 %), étaient plus sûrs pour les personnes allergiques (64 %), avaient meilleur goût (62 %), étaient moins chers (61 %) ou étaient plus résistants au changement climatique (60 %).

 

Ces chiffres sont certainement remarquables et le rêve d'un responsable marketing est de découvrir, avant le lancement d'un nouveau produit, que les deux tiers de sa clientèle potentielle veulent l'essayer.

 

Et c'est précisément ainsi que les premières applications de ces techniques sont utilisées.

 

À ce jour, le ministère de l'Environnement, de l'Alimentation, et des Affaires Rurales (DEFRA) a annoncé neuf notifications d'essais en plein champ pour des cultures génétiquement éditées au Royaume-Uni, depuis que des dispositions simplifiées ont été introduites en mars de l'année dernière pour la dissémination expérimentale de plantes génétiquement éditées. Pratiquement toutes les demandes sont axées sur des innovations qui amélioreront notre approvisionnement alimentaire, notre santé et notre environnement, qu'il s'agisse de réduire le gaspillage alimentaire (colza résistant à l'éclatement des siliques, pommes de terre ne brunissant pas), de réduire l'utilisation des pesticides (résistance au mildiou de la pomme de terre), de manger plus sainement (caméline enrichie en oméga-3, tomates plus riches en provitamine B3) ou d'avoir une alimentation plus sûre (blé à faible teneur en asparagine).

 

En fermant les yeux sur ces technologies, le secteur biologique risque de laisser passer une occasion majeure de transformer la productivité, la durabilité et la viabilité de ses futurs systèmes agricoles.

 

C'est notamment le cas si, comme on le prédit généralement, l'utilisation de l'édition des gènes devient rapidement courante dans la sélection conventionnelle, mais reste interdite dans le cadre des normes biologiques.

 

Heureusement, certaines voix au sein de la filière biologique commencent à s'exprimer en faveur de l'édition des gènes.

 

C'est en tout cas la position de l'organisme biologique danois Økologisk Landsforening (Organic Denmark), qui, dans sa réponse aux plans récemment publiés par l'Union européenne concernant la future réglementation des nouvelles techniques génomiques (NGT), a remis en question l'interdiction proposée des NGT dans l'agriculture biologique, suggérant que cette position devrait être revue étant donné que l'on s'attend à ce que ces techniques se généralisent dans l'améliortion des plantes conventionnelle.

 

Un autre grand défenseur de l'agriculture biologique, le chercheur suisse Urs Niggli, qui a été directeur de l'Institut de Recherche de l'Agriculture Biologique (FiBL) de 1990 à 2020, a également exhorté la filière biologique européenne à modifier sa position sur l'édition des gènes pour éviter d'être laissée pour compte.

 

Dans un récent entretien accordé au magazine allemand Spektrum, M. Niggli reconnaît que la mention « sans OGM » est un argument de vente pour les produits biologiques et que les associations biologiques ont délibérément attisé la peur des méthodes de sélection par biologie moléculaire afin de se démarquer sur le marché.

 

Il estime toutefois que ce point de vue est dépassé, les nouvelles techniques d'édition des gènes telles que CRISPR-Cas9 permettant des mutations ciblées sur des sites individuels du génome, comme cela se produit constamment dans la nature ou dans le cadre de la sélection conventionnelle. Et si ces changements peuvent également se produire dans la nature, avec CRISPR-Cas9, les progrès de la sélection sont beaucoup plus rapides, ce qui présente de nombreux avantages pour l'agriculture et la société, ajoute-t-il.

 

M. Niggli prévient qu'en rejetant l'édition des gènes, la filière biologique pourrait perdre son avantage de pionnier en matière d'agriculture durable, condamnée à produire des rendements de 20 à 50 % inférieurs à ceux de l'agriculture conventionnelle et à passer à côté de solutions potentielles aux problèmes de production actuels, tels que la dépendance à l'égard des fongicides à base de cuivre pour la lutte contre les maladies.

 

En attendant, il prédit que les variétés de cultures génétiquement éditées deviendront la norme d'ici cinq à dix ans, sous l'impulsion des marchés chinois et américain, soutenant ainsi une tendance mondiale à l'abandon des engrais azotés manufacturés et des pesticides chimiques. Selon M. Niggli, l'agriculture biologique risquerait alors d'être laissée pour compte, notamment en termes de durabilité.

 

Cela pose un dilemme majeur à la filière biologique, car la viabilité de l'agriculture biologique, lorsqu'elle est pratiquée à grande échelle, dépend essentiellement de l'accès régulier aux intrants non biologiques dans le cadre de dérogations « d'urgence » lorsque les intrants équivalents ne sont pas disponibles sous forme biologique.

 

Même si les consommateurs de produits biologiques, qui paient une forte prime, l'ignorent complètement, il existe de nombreux exemples de situations dans lesquelles les producteurs biologiques dépendent d'intrants non biologiques pour les semences, les aliments pour animaux, le fourrage, les jeunes animaux, les reproducteurs, les antibiotiques et les anthelminthiques.

 

L'année dernière, par exemple, malgré un déclin à long terme de la surface cultivée en agriculture biologique au Royaume-Uni, les autorisations d'utilisation de semences non biologiques accordées par les organismes du secteur biologique ont atteint un niveau record, avec plus de 17.000 dérogations individuelles.

 

Si le secteur biologique maintient son approche de « tolérance zéro » à l'égard de l'édition des gènes, alors que ces techniques deviennent couramment utilisées dans la sélection végétale traditionnelle, ces dérogations ne seront plus disponibles. Les producteurs biologiques se retrouveront avec des variétés plus anciennes qui seront de plus en plus surclassées, sujettes aux maladies et aux infestations de ravageurs, ce qui creusera encore davantage l'écart de productivité entre les cultures biologiques et non biologiques.

 

J'invite donc la filière biologique à s'ouvrir aux possibilités offertes par ces technologies et à écouter les conseils de leurs amis danois et suisses.

 

Qu'y a-t-il à perdre ?

 

Il y a énormément à gagner.

 

_________________

 

Paul M. Temple

 

Paul Temple est membre bénévole du conseil d'administration du Réseau Mondial d'Agriculteurs (Global Farmer Network) et exploite une ferme dans le nord de l'Angleterre, au Royaume-Uni. Il pratique l'agriculture de conservation sur une exploitation familiale mixte de bovins et de cultures. Paul produit des semences de blé, de l'orge, du colza, des pois et des haricots. Ils ont récemment réintroduit des prairies dans la rotation des cultures. En ce qui concerne la viande bovine, ils utilisent une large gamme de graminées environnementales avec des bovins allaitants, élevant des veaux qui sont soit engraissés, soit vendus comme jeunes bovins. En outre, la ferme fait partie d'un programme environnemental de haut niveau avec accès à l'enseignement.

 

Source : The Organic Sectors ‘Zero Tolerance’ Approach to Gene-Editing May Seal Its Own Demise – Global Farmer Network

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