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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Glyphosate : des marqueurs de stress oxydatif dans les urines ? Et alors ?

29 Avril 2023 Publié dans #Article scientifique, #Glyphosate (Roundup), #Activisme, #critique de l'information

Glyphosate : des marqueurs de stress oxydatif dans les urines ? Et alors ?

 

 

(Source)

 

 

Je suis tombé dessus – c'est une façon de parler – par deux gazouillis du serial bloqueur Stéphane Foucart.

 

Je suis tombé de ma chaise – c'est aussi une façon de parler – quand je me suis rendu compte qu'il n'a pas produit un de ces articles à la Philippulus dont il a le secret, alors même que sa copine Carey Gillam avait fait du tapage dans le Guardian, dans lequel elle a son rond de serviette C'était « People exposed to weedkiller chemical have cancer biomarkers in urine – study » (les personnes exposées à un désherbant chimique présentent des biomarqueurs de cancer dans l'urine – étude) du 20 janvier 2023. Notez que les personnes non exposées en présentent aussi... En chapô :

 

« Une étude a mesuré le glyphosate dans l'urine et a trouvé des niveaux élevés associés à des signes de stress oxydatif. »

 

Il faut peut-être conclure de l'absence d'article dans le journal qui fut de référence que, tout compte fait, cet article scientifique n'est pas très convaincant.

 

 

Le résumé

 

C'est effectivement le cas.

 

L'article scientifique, c'est « Glyphosate exposure and urinary oxidative stress biomarkers in the Agricultural Health Study » (exposition au glyphosate et biomarqueurs de stress oxydatif urinaire dans l'Agricultural Health Study), de Vicky C. Chang et al., publié dans Journal of the National Cancer Institute.

 

En voici le résumé :

 

« Contexte

 

Le glyphosate est l'herbicide le plus largement appliqué dans le monde, et son utilisation a été associée à des risques accrus de certains cancers hématopoïétiques dans des études épidémiologiques. Des expériences animales et in vitro suggèrent que le glyphosate peut induire un stress oxydatif, une caractéristique clé des substances cancérigènes ; cependant, les preuves dans les populations humaines restent rares. Nous avons étudié les associations entre l'exposition au glyphosate et les biomarqueurs du stress oxydatif urinaire dans l'étude Biomarkers of Exposure and Effect in Agriculture, une sous-cohorte d'épidémiologie moléculaire de l'Agricultural Health Study.

 

Méthodes

 

Cette analyse a porté sur 268 agriculteurs masculins sélectionnés sur la base de l'utilisation auto-déclarée récente et de longue durée de glyphosate dans le cadre de leur travail, ainsi que sur 100 non-agriculteurs masculins appariés en fonction de l'âge et de la géographie. Les concentrations de glyphosate et de biomarqueurs de stress oxydatif (8-hydroxy-2′-déoxyguanosine [8-OHdG], 8-iso-prostaglandine-F2α et malondialdéhyde [MDA]) ont été quantifiées dans la première urine du matin. Nous avons effectué une régression linéaire multivariable pour évaluer les associations du glyphosate urinaire et de l'utilisation auto-déclarée du glyphosate avec chaque biomarqueur de stress oxydatif.

 

Résultats

 

Les concentrations urinaires de glyphosate étaient positivement associées aux niveaux de 8-OHdG (quartile de glyphosate le plus élevé par rapport au plus bas ; rapport moyen géométrique = 1,15, intervalle de confiance à 95 % = 1,03 à 1,28 ; Ptrend = 0,02) et de MDA (rapport moyen géométrique = 1,20, intervalle de confiance à 95 % = 1,03 à 1,40 ; Ptrend = 0,06) dans l'ensemble. Parmi les agriculteurs ayant déclaré une utilisation récente du glyphosate (7 derniers jours), l'utilisation au cours de la journée précédente était également associée à une augmentation statistiquement significative des niveaux de 8-OHdG et de MDA. Par rapport aux non-agriculteurs, nous avons observé des niveaux élevés de 8-iso-prostaglandine-F2α chez les agriculteurs ayant eu une utilisation récente, élevée au cours des 12 derniers mois ou élevée au cours de leur vie du glyphosate.

 

Conclusions

 

Nos résultats contribuent au poids de la preuve soutenant une association entre l'exposition au glyphosate et le stress oxydatif chez l'Homme et peuvent éclairer les évaluations du potentiel cancérigène de cet herbicide. »

 

 

Pas de résultats tonitruants

 

Sauf à être un experts en physiologie humaine, ces résultats sont difficiles à interpréter. Les résultats d'analyses médicales fournis par les laboratoires vous indiquent les plages considérées comme normales. Ici, rien.

 

Mais on peut penser que les auteurs n'auraient pas manqué de signaler un dépassement des normes s'il s'en était trouvé un.

 

 

 

 

 

On observera aussi que le titre de l'article est parfaitement neutre et que la conclusion n'est pas du style va-t-en-guerre. Entre les deux, des indications portant sur des associations – et non des relations de cause à effet – avec des différences qui ne sont pas énormes.

 

Pour les chiffres liés aux quartiles de glyphosate dans l'urine matinale, deux marqueurs sur trois fournissent des différences statistiquement significatives entre les extrêmes – des rapports de 1,15 et 1,20 mais, dans les deux cas, une limite basse de l'intervalle de confiance à 1,03. On ne cessera de le répéter : une différence statistiquement significative n'est pas forcément physiologiquement significative.

 

Les indications liées à l'utilisation du glyphosate ne fournissent pas une image claire pour les chasseurs de dangers et de risques. C'est quasiment « RAS », sauf peut-être pour les lendemains de traitements au glyphosate (mais combien des 268 agriculteurs étaients-il dans ce groupe ?).

 

Voici encore un extrait de l'article (il met aussi en perspective les résultats ahurissants des « pisseurs de glyphosate ») :

 

« Les concentrations urinaires de glyphosate étaient statistiquement élevées chez les agriculteurs récemment exposés (moyenne géométrique = 0,89 µg/L) par rapport aux agriculteurs fortement exposés au cours de leur vie (0,59 µg/L) et aux témoins agriculteurs (0,46 µg/L) et non-agriculteurs (0,39 µg/L) (tous P < 0,01), alors qu'aucune différence statistiquement significative dans les concentrations de 8-OHdG, 8-isoprostane ou MDA n'a été observée entre les groupes (tableau supplémentaire 2, disponible en ligne). Les 3 biomarqueurs de stress oxydatif étaient modérément corrélés entre eux (coefficients de corrélation de Spearman = ∼0,6-0,7), bien que les corrélations aient été atténuées pour les concentrations corrigées de la créatinine (tableau supplémentaire 3, disponible en ligne). »

 

 

Une conclusion ambiguë

 

On comprend donc la relative prudence de la conclusion du résumé...

 

Mais reflète-t-elle la conclusion de l'article ? On peut en douter !

 

« En conclusion, nos résultats suggèrent que l'exposition au glyphosate peut être [may be] positivement associée à certains biomarqueurs urinaires du stress oxydatif. Bien que les associations observées semblent principalement refléter les effets d'une exposition professionnelle récente, il y avait également quelques preuves d'associations avec une exposition à plus long terme. Notre étude contribue à l'accumulation de preuves soutenant le rôle du glyphosate dans le stress oxydatif chez les humains et fournit un aperçu des mécanismes potentiels sous-jacents aux associations précédemment observées avec certains cancers hématopoïétiques. Des recherches futures incluant d'autres biomarqueurs du stress oxydatif ou d'autres paramètres intermédiaires liés au développement du cancer (par exemple, la génotoxicité, les altérations épigénétiques) pourraient éclairer davantage l'évaluation du potentiel cancérigène de cet herbicide. »

 

Cette conclusion est-elle étayée par l'article ? On peut en douter également !

 

On peine à trouver l'« aperçu des mécanismes », qui ne sont toutefois que « potentiels ». Le mot « hématopoïétique » apparaît trois fois dans l'article : dans le résumé, qui suggère que le risque de cancers hématopoïétiques augmenté par le glyphosate est un fait acquis ; dans la conclusion ; et dans ceci :

 

« Cependant, la relation entre l'exposition au glyphosate et le risque de cancer, en particulier les tumeurs malignes lymphohématopoïétiques, reste peu concluante et controversée (13-15). L'Agricultural Health Study (AHS), une cohorte prospective d'applicateurs de pesticides en Iowa et en Caroline du Nord, a récemment signalé une association suggestive entre une utilisation élevée de glyphosate au cours de la vie et un risque accru de leucémie myéloïde aiguë, mais pas de lymphome non hodgkinien ni d'autres cancers (16). »

 

La référence 16, c'est une étude précédente d'Andreotti et al. (dont Sandler, autre auteur de l'étude analysée ici) qui avait fait un peu de bruit, « Glyphosate Use and Cancer Incidence in the Agricultural Health Study » (utilisation du glyphosate et incidence du cancer dans l'Agricultural Health Study) ; c'est celle qui avait été gardée sous le coude et sous l'éteignoir pendant que le CIRC concluait au « cancérogène probable » du glyphosate. On peut être surpris par la description qui en est faite ici : le sur-risque des leucémies myéloïdes aiguës demandait confirmation.

 

L'impression qui se dégage de cet article est que les auteurs ont fait de gros efforts pour tirer quelque chose de consommable de leur pêche aux résultats. Fut-ce pour avoir quelque chose de publiable, ou pour contribuer aux manœuvres tendant à faire échouer la ré-homologation du glyphosate aux États-Unis d'Amérique et dans l'Union Européenne ?

 

 

Une conclusion qui se prête à l'instrumentalisation

 

Quoi qu'il en soit, la conclusion du résumé est rédigée en des termes qui permettent une instrumentalisation de l'étude par le militantisme anti-glyphosate.

 

« Nos résultats contribuent au poids de la preuve soutenant une association... » ? Au mieux, ils contribuent faiblement quand on relie teneur en glyphosate dans les urines et biomarqueurs (deux sur trois, statistiquement parlant), pas vraiment quand on considère l'exposition des agriculteurs.

 

Ils « peuvent éclairer les évaluations du potentiel cancérigène... » ? Correctement lus, ils confirment l'absence de potentiel constatée dans l'exploitation de la méga-cohorte AHS (Andreotti et al., 2017).

 

Mais pour l'instrumentalisation, on a un exemple de taille : il suffit d'associer un graphique à la conclusion du résumé... N'est-ce pas, M. Stéphane Foucart ?

 

 

(Source)

 

 

L'exploitation médiatique dans le Guardian

 

Mme Carey Gillam a aussi pu faire des moulinets dans le Guardian, comme on l'a déjà vu plus haut, et en extrayant de l'article scientifique les quelques morceaux utiles à sa cause militante.

 

Et en faisant appel à de « bons » interlocuteurs :

 

« "Le stress oxydatif n'est pas quelque chose que vous voulez avoir", a déclaré Linda Birnbaum, toxicologue et ancienne directrice de l'Institut National des Sciences de la Santé Environnementale. "Cette étude accroît notre compréhension du fait que le glyphosate a le potentiel de causer le cancer". »

 

Le « fait que le glyphosate a le potentiel... » ? Les auteurs de l'étude ne se sont pas aventurés aussi loin.

 

Il y a aussi les scientifiques « indépendants » (Mme Linda Birnbaum l'est sans doute aussi, « indépendante ») :

 

« L'étude est si importante qu'elle mérite l'attention des autorités de réglementation, selon certains scientifiques indépendants.

 

"Il s'agit d'une équipe de chercheurs de haut niveau et d'une étude très crédible à laquelle les régulateurs doivent prêter attention", a déclaré Phil Landrigan, pédiatre et épidémiologiste qui a travaillé pendant des années au CDC et à l'Agence de Protection de l'Environnement (EPA) et qui dirige aujourd'hui le Program for Global Public Health and the Common Good au Boston College.

 

Michael Antoniou, un scientifique du Département de Génétique Médicale et Moléculaire du King's College de Londres qui mène des recherches sur le glyphosate depuis des années, a déclaré que les résultats étaient "inquiétants" et qu'ils avaient "des implications majeures pour la santé". »

 

C'est à ce genre de déclarations que l'on mesure le véritable sens du mot « indépendant ». Ceux qui connaissent le pédigrée de MM. Michael Antoniou et Phil Landrigan ne seront pas surpris.

 

Ces déclarations illustrent aussi l'ampleur du problème des chercheurs militants, pratiquant une « science parallèle », selon la terminologie de M. Marcel Kuntz, au service d'un projet socio-politique. Ici, ils ne l'ont pas pratiquée, il leur a suffi de commenter et de polluer la médiasphère.

 

Mme Carey Gillam a tout de même recueilli l'opinion de Bayer :

 

« […] Les responsables de Monsanto et de son propriétaire allemand, Bayer AG, ont toujours assuré au public et aux autorités de réglementation que l'exposition au désherbant ne constitue pas une menace pour la santé humaine.

 

Bayer a déclaré que la nouvelle étude du NIH présente de nombreuses "limitations méthodologiques importantes qui affectent sa fiabilité", et a déclaré que les résultats sont en contradiction avec d'autres recherches gouvernementales.

 

"L'augmentation du stress oxydatif constatée dans l'étude pourrait avoir été causée par un certain nombre de facteurs non liés au glyphosate ou par une combinaison de ceux-ci, et l'étude ne permet pas de conclure que le glyphosate en est la cause", a déclaré Bayer dans un communiqué. »

 

 

Le problème récurrent des études épidémiologiques

 

En fait, on trouve là un des problèmes majeurs des études épidémiologiques sur les humains, lesquelles soulèvent de sérieuses critiques (voir par exemple ici ou ici pour la nutrition). Le nombre et la variété des facteurs susceptibles d'influencer les résultats sont tels que ceux-ci sont d'une valeur limitée.

 

Les notes du tableau 2, reproduit ci-dessous et livré brut de décoffrage, montrent les acrobaties auxquelles les auteurs se sont livrés pour éliminer les facteurs de confusion – sans garantie, à notre sens, qu'ils aient fait juste et qu'ils aient été exhaustifs.

 

 

 

 

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