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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La souveraineté alimentaire : la voie de l'autosuffisance ou de l'autosatisfaction ?

17 Août 2021 Publié dans #Divers

La souveraineté alimentaire : la voie de l'autosuffisance ou de l'autosatisfaction ?

 

Tim Durham, Agdaily*

 

 

Image : B Brown, Shutterstock

 

 

Citez une menace existentielle pour la civilisation humaine. L'absence de souveraineté alimentaire figure-t-elle en tête de votre liste ?

 

Dans le monde développé, la simple mention de la nourriture semble aller de soi. Nous en avons à revendre. Nous avons la chance de disposer de certaines des terres agricoles les plus productives du monde et du savoir-faire technique nécessaire pour en faire un assortiment stupéfiant de produits.

 

Nous nous prenons pour des connaisseurs de la nourriture – et pourtant, beaucoup de gens sont très éloignés des chaînes alimentaires qui produisent, emballent et distribuent notre « manne » terrestre essentielle.

 

Peut-être trop éloignés. Une foule de plus en plus bruyante – les souverainistes alimentaires – affirme que l'allée de l'épicerie n'est que la dernière étape d'un éventail de produits « inférieurs aux normes » (à la limite de la toxicité) fabriqués par des sociétés anonymes. Ces entités jouissent selon eux d'une mainmise verticale et monopolistique sur les moyens de production et de distribution. Et elles sont toutes de mèche, conspirant pour vous saigner à blanc pendant que les gros bonnets en profitent.

 

 

 

 

Mais qu'est-ce que cette notion de souveraineté alimentaire ?

 

Pour moi, la souveraineté évoque des termes tels que l'autodétermination : le droit d'un groupe ethnique ou religieux minoritaire de tracer son propre destin politique, sans l'œil vigilant d'un monarque ou d'un dirigeant autoritaire.

 

Cette autonomie fait écho à l'idée de souveraineté alimentaire, mais avec une nuance sociopolitique distincte. En gros, les gens devraient exercer le droit de définir les systèmes alimentaires et d'y faire infuser leurs propres valeurs et méthodes de production éco-conscientes, à l'abri de l'influence corruptrice des entreprises.

 

Il s'agit d'un rejet catégorique des dynamiques de pouvoir traditionnelles – d'un soulèvement populiste visant à renverser le statu quo et à renégocier les relations entre les humains et la terre (d'un point de vue environnemental, culturel et économique).

 

Ce concept recoupe de manière significative celui de la sécurité alimentaire, c'est-à-dire l'idée que les gens devraient avoir un accès continu à une alimentation adéquate, sûre et nutritive.

 

Alors, le pouvoir au peuple ?

 

Les disciples purs et durs pratiquent le « guerilla gardening », la guérilla potagère, c'est-à-dire qu'ils réaffectent des propriétés privées, souvent inutilisées, en plantations luxuriantes dans la tradition de Johnny Appleseed.

 

On peut se demander s'il s'agit ou non d'un « coup monté contre l'Homme », car les terrains sont tout simplement à l'abandon. Il est peu probable qu'ils appartiennent à une quelconque entreprise. Ils ne contribueraient pas non plus à résoudre le problème palpable des déserts alimentaires dans les zones urbaines (lui-même un problème grave dans de nombreux bastions urbains).

 

 

 

 

C'est là que je m'interroge sur les intentions réelles du mouvement. Les entreprises sont-elles vraiment si accapareuses qu'elles étouffent les humbles intentions agricoles de John et Jane Q. Public ?

 

Bien que nous soyons enclins à accuser les entreprises d'être les grands méchants, de quelles privations sont-elles coupables ? La souveraineté alimentaire consiste-t-elle à donner du pouvoir à la victime ou est-ce un discours théâtral destiné à diaboliser un souffre-douleur populaire ? Il semble également que l'on rabâche toutes les accusations passionnées contre le capitalisme.

 

Considérons quelques scénarios :

 

  • Si les producteurs laitiers identifient un marché mal desservi et se regroupent volontairement pour former une coopérative (elle-même une entité corporative aux valeurs représentatives), est-ce incompatible avec la souveraineté alimentaire ?

 

  • Si des activistes achètent des actions, entreprennent une « prise de contrôle » d'une société cotée en bourse, font siéger leurs membres au conseil d'administration et proposent des réalignements de valeurs soumis au vote des actionnaires (ce qui me semble plutôt démocratique et inclusif), cela n'incarne-t-il pas la souveraineté alimentaire ?

 

  • Si une ferme familiale locale se constitue en société à responsabilité limitée pour délimiter clairement les actifs personnels et commerciaux (et la responsabilité), est-elle maintenant considérée comme une « ferme usine » ? Viole-t-elle les principes sacrés de la souveraineté alimentaire ? Quatre-vingt-dix-sept pour cent des exploitations agricoles américaines sont des exploitations familiales.

 

  • Si une entreprise se vante d'être biologique et respectueuse de l'environnement, mais qu'elle est détenue par une société mère qui exploite à la fois des produits biologiques et non biologiques (qu'elle éloigne et dissimule délibérément par des changements de marque astucieux), cela est-il compatible avec la souveraineté alimentaire ? S'agit-il d'une condamnation du capitalisme en soi, ou simplement d'une déformation volontaire et d'un écoblanchiment de leur produit ?

 

  • Des situations telles que le lait cru et la sécurité alimentaire entrent également en jeu. La législation autorisant la vente directe et la commercialisation du lait cru est une véritable poudrière qui oppose les producteurs laitiers les uns aux autres. Avez-vous le droit de le boire ? Je crois que oui. Mais vous en assumez aussi le risque. Le problème collatéral est que les épidémies ont tendance à entacher la réputation de l'industrie dans son ensemble. Des réputations que l'industrie a méticuleusement (et légitimement) cultivées pendant des décennies peuvent en un instant être réduites à néant, à cause de quelques-uns qui pensent pouvoir se soustraire aux lois sur la sécurité sous le couvert de la souveraineté alimentaire.

 

  • Qu'en est-il de la propriété intellectuelle et des contrats de semences insidieux ? Vous savez, ces contrats qui « forcent » les agriculteurs à acheter des semences GM propriétaires, année après année, sans possibilité de recours ? Il s'agit sûrement d'un problème d'entreprise que la souveraineté alimentaire peut aider à contenir. Bien sûr, c'est un mythe. Les propriétaires et les agriculteurs ont de nombreuses possibilités de s'approvisionner en semences, notamment auprès des Seed Savers et d'autres organismes. Les organisations à but non lucratif et les gouvernements gèrent les célèbres banques de semences qui servent de dépôt de diversité génétique pour reconstruire notre infrastructure alimentaire en cas de catastrophe mondiale. Il existe même des conservatoires d'animaux patrimoniaux si vous aimez l'élevage et les races « rétro ».

 

La véritable souveraineté alimentaire semble nécessiter un certain volontarisme : choisir d'utiliser des semences biotechnologiques ou de suivre la voie de la pollinisation libre et non liée à des entreprises – et non une croisade unilatérale visant à réimaginer la façon dont une poignée de personnes pensent que l'agriculture devrait être structurée. Ironiquement, c'est l'antithèse de leur argument ! Il semble que le redoutable marché soit plutôt favorable et accommodant pour diverses approches agricoles.

 

Je dirais que les « Karens » des HOA (Home owners' associations – associations de propriétaires) qui infligent des amendes à ceux qui osent planter des jardins dans l'espace entre la rue et la maison (oui, l'espace avant) étouffent la libre pratique de l'agriculture bien plus que n'importe quelle société. Les lois et règlements trop pointilleux peuvent également être paralysants. Les gouvernements n'ont jamais été très doués pour identifier les points où commencent les rendements (politiques) décroissants, ou pour évaluer l'étendue de leurs effets.

 

La souveraineté alimentaire : la voie de l'autosuffisance ou une attitude moralisatrice étouffante ? On dirait une solution dramatique à la recherche d'un problème inexistant.

 

______________

 

* La famille de Tim Durham exploite Deer Run Farm et produit des légumes à Long Island, New York. En tant qu'agvocat, il réfute les discours enflammés avec des faits. Tim a obtenu un diplôme en médecine végétale et est professeur adjoint au Ferrum College en Virginie.

 

Source : Food sovereignty: The road to self-sufficiency or self-righteousness? | AGDAILY

 

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