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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Misère, les cours d'eau sont pollués par les pesticides ! Le sont-ils vraiment ?

25 Novembre 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #Pesticides, #critique de l'information

Misère, les cours d'eau sont pollués par les pesticides ! Le sont-ils vraiment ?

 

 

Le Commissariat général au développement durable vient de publier dans la série « chiffres et statistiques » son rapport annuel « Les pesticides dans les cours d’eau français en 2013 ».

 

C'est un exercice rituel. On prend le rapport de l'année précédente et on change ce qu'il faut changer, sans guère de questionnement. Ce serait pourtant une bonne idée que de remettre en cause le procédé et de s'interroger sur la finalité de la communication dont on rappellera qu'elle est gouvernementale.

 

Le but de l'exercice reste de servir, au moins d'une certaine manière, la cause de l'écologie – ou plutôt de l'écologisme. On nous gratifie donc de séries de chiffres qui se prêtent à une interprétation alarmiste, voire catastrophiste.

 

Mais est-ce bien raisonnable ? De fait, l'intérêt supérieur de la Nation passe au second, sinon à l'arrière-plan.

 

 

L'imidaclopride dans le top 15 des détections

 

Nul doute que, quand les médias se seront saisis de l'affaire, ils nous abreuveront d'une « tendance préoccupante », relative aux détections d'imidaclopride, un néonicotinoïde qui fait l'objet d'une extraordinaire campagne de dénigrement, accusé qu'il est de nuire aux abeilles et aux pollinisateurs. Actu-Environnement s'est déjà laissé séduire en titrant : « Pesticides néonicotinoïdes : la contamination des cours d'eau fait un bond »...

 

Le Commissariat ne s'est pas privé de monter l'affaire en épingle. Selon le résumé,

 

« 2013 se démarque des bilans précédents par la présence plus marquée dans les cours d’eau de France métropolitaine d’imidaclopride, insecticide néonicotinoïde. »

 

Sur un tiers de page, il nous présente aussi un graphique pour montrer comment l'imidaclopride est passé d'un rang proche de 60 en 2007 à 15 en 2015 (comme l'échelle est graduée en dizaines, il faut deviner... ce qui reflète un certain dilettantisme). Il faut cependant lire le texte pour s'apercevoir que :

 

« Enfin, la progression du boscalid et de l’imidaclopride, les deux seules substances non herbicides de ce classement, est également due à une surveillance accrue. »

 

Et que :

 

« L’augmentation des détections d’imidaclopride est liée à une amélioration des performances analytiques. »

 

On nous informe certes que les teneurs moyennes sont en hausse, mais que :

 

« Ces teneurs restent toutefois faibles et ne dépassent que rarement les normes actuelles d’écotoxicité en vigueur. »

 

Selon le tableau 2, sur 2738 points de surveillance (sur 2826 au total en France métropolitaine), on a constaté un dépassement du seuil d'écotoxicité (0,2 µg/l) pour 0,2 % des points. À vue de nez, c'est 5 points (dilettantisme là encore : pourquoi ne pas avoir donné le nombre en valeur absolue ?). Il aurait du reste aussi été utile de préciser ce qu'est le seuil d'écotoxicité et comment il est déterminé.

 

Résumons : était-il vraiment judicieux de faire tout un plat ?

 

Et que fera-t-on l'année prochaine, puisque d'importantes applications de l'imidaclopride, notamment l'enrobage des semences et les traitements du sol, ont été suspendus pour deux ans à compter du 1er décembre 2013 ?

 

 

Communiquer sur les détections...

 

C'est une technique connue : l'aiguille du spectromètre tressaute, le compteur fait clic pour avancer d'un cran :

 

« Des pesticides sont présents dans la quasi-totalité des cours d’eau français. En 2013, 92 % des points de surveillance font état de la présence d’une au moins de ces substances, les rares bassins exempts de pesticides se concentrant dans les zones montagneuses ou dans les zones dont l’agriculture est peu intensive. »

 

C'est presque aussi efficace que : « tous les gagnants au loto ont tenté leur chance »...

 

Quel résultat peut-on espérer obtenir quand on recherche quelque 100, voire 400, molécules avec des seuils de détection – du reste non précisés – inférieurs à 0,1 µg/l ? Pour le metazachlore, le document indique un seuil d'écotoxicité de 0,019 µg/l ; on devrait en conséquence pouvoir quantifier le nanogramme/litre. Ces chiffres peuvent donner le vertige : 1 ng/l, c'est l'équivalent d'un morceau de sucre (6 g) dans quelque 1800 piscines olympiques. Pour le chlordécone, le seuil d'écotoxicité est e,core plus bas, à 0,000005 µg/l.

 

« La contamination est le fait d’une grande diversité de substances, avec, dans plus de la moitié des cas, au moins 10 pesticides différents retrouvés. »

 

Idem. Quel résultat peut-on espérer obtenir quand on recherche, en moyenne métropolitaine, 316 pesticides ?

 

Notez aussi le vocabulaire : « contamination ».

 

Raisonner sur les détections (et les moyennes) n'a pas beaucoup de sens. Il est cependant intéressant de noter que les bassins Adour Garonne, et Rhône Méditerranée Corse se distinguent pas des moyennes basses (7 pour 130 recherchés et 6 pour 394 recherchés), Artois Picardie étant à 29 pour 107 recherchés.

 

Il ne faut pas se hâter de conclure ! Des détections nombreuses en variété peuvent aussi signifier que les agriculteurs alternent les matières actives, donc utilisent judicieusement les produits phytosanitaires.

 

 

...car les teneurs sont faibles

 

La carte 2 présente les teneurs moyennes en pesticides par petit bassin hydrographique sous une forme qui est à peu près lisible, avec un dégradé de couleurs suffisamment net pour les fortes teneurs (la carte 1 est en revanche illisible, et ce n'est pas sérieux). Selon le résumé,

 

« Les teneurs restent globalement faibles mais des pics importants sont relevés localement, en lien avec les zones de grande culture. »

 

Quel est le nombre de points de surveillance avec une teneur moyenne classée « très forte » (plus de 2 µg/l) ? Réponse : 33 sur 2826.

 

Petit rappel : selon le code de la santé publique, les eaux brutes destinées à produire de l'eau potable (du robinet) ne doivent pas contenir plus de 2 µg/l d'un pesticide particulier et plus de 5 µg/l pour le total des substances mesurées.

 

Pour l'eau du robinet, les limites sont de 0,10 µg/l pour chaque pesticide (à l'exception de l'aldrine, la dieldrine, l'heptachlore et de l’heptachloroépoxyde : 0,03 µg/l) et 0,50 µg/l pour le total des substances mesurées. Combien de points de surveillance qui dépassent les 0,50 µg/l et qui nécessiteraient donc un traitement (qui peut aussi être requis pour d'autres raisons) ? 213 sur 2826.

 

Le Commissariat relève – mais dans le texte seulement, pas dans le résumé – cette situation :

 

« À l’exception de l’AMPA, les teneurs de ces 15 pesticides les plus fréquemment détectés dans les cours d’eau de France métropolitaine sont en moyenne inférieures à 0,1 µg/l, seuil de potabilité par pesticide (graphique 4). Ces valeurs moyennes cachent parfois une forte variabilité à l’image du glyphosate, de l’AMPA, du métolachlore et de l’isoproturon, en raison de pics localisés importants en valeurs. Néanmoins, les dépassements des seuils d’écotoxicité vis-à-vis des milieux aquatiques, généralement plus élevés que pour l’eau potable, se concentrent sur le chlortoluron et le métazachlore (tableau 2). »

 

 

Sacré glyphosate !

 

« En France métropolitaine, le glyphosate est toujours en tête des pesticides les plus détectés dans les cours d’eau .»

 

Le glyphosate étant utilisé partout, y compris sur des surfaces qui se prêtent au ruissellement, la constatation n'est pas surprenante.

 

Mais cet intertitre est faux ou, au mieux, trompeur. Car la molécule la plus souvent détectée est l'AMPA. Mais :

 

« Le cas de l’AMPA reste à part, car il ne provient pas uniquement de la dégradation du glyphosate (encadré [en fin de document]). Ses détections sont plutôt stables, alors que celles de sa molécule mère, le glyphosate, sont en hausse constante depuis 2011. »

 

Rappelons qu'il s'agit de détections, ce qui pose quelques difficultés d'interprétation. Car deux détections en-dessous de la limite de quantification comptent pour deux occurrences dans ce document, tout comme deux quantifications.

 

La Commission ne s'étend pas sur ce cas de figure.

 

On peut se reporter au tableau 2, déjà évoqué, qui donne le pourcentage (pas la valeur absolue...) de points de surveillance en dépassement du seuil d'écotoxicité. Pour l'AMPA et le glyphosate, c'est... 0,0 % (sur 2021 points).

 

Les deux substances suivantes les plus fréquemment détectées sont l'atrazine déséthyl et la 2-hydroxy atrazine, des produits de dégradation de l'atrazine, interdite d’usage depuis dix ans. On sait que cette dernière est très persistante. Et il y a... un dépassement de seuil pour l'atrazine déséthyl.

 

 

 

Amalgamation des DOM

 

Selon l'intertitre,

 

« Dans les DOM, les détections de pesticides dans les cours d’eau se font sur moins de substances, mais leurs propriétés sont plus variées qu’en métropole ».

 

Et selon le texte :

 

« Ce classement [des 15 substances les plus détectées] établi pour les DOM reflète toutefois plus la contamination en Martinique, qui représente 66 % des analyses des DOM et plus de 80 % des détections, que celle des DOM dans leur ensemble. »

 

Le chlordécone et son métabolite chlordécone 5b hydro arrivent largement en tête d'un classement très artificiel. Dans la Réunion, par exemple, il y avait 25 points de surveillance, 89 substances recherchées, 2 points avec détection d'une substance.

 

 

Et si l'on positivait ?

 

Ce n'est pas compris par tout le monde : les produits phytosanitaires ont une utilité certaine. Il faut les gérer correctement – la filière s'y emploie ! – et gérer les résidus, ce qui commence par une information adéquate.

 

Ce document du Commissariat général au développement durable pourrait avoir une toute autre teneur, partant d'une autre approche. Celle d'une écologie positive, au service de la société, qui a besoin d'une alimentation et d'une agriculture, ainsi que d'une gestion du territoire qui ne saurait être la mise en friches généralisée. On peut faire la même remarque, dans certains cas en bien plus critique, des rapports des différentes agences de bassin.

 

Et si, au lieu d'ouvrir par : « Des pesticides sont présents dans la quasi-totalité des cours d’eau français », on avait tenu un discours rassurant ? Nos autorités sont-elles conscientes de leur contribution à l'agriculture-bashing, au dénigrement d'une composante essentielle de notre économie et de notre vivre-ensemble ?

 

Le pourcentage de dépassement du seuil d'écotoxicité le élevé est à 7,5 (sur 2814 points de surveillance, soit, en principe, 211 points) pour le métazachlore . Au cinquième rang, on tombe à 0,2 % pour l'imidaclopride (2 points). Le glyphosate tant vilipendé est à 0,0 %.

 

La teneur moyenne et l'écart-type des teneurs en glyphosate des cours d’eau de France métropolitaine sont respectivement de 0,10 µg/l (environ, selon le graphique 4), et de -0,17 µg/l (curieux...) à +0,34 µg/l. Ce sont là aussi des valeurs que l'on trouve pour les résidus de médicaments et que l'on peut trouver à l'entrée des stations d'épuration pour des résidus de drogues.

 

Il se rapporte du reste que quand le CNRS a voulu étudier la consommation de drogues dans les villes françaises par la mesure des résidus dans les effluents en 2013, certaines villes ont refusé de participer ; d'autres se sont offusquées des résultats.

 

Il y a des tabous... mais, pour les pesticides, c'est sans tabou...

 

 

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U
Les graphiques avec des concentrations négatives laissent pantois
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U
Un étudiant en licence qui aurait remis un document avec une telle énormité aurait droit à un zéro pointé.
S
Je me suis contenté d'écrire "curieux" !