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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Moustique génétiquement modifié... dengue !

11 Juillet 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #Article scientifique, #Santé publique, #OGM, #Dengue, #Chikungunya

Moustique génétiquement modifié... dengue !

 

Aedes aegypti, vecteur principal de la dengue

 

La dengue, un fléau

 

On en parle, un peu, beaucoup, souvent dans un contexte d'anxiogénèse. Oui, la dengue est à nos portes, en France ou, plutôt, en métropole, où deux cas autochtones ont été recensés l'année dernière dans le Var. Car elle fait déjà partie du lot quotidien dans les DOM-TOM. Mais le contexte, c'est aussi... l'activisme anti-OGM.

 

Voici donc les faits, repris d'une fiche explicative de l'Organisation Mondiale de la Santé [1] :

 

  • La dengue est une infection virale transmise par les moustiques.

  • Cette infection provoque un syndrome de type grippal et peut évoluer à l’occasion vers des complications potentiellement mortelles, appelées dengue sévère [autrefois appelée dengue hémorragique].

  • L’incidence mondiale de la dengue a progressé de manière spectaculaire au cours des dernières décennies.

  • Désormais, la moitié de la population mondiale environ est exposée au risque.

  • La dengue sévit dans les régions tropicales et subtropicales du monde entier, avec une prédilection pour les zones urbaines et semi-urbaines.

  • La dengue sévère est une des grandes causes de maladie grave et de mortalité chez les enfants dans certains pays d’Asie et d’Amérique latine.

  • Il n’existe pas de traitement spécifique pour la dengue ou la dengue sévère, mais la détection précoce et l’accès à des soins médicaux adaptés permettent de ramener les taux de mortalité en dessous de 1%.

  • La prévention et la maîtrise de la dengue reposent uniquement sur des mesures efficaces de lutte antivectorielle, incluant la protection personnelle, des mesures antivectorielles s’inscrivant dans la durée et la lutte chimique.

 

Les estimations sont difficiles. Pour simplifier, ce sont 400 millions de cas par an ; dont 100 millions avec des manifestations cliniques ; dont 500 000 cas de dengue sévère, avec une très forte proportion d’enfants, nécessitant une hospitalisation ; dont 2,5% mortels (de 1 % à 20 % selon l'accès aux soins et leur qualité).

 

Plus de la moitié de l'humanité y est exposée.

 

Répartition d'Aedes aegypti

 

Un seul remède : la lutte antivectorielle

 

Reprenons le dernier point : la prévention et la maîtrise de la dengue reposent uniquement sur des mesures efficaces de lutte antivectorielle, incluant la protection personnelle, des mesures antivectorielles s’inscrivant dans la durée et la lutte chimique.

 

La dengue est transmise principalement par le moustique Aedes aegypti et secondairement par le moustique Aedes albopictus.. Ce dernier est le moustique tigre, craint comme vecteur du chikungunya, en expansion en France.

 

Aedes aegypti à gauche, Aedes albopictus à droite

 

Une solution originale

 

Faisons un flashback sur un autre fléau : la lucilie bouchère, Cochliomyia hominivorax, la « dévoreuse d'hommes ». Cette mouche pond dans une blessure, que les larves agrandissent en plaie béante... dont l'odeur attire d'autres mouches. L'animal atteint est condamné.

 

Cochliomyia hominivorax

 

La lucilie bouchère, originaire du continent américain, a débarqué au début des années 1990 en Libye. En quelques mois, elles a colonisé un espace de 20.000 kilomètres carrés et tué deux millions de bêtes sur un cheptel global de six millions de têtes. Les États-Unis d'Amérique disposaient d'une technologie, dite du « mâle stérile » – rendu stérile par irradiation [3]. Une femelle qui s'est accouplée avec un mâle stérile produira des œufs non viables, ce qui réduit la population.

 

Mais... relations internationales exécrables... C'est une des très grandes réalisations de l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) que d'avoir convaincu les autorités et l'opinion publique libyens de la nécessité de lâcher des millions de mouches provenant d'un pays pas très ami sur leur territoire pour éradiquer la lucilie... et d'avoir obtenu une autorisation spéciale du président Bush et du Congrès américain...

 

L'entreprise de biotechnologie britannique Oxitec – sauf erreur une startup issue de l'Université d'Oxford – a mis au point une autre méthode de stérilisation [4]. La technique est grosso modo une variante de cette technique unanimement honnie par la mouvance alter et anti, dénommée par elle Terminator. Les moustiques portent un transgène qui les rend dépendants de la tétracycline pour compléter leur développement. L’usine où sont produits les moustiques détruit les œufs femelles et n'élève que les mâles en leur fournissant l'indispensable tétracycline. Le mâle relâché, en s'accouplant, transmet le transgène à la progéniture, laquelle est évidemment privée de tétracycline. Elle n'arrive donc pas à maturité.

 

 

Essais au Brésil, sur fond de polémiques

 

Les essais qui font l'objet du présent billet ont eu lieu à partir de 2010, après un essai positif d'assez grande envergure aux Îles Caimans en 2009 [5].

 

Par la suite, le 10 avril 2014, la Coordenação-Geral da Comissão Técnica Nacional de Biossegurança (CTNBio, Coordination générale de la Commission technique nationale de biosécurité) a autorisé, par seize voix contre une, la dissémination dans l'environnement des moustiques stériles OX513A de manière générale et non plus simplement expérimentale.

 

On ne fera pas ici le tour des « informations » diffusées quand la procédure d'autorisation s'est approchée de son terme auprès de la CTNBio. On en reprendra simplement deux, évoquées dans un bon article du Monde [6].

 

Pour Inf'OGM, la vitrine présentable de l'anti-OGMisme [7],

 

« Cette décision [d'autoriser les lâchers, bien sûr appelés « dissémination »] inquiète de nombreuses organisations, écologistes, agricoles, sociales, etc. Pour elles, le dossier est lacunaire : aucun plan de suivi post-commercial n’est fourni par l’entreprise, et les soi-disant "résultats probants" des essais en champs (commencés en février 2011) n’ont pas été publiés. De plus, la procédure d’autorisation n’est pas respectée : le public n’a pas été correctement consulté. D’autre part, pour Gabriel Fernandes, " il n’y a aucune donnée qui montre que les moustiques GM réduisent l’incidence de la dengue". »

 

Les procédures... Et pour démontrer que la technique permet de réduire l'incidence de la dengue, il faut d'abord... prouver qu'elle réduit l'incidence de la dengue !

 

La citation de M. Fernandes est tirée d'un communiqué commun de Third World Network, AS-PTA, Red América Latina Libre de Transgénicos, GeneWatch UK [8]. Celui-ci contient un autre morceau de bravoure :

 

« Il n'existe aucun test de toxicité public qui prouve qu'avaler un moustique génétiquement modifié ou être piqué par un moustique femelle GM survivant est sans danger pour les humains, les animaux domestiques ou sauvages. »

 

 

Résultat positif

 

Une équipe mixte d'Oxitec, d'institutions brésiliennes et britanniques vient de publier les résultats [9]. Du résumé :

 

« Nous décrivons ici des séries de lâchers sur le terrain de mâles d'Ae. aegypti OX513A dans une banlieue de Juazeiro, Bahia, Brésil. Cette étude a duré plus d'un an et a réduit la population locale d'Ae. aegypti de 95% (IC à 95%: 92,2% -97,5%) sur la base des données de piégeage des adultes et 81% (IC à 95%: 74,9 à 85,2%) sur la base des indices des pondoirs-pièges par rapport à la zone adjacente de contrôle, sans lâchers. La compétitivité des mâles relâchés pour l'accouplement (0,031; IC à 95%: de 0,025 à 0,036) était similaire à celle estimée dans les essais des Îles Caïmans (0,059; IC à 95%: de 0,011 à 0,210), ce qui indique que les différences relatives à environnement et la souche cible ont eu peu d'impact sur le succès de l'accouplement des mâles OX513A. Nous concluons que la libération prolongée de mâles OX513A peut être une méthode efficace et très utile pour la suppression du principal vecteur de la dengue, Ae. aegypti. Le niveau observé de la suppression serait vraisemblablement suffisant pour prévenir les épidémies de dengue dans la localité testée et d'autres zones où le niveau de transmission est similaire ou inférieur.

 

 

Une solution miracle ?

 

La « stérilisation » (ce n'en est pas une : c'est la descendance qui est rendue non viable) transgénique est-elle une solution miracle ? Oui et non.

 

Elle permet de cibler une espèce spécifique et produit des mâles fringants, contrairement à la technique de stérilisation par les rayonnements gammas, laquelle nécessite un dosage précis : ni trop, ni trop peu. Pour ses détracteurs, elle permettrait à une autre espèce de prendre la place de l'espèce cible... Notez que ces mêmes détracteurs mettent aussi en doute l'efficacité de la méthode ! Pile, je gagne, face, tu perds ! Mais cette critique vaut pour toutes les méthodes ciblées, y compris les pulvérisations d'insecticides aux abords des lieux habités (quand ces pulvérisations sont encore autorisées...), qui libèrent la place pour les moustiques ubiquistes.

 

Et il y a la question du coût, souvent évoquée... mais sans que l'on fasse la comparaison avec le coût sanitaire et social de la maladie.

 

 

Et en France ?

 

La France expérimente un procédé de stérilisation d'Aedes albopictus à base de rayons gammas à la Réunion. Le Journal de l'environnement a produit un bon résumé de la situation [10].

 

Oxitec a développé pour sa part un moustique dont la descendance femelle n'a pas d'ailes si elle se développe en absence de tétracycline [11]. Elle ne peut chercher un hôte, s'accoupler, etc.

 

Verra-t-on un jour des moustiques GM en France ? Lorsque l'on voit dans l'article précité un chercheur – qui devrait être au fait de la chose – agiter le risque génétique, du « transgène qui risque de se répandre dans la population », on se dit qu'il y a beaucoup de pain sur la planche.

 

Mais répondons à son objection. Admettons que le gène se répande et que le moustique s’affranchisse de la tétracycline : et alors ? Et alors on se retrouve avec un méchant moustique équivalent du point de vue de son écologie au moustique « normal ». Et on aura sans doute fabriqué entre-temps – pas en France, on peut le craindre –un autre transgène.

 

Et puis on n'a toujours pas démontré qu'avaler un moustique...

 

Plutôt la dengue ! C'est dingue !

_________________

 

[1] http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs117/fr/

 

[2] La technique a été mise au point dans les années 1950 par Raymond C. Bushland et Edward F. Knipling qui ont reçu conjointement le World Food Prize en 1992. Elle est aussi utilisée contre la mouche méditerranéenne des fruits, et la glossine, vecteur de la maladie du sommeil.

Pour rappel, les lauréats de 2013 ont été Marc Van Montagu, Mary-Dell Chilton et Robert T. Fraley pour leurs travaux de biotechnologie agricole améliorant la durabilité et la sécurité de l'approvisionnement alimentaire mondial. Marc Van Montagu avait, avec Jozef Schell, décédé en 2003, ouvert la voie OGM faisant appel à Agrobacterium tumefaciens. Nous avons été leader... nous ne sommes pratiquement plus dans la course...

 

[3] http://www.larecherche.fr/savoirs/portfolio/eradication-mouche-tueuse-du-mexique-01-06-2009-74861

 

[4] http://www.oxitec.com/

 

[5]http://www.nature.com/nbt/journal/v29/n1/full/nbt0111-9a.html

 

[6]  http://ecologie.blog.lemonde.fr/2014/04/18/le-bresil-va-lacher-des-millions-de-moustiques-ogm-contre-la-dengue/

 

[7] http://www.infogm.org/5643-Bresil-autorise-un-moustique-OGM-malgre-une-evaluation-laxiste

 

[8] http://www.genewatch.org/article.shtml?als[cid]=567356&als[itemid]=574437

 

[9] Carvalho DO, McKemey AR, Garziera L, Lacroix R, Donnelly CA, Alphey L, et al. (2015) Suppression of a Field Population of Aedes aegypti in Brazil by Sustained Release of Transgenic Male Mosquitoes. PLoS Negl Trop Dis 9(7): e0003864. doi:10.1371/journal.pntd.0003864

http://journals.plos.org/plosntds/article?id=10.1371/journal.pntd.0003864#abstract1

 

[10] http://www.journaldelenvironnement.net/article/a-la-reunion-premiers-moustiques-steriles-en-2015,55105

 

[11] http://www.oxitec.com/health/our-products/aedes-albopictus-3688c/

 

La santé publique est affaire de sondage et de "débat citoyen"...

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