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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Viticulture et leucémies infantiles : une étude un peu « survendue » et instrumentalisée

2 Novembre 2023 Publié dans #Article scientifique, #Santé publique, #Pesticides, #critique de l'information

Viticulture et leucémies infantiles : une étude un peu « survendue » et instrumentalisée

 

 

 

 

Deux enseignements :

 

1. Rassurant : on n'a pas trouvé de preuve d'association entre la proximité des vignes et la leucémie aiguë infantile ;

 

2. En dernière analyse également rassurant mais anxiogène pour les hypocondriaques et « businessogène » pour les activistes antipesticides : on a trouvé « une légère augmentation du risque de [leucémie aiguë lymphoblastique] chez les enfants vivant dans des zones à forte densité de viticulture ».

 

Qu'est-ce que cela donne dans l'article scientifique, le communiqué de presse de l'INSERM, les médias ?

 

 

Ce serait une « vaste étude de l'INSERM », selon « La densité de vignes augmente le risque de leucémie chez l’enfant », d'un Rue89Bordeaux que l'on sent un peu dépité, la Nouvelle Aquitaine ne portant pas le bonnet d'âne. C'est en tout cas un vaste travail.

 

L'étude, c'est « Association between Residential Proximity to Viticultural Areas and Childhood Acute Leukemia Risk in Mainland France: GEOCAP Case-Control Study, 2006–2013 » (association entre la résidence proche des zones viticoles et le risque de leucémie aiguë chez l'enfant en France métropolitaine : étude cas-témoins GEOCAP, 2006-2013) de Matthieu Mancini, Denis Hémon, Perrine de Crouy-Chanel, Laurence Guldner, Laure Faure, Jacqueline Clavel et Stéphanie Goujon. L'article a été publié dans Environmental Health Perspectives.

 

L'équipe relève majoritairement du Centre de Recherche en Épidémiologie et Statistiques (CRESS) et comprend deux membres de Santé Publique France.

 

 

Le résumé de l'étude

 

Voici la meilleure source, si on exclut l'étude elle-même.

 

«Contexte :

 

L'exposition aux pesticides est soupçonnée d'être un facteur de risque pour plusieurs cancers infantiles, en particulier la leucémie aiguë (LA). La plupart des preuves sont fondées sur l'utilisation domestique de pesticides déclarée par les parents, mais certaines études ont également abordé les associations avec l'utilisation agricole de pesticides à proximité du lieu de résidence.

 

Objectifs de l'étude :

 

L'objectif de l'étude était d'évaluer le risque de LA chez les enfants vivant à proximité de vignes, une culture soumise à une utilisation intensive de pesticides.

 

Méthodes :

 

Les données ont été tirées de l'étude GEOCAP, basée sur un registre national. Nous avons inclus tous les cas de LA de moins de 15 ans diagnostiqués en 2006-2013 (n = 3.711) et 40.196 témoins contemporains représentatifs de la population infantile en France. La proximité des vignes (probabilité de présence à 200, 500 et 1.000 mètres) et la densité de la viticulture (surface consacrée à la vigne dans un rayon de 1.000 mètres) ont été évaluées autour des adresses géocodées dans un système d'information géographique combinant trois cartes nationales d'occupation des sols. Des modèles de régression logistique ont été utilisés pour estimer les odds ratios (OR) pour toutes les LA et pour les sous-types lymphoblastiques (LAL) et myéloïdes (LAM). L'hétérogénéité entre les régions a été étudiée par des analyses stratifiées. Des analyses de sensibilité ont été effectuées pour tenir compte, en particulier, de l'incertitude du géocodage, de la densité des autres cultures et des facteurs de confusion démographiques et environnementaux potentiels.

 

Résultats :

 

Au total, environ 10 % des témoins vivaient à moins d'un kilomètre de vignes. Bien qu'aucune preuve d'association entre la proximité des vignes et la LA n'ait été trouvée, la densité de la viticulture était positivement associée à la LAL [OR =1,05 (1,00-1,09) pour une augmentation de 10 % de la densité], avec une hétérogénéité statistiquement significative entre les régions. Aucune association avec la LAM n'a été observée. Les résultats sont restés stables dans toutes les analyses de sensibilité.

 

Conclusion :

 

Nous avons mis en évidence une légère augmentation du risque de LAL chez les enfants vivant dans des zones à forte densité de viticulture. Ce résultat confirme l'hypothèse selon laquelle l'exposition environnementale aux pesticides peut être associée à la LAL chez l'enfant. https://doi.org/10.1289/EHP12634 »

 

 

Est-ce bien honnête ?

 

Nous posons cette question sur le mode provocateur à dessein.

 

Quelle est, en effet, l'information principale ? Ce n'est pas la « légère augmentation du risque de [leucémie aiguë lymphoblastique] », mais le fait « qu'aucune preuve d'association entre la proximité des vignes et la [leucémie aiguë] n'ait été trouvée ».

 

On peut sans doute comprendre la propension des chercheurs à communiquer sur un « résultat positif » – un effet – plutôt que sur un « résultat négatif » – une absence d'effet –, ainsi que l'appétence des revues scientifiques pour cette démarche.

 

Mais nous sommes dans un monde où des résultats de ce genre ne sont plus confinés dans un monde scientifique habitué, majoritairement, à faire la part des choses. Ils sont instrumentalisés, souvent déformés, et peuvent être diffusés de manière démultipliée par les médias à la recherche du sensationnalisme, par les entités qui font commerce de la peur et de la contestation sociétale, et par les acteurs des réseaux sociaux. On ne peut dès lors que regretter ce qui relève de la faute éthique.

 

Les auteurs écrivent dans leur texte :

 

« Dans l'ensemble, il n'y a aucune preuve d'association entre l'indicateur de proximité des vignes et la LAL ou la LAM (tableau 2). Les OR étaient proches de un dans toutes les catégories sans hétérogénéité statistiquement significative. »

 

Cette simple et explicite phrase n'a pas trouvé sa place dans le résumé. On y a privilégié une proposition concessive (« Bien qu'aucune preuve d'association entre la proximité des vignes et la LA n'ait été trouvée... »).

 

 

Qu'a-t-on vraiment trouvé ?

 

Les chercheurs se sont livrés à un travail de triturage des données, exercice normal pour une étude essentiellement exploratoire, se fondant de surcroît sur des données de géolocalisation quelque peu imprécises.

 

C'est le tableau 2 qui résume le mieux ce qui a été trouvé.

 

 

 

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que, s'il s'agit de tirer des enseignements, ce n'est pas très convaincant. Les odds ratios ne sont pas très élevés – pas de quoi faire sauter des épidémiologistes sur une chaise comme des cabris. En outre, les intervalles de confiance englobent 1 (ce qui correspond à des résultats statistiquement non significatif).

 

On peut même ironiser : les chercheurs ont eu la chance de trouver un miraculeux OR de 1,05 avec un intervalle de confiance de 1,00-1,09.

 

Bref, comme cela a été dit par ailleurs, en réponse à des critiques, il s'agit – au mieux à notre sens – d'un « signal faible ».

 

En fait, nous somme plutôt perplexe devant une contradiction apparente : le risque de leucémies infantiles de tous types n'est pas augmenté par la présence de vignes – par rapport à l'absence –, mais le risque du type majoritaire (lymphoblastique, 80 %) augmente avec la densité des vignes.

 

Pour d'autres interrogations, on pourra se rendre sur le compte X de Bio_Saiyan.

 

Les auteurs ont aussi procédé à une analyse par région administrative. Ils écrivent :

 

« L'association entre la densité de la viticulture et le risque de LAL est apparue plus marquée dans 5 des 12 régions (Centre-Val-de-Loire, Grand-Est, Pays de la Loire, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse) ; aucune association n'a été trouvée pour les autres régions, en particulier la Nouvelle-Aquitaine, où plus de 20 % des témoins résidaient à proximité de la viticulture. Cela peut être dû à l'hétérogénéité de la description des zones viticoles dans les zones tampons de nos indicateurs ou à l'hétérogénéité régionale de l'utilisation ou des pratiques en matière de pesticides. Ces hypothèses méritent d'être approfondies. »

 

Le tableau 5 (reproduit en partie ci-dessous) montre en effet des résultats quelque peu surprenants. La Nouvelle-Aquitaine, grande utilisatrice de produits phytosanitaires compte tenu de ses conditions climatiques, « s'en sort plutôt bien ». Et Auvergne-Rhone-Alpes peut passer pour un outlier, une valeur aberrante. Au total, on peut formuler une autre hypothèse explicative : le hasard.

 

 

Ces résultats, pris dans leur ensemble, ne plaident pas vraiment pour la conclusion générale des auteurs :

 

« En conclusion, nous avons mis en évidence une légère augmentation du risque de LAL infantile dans les zones à forte densité de viticulture, avec une certaine hétérogénéité entre les régions. Cette constatation renforce l'hypothèse selon laquelle les pesticides utilisés en viticulture pourraient être associés à la LAL infantile, une hypothèse que nous étudierons plus en détail en utilisant les bases de données disponibles sur les utilisations agricoles des pesticides. »

 

Pourrait-il y avoir d'autres hypothèses ? Patience...

 

Notons un autre résultat qui, bien qu'affligé par un intervalle de confiance peu sympathique, suggère que les « méchants » pesticides ne sont peut-être pas si méchants que ça, s'agissant des leucémies aiguës infantiles : la référence est les zones urbaines de moins de 100.000 habitants, sans cultures dans un rayon d'un kilomètre. Lorsqu'il y a au moins une parcelle cultivée, mais pas en vigne, dans ce rayon – et a priori emploi de pesticides agricoles –, l'OR tombe à 0,84 (0.62-1.14) ou 0,83 (0,60-1.14), selon qu'il y a ou non une culture à moins de 500 mètres.

 

Et lorsque l'agglomération a une population supérieure à 100.000 habitants, l'OR tombe aussi à 0,91 (0,73-1,13).

 

Procédons à une extrapolation certes hasardeuse, car l'allégation devrait être prouvée : cette étude, déjà globalement rassurante pour les riverains de vignes, l'est encore plus pour les populations rurales, sachant que la vigne ne couvre que 3 % environ de la surface agricole utile, mais utilise 20 % des produits phytopharmaceutiques, et 80 % des fongicides, par des traitements en hauteur et à l'horizontale plutôt qu'au ras du sol ou de la culture et vers le bas.

 

Ajoutons que l'incidence de la leucémie aiguë est de 1,5 sur 100.000 enfants. Selon l'étude, il y a environ 500 nouveaux cas par an.

 

 

Un communiqué de presse de l'INSERM pédagogique

 

Le communiqué de presse, « Une étude de l’Inserm s’intéresse au lien entre le risque de leucémie pédiatrique et le fait d’habiter à proximité de vignes », est pédagogique, équilibré et aussi factuel que possible :

 

« L’analyse de ces données met en lumière deux résultats principaux. En premier lieu, la présence de vignes à moins de 1000 mètres de l’adresse de résidence n’était pas plus fréquente chez les cas (9,3%) que chez les témoins (10%). En d’autres termes, d’après ces résultats, la simple présence de vignes à moins de 1000 m de l’adresse de résidence ne semble pas en soi être un facteur de risque de leucémie.

 

En revanche, les scientifiques ont observé une association entre le risque de développer une leucémie de type "lymphoblastique" et l’étendue de la surface couverte par les vignes, dans ce périmètre de 1000 mètres autour de l’adresse des enfants. Ce risque augmente de façon modérée en fonction de la surface couverte par les vignes : en moyenne pour chaque augmentation de 10 % de la part couverte par les vignes dans le périmètre de 1000 mètres, le risque de leucémie lymphoblastique augmente de près de 10%. »

 

 

Et les médias ?

 

Le bon côtoie sans surprise le moins bon, bien plus nombreux. Les titres anxiogènes qui font un lien entre vignes et leucémies – zappant donc l'information principale et oubliant la distinction entre LA et LAL – abondent. L'information principale est généralement donnée, noyée dans le texte.

 

Citons pour le moins bon Libération dont on peut penser qu'il a sciemment surfé à la limite de la désinformation comme en témoigne le conditionnel dans son titre : « Leucémies chez l’enfant : vivre près des vignes comporterait des risques ».

 

Question médiocrité, tirons notre chapeau à Allo Docteurs – en principe fournisseur d'information à caractère médical – et son « Pourquoi vivre près d'une vigne augmente le risque de leucémie chez les enfants ». En chapô :

 

« Vivre à proximité des vignes serait associé à un risque accru de leucémie, un cancer du sang, chez les enfants, selon une nouvelle étude française. En cause : les pesticides utilisés dans ces cultures. On vous explique. »

 

Ah, l'alternance de l'indicatif et du conditionnel... Mais non, le risque accru n'est que pour un type de leucémie, et l'étude n'a nullement mis les pesticides en cause...

 

 

Le Monde se distingue...

 

Une mention summa cum laude sera attribuée au Monde – de M. Stéphane Foucart, évidemment – « Pesticides : la densité de vignes autour du domicile associée à un risque accru de leucémie de l’enfant ».

 

Dans deux tweets successifs, M. François-Marie Bréon relève :

 

« [...] Je suis allé voir comment cette étude est rapportée dans les grands médias. Libération, L’Express, Le Point, Science et Avenir et même Reporterre mentionnent bien les deux [résultats], dont le premier qui est "rassurant".

 

Le seul média que j’ai trouvé et qui ne donne QUE le second résultat (celui qui indique un lien entre vignoble et leucémie) est Le Monde… Curieux, non ? »

 

 

(Source)

 

 

M. Stéphane Foucart a daigné répondre...

 

« L’analyse montre que, plutôt que la proximité des vignes au domicile, c’est la proportion de territoire consacrée à la viticulture, à moins de 1 kilomètre du lieu de résidence, qui est associée à une augmentation du risque. Un risque qui ne concerne que la leucémie aiguë lymphoblastique (80 % des leucémies de l’enfant), et non la leucémie aiguë myéloïde, plus rare, qui dans cette analyse ne semble pas associée à la culture de la vigne. »

 

 

(Source)

 

 

Il vous est loisible de penser que l'incise constitue une description intelligible et honnête du résultat principal de l'étude... Même Générations Futures fait mieux dans l'objectivité... en revendiquant tout de même « un vaste plan de conversion de notre agriculture vers un modèle agricole vraiment durable, tel que l’agriculture biologique »...

 

 

L'Express se distingue aussi, mais différemment

 

L'Express a publié le 27 octobre 2023 (derrière un péage) « Vignes et risque accru de leucémie : les chercheurs répondent aux critiques », un excellent entretien avec Mme Jacqueline Clavel, directrice de recherche INSERM au CRESS. En voici un extrait :

 

« Sur la base de votre étude, est-ce que vous recommanderiez aux populations de ne pas s’installer à côté de zones à forte densité de vignes ?

 

Non. Je reste très mesurée sur l’utilisation du principe de précaution, parce que nos arguments de causalité sont insuffisants. Et il ne faut probablement pas considérer isolément chaque facteur de risque potentiel. Par exemple, la pollution de l’air semble aussi associée au risque de leucémie chez l’enfant. Un principe de précaution doit s’appliquer quand on détient des certitudes sur les bénéfices qu’il peut apporter, quand on est sûr qu’il va diminuer un risque et améliorer la santé des personnes. Et il faut aussi prendre en compte le bien-être et la qualité de vie des personnes.

 

Donc, votre étude ne recommande pas non plus de stopper l’usage des pesticides ?

 

Je prends un exemple fictif pour illustrer notre démarche, mais imaginons que l’augmentation du risque de leucémie soit liée à un champignon qui se développerait sur les vignes et que les pesticides permettraient justement d’éradiquer ce champignon. Alors l’interdiction des pesticides n’aurait aucun intérêt préventif. Il nous faut donc approfondir ce lien statistique pour avoir une chance d’apporter des réponses qui éclairent une décision de santé publique. Sinon, nous prenons le risque de faire une soupe de l’intérêt de santé publique, ce qui nous priverait de faire ressortir de vraies bonnes mesures. »

 

C'est là un discours de la raison qu'on aimerait voir et entendre plus souvent.

 

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H
Je connais un peu beaucoup la Bourgogne viticole et je n'ai jamais entendu parler de cas de leucémies infantiles, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en ait pas, bien entendu...<br /> <br /> Par contre pas besoin de stats pointues pour savoir qu'il y a un nombre anormalement élevé de vignerons de + de 60 ans atteints de la maladie de Parkinson. Tous les bourguignons liés au monde viticole en connaissent au moins 1 ou 2. C'est un phénomène nouveau car chez les vieux vignerons des années 1970-1990 voir 2000, je n'ai jamais entendu parler de cette maladie et pourtant, des produits, ils en pulvérisaient généreusement et sans protection !<br /> <br /> Ces maladies de Parkinson seraient-elles une conséquence de la popularité de la roténone bio comme insecticide dans les vignes dans les années 1990-2000 ? Et le produit ne s'utilisait pas que chez les vignerons en conversion en bio (peu ont achevé cette conversion), il était populaire chez les vignerons conventionnels, il était peu cher, efficace et tout le monde bio jurait mordicus qu'il était absolument sans danger.<br /> En tout cas, comme cela touche à un produit bio, personne n'en parle et personne n'étudie la question.
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M
Effectivement selon Wikipedia qui cite une étude de Tanner la roténone augmenterait de 150% le risque de contracter la maladie de Parkinson mais chut, ce qui est naturel ne peut pas être mauvais,exemple la phalloïdine, et ces études n'ont pas eu la publicité de celle de Seralini.