La guerre secrète de la Russie contre l'Occident : la propagande contre les vaccins et les cultures génétiquement modifiées
Henry I. Miller, ACSH*
Image : Wikimedia commons
La machine de propagande russe, vieille de plusieurs décennies, est vaste et vicieuse. Son objectif est de nuire à la santé et à la prospérité des adversaires du pays, en particulier les États-Unis.
Toute personne active sur les réseaux sociaux sait que la vaccination, y compris les nouveaux vaccins contre la Covid-19, fait l'objet d'une opposition passionnée mais mal fondée. Comment cela se fait-il ? Les médecins et les responsables de la santé publique ne cessent de promouvoir la vaccination, notamment pour tenter d'endiguer la pandémie de coronavirus.
Il s'avère que le sentiment anti-vaccin est le produit de ce qui ne peut être décrit que comme une industrie dont les principaux protagonistes sont un groupe organisé de propagandistes professionnels. Comme l'a récemment rapporté la revue scientifique Nature, il s'agit de personnes « qui dirigent des organisations de plusieurs millions de dollars, principalement constituées aux États-Unis, et qui comptent jusqu'à 60 employés chacune ».
En outre, une grande partie de la désinformation sur les vaccins provient d'une source peu évidente : l'appareil de propagande du gouvernement russe, qui cultive et exploite des « idiots utiles » anti-vaccins étrangers, causant ainsi un préjudice palpable aux Américains et aux citoyens d'autres pays occidentaux.
Cela fait partie d'un schéma d'attaques plus large et plus ancien de la part de la Russie. Comme l'a écrit la journaliste et historienne Anne Applebaum [19 mars 2021] dans The Atlantic :
« Depuis des décennies, les services de sécurité russes étudient un concept appelé "contrôle réflexif"– la science de la manière d'amener vos ennemis à commettre des erreurs. Pour réussir, les praticiens doivent d'abord analyser leurs adversaires en profondeur, afin de comprendre où ils obtiennent leurs informations et pourquoi ils leur font confiance ; ils doivent ensuite trouver des moyens de jouer avec ces sources fiables, afin d'insérer des erreurs et des fautes. Cette façon de penser a d'énormes implications pour les militaires ; imaginez qu'une information erronée peut amener un général à commettre une erreur. »
Comme je l'ai décrit précédemment, la Russie mène régulièrement des campagnes de désinformation et de propagande dans le domaine de la santé afin d'humilier ou de dénigrer les ennemis étrangers du pays. Dans les années 1980, l'Union Soviétique a mis au point un plan de désinformation élaboré visant à imputer l'apparition du VIH et du sida à la recherche militaire américaine. Elle a d'abord fait paraître l'article dans un journal indien sympathique, puis l'a fait suivre d'autres faux articles qui citaient l'article initial.
Uneanalyse commandée par le Sénat américain en 2018 à New Knowledge, une société de cybersécurité, a confirmé que la tristement célèbre usine à trolls de la Russie, l'Internet Research Agency (IRA), mène une « guerre de l'information moderne » contre ses adversaires. Mme Renee DiResta, directrice de recherche de New Knowledge, a décrit le plan de bataille de l'IRA comme une « attaque multiplateforme qui a utilisé de nombreuses fonctionnalités sur chaque réseau social et qui a couvert l'ensemble de l'écosystème social ».
Une étude publiée par des universitaires en 2018, « Weaponized Health Communication : Twitter Bots and Russian Trolls Amplify the Vaccine Debate » (communication armée sur la santé : les robots de Twitter et les trolls russes amplifient le débat sur les vaccins), a révélé que des milliers de comptes russes sur les réseaux sociaux diffusaient des messages anti-vaccins. Après avoir examiné près de deux millions de tweets publiés entre 2014 et 2017, les chercheurs ont constaté que les comptes de trolls russes étaient beaucoup plus susceptibles de tweeter sur la vaccination que les utilisateurs de Twitter en général. Ils ont noté que les tweets russes tels que : « Apparemment, seule l'élite reçoit des #vaccins "propres". Et nous, les gens normaux, qu'est-ce que nous recevons ? », semblent destinés à exacerber les tensions socio-économiques aux États-Unis.
Les méfaits de la Russie continuent. En utilisant des publications en ligne pour susciter des inquiétudes quant à la rapidité du développement des vaccins contre le coronavirus et à leur sécurité, ils ont mené une campagne agressive pour saper la confiance dans le vaccin Pfizer-BioNTech et les autres vaccins occidentaux contre le coronavirus.
La guerre des vaccins
Comme l'a rapporté le Wall Street Journal le 7 mars 2021, « un fonctionnaire du Global Engagement Center du Département d'État, qui surveille les efforts de désinformation à l'étranger, a identifié quatre publications qui, selon lui, ont servi de façade aux services de renseignement russes » . Il s'agit de New Eastern Outlook, Oriental Review, News Front et Rebel Inside. Le fonctionnaire a déclaré que, bien que le nombre de lecteurs de ces publications soit faible, elles diffusent de faux récits qui peuvent être amplifiés par d'autres organisations médiatiques et, bien sûr, par l'industrie nationale anti-vaccins.
Le journal a également rapporté ce qui suit :
« En outre, les médias d'État russes et les comptes Twitter du gouvernement russe ont fait des efforts manifestes pour soulever des préoccupations concernant le coût et la sécurité du vaccin Pfizer, dans ce que les experts extérieurs au gouvernement américain considèrent comme un effort pour promouvoir la vente du vaccin rival russe Sputnik V.
"L'accent mis sur le dénigrement de Pfizer est probablement dû au fait qu'il s'agit du premier vaccin, en plus du Sputnik V, à être utilisé en masse, ce qui constitue une menace potentielle plus importante pour la domination du marché par Sputnik", indique un rapport à paraître de l'Alliance for Securing Democracy, une organisation non gouvernementale qui se concentre sur le danger que les gouvernements autoritaires représentent pour les démocraties et qui fait partie du German Marshall Fund, un groupe de réflexion américain. »
Il est intéressant de noter que, par le passé, les comptes de désinformation russes ont également publié à l'occasion des messages pro-vaccins, afin de donner l'illusion d'une véritable controverse tout en tentant d'exploiter un sujet clivant et de fomenter la discorde sociale, d'éroder la confiance dans les institutions de santé publique et de susciter la méfiance à l'égard des sociétés pharmaceutiques.
D'autres preuves des intentions de la Russie ont été établies par les tweets de 2017 de comptes trolls russes découverts par Mme DiResta de New Knowledge, qui ont créé un lien synergique entre le déni des vaccins et les divisions raciales aux États-Unis. Par exemple, « Un expert en maladies appelle au génocide blanc puisque la plupart des négateurs de vaccins sont blancs » a été tweeté par plusieurs trolls russes. Mme DiResta estime que le motif des Russes est « l'opportunisme – amplifier de manière opportune des sujets controversés », mais le fait est que les campagnes d'agit-prop russes cherchent à alimenter la controverse sur la vaccination afin de diviser les Américains et de leur nuire.
La désinformation russe sur les vaccins, en particulier lors d'une pandémie virale historique, a de graves conséquences, dont la moindre n'est pas de promouvoir le scepticisme à l'égard des déclarations des experts de la santé publique, de la médecine et de la science, et d'encourager l'« hésitation vaccinale » – avec les dommages palpables qui en résultent. Davantage d'Américains seront infectés, davantage de mutants viraux apparaîtront et le contrôle de la pandémie sera plus difficile.
Une guerre plus large contre l'innovation américaine
La perfidie des Russes ne se limite pas aux vaccins. Il est prouvé que, depuis des décennies, la Russie tente de semer la méfiance et le scepticisme afin de saper des secteurs clés dominés par les États-Unis. Par exemple, le génie génétique dans l'agriculture (« biotechnologie agricole ») intéresse également beaucoup les Russes, dont la machine de propagande travaille en étroite collaboration avec le mouvement anti-génie génétique bien financé et basé aux États-Unis. Ces collaborations avec la Russie pour la diffusion de la propagande sont décrites ici et ici. La plus agressive des organisations non gouvernementales anti-génie génétique aux États-Unis, U.S. Right to Know (USRTK), et le média RT (anciennement « Russia Today ») ont le même objectif : saper la science et la technologie américaines.
Une preuve plus directe de l'existence d'un lien entre la Russie et le trolling anti-génie génétique aux États-Unis peut être trouvée dans un article bizarre de 2017 affirmant que la première dame Melania Trump a banni les aliments génétiquement modifiés de la Maison Blanche et qu'elle favorise les produits biologiques. Une grande partie de l'article, y compris certaines citations attribuées à la première dame, a été reprise mot pour mot d'un article paru en 2010 dans le magazine Yes ! qui n'avait rien à voir avec elle (Yes ! est une publication de gauche radicale consacrée à « la justice sociale, l'environnement, la santé et le bonheur »).
Cet article a été publié sur Your News Wire, une autre fausse source d'information liée à la Russie. L'auteur de l'article, « Baxter Dmitry », a écrit des articles pour New Wire qui allèguent, entre autres, que « la Suède interdit les vaccinations obligatoires en raison de "graves problèmes de santé" » (c'est faux, mais il y a encore le lien avec les vaccins) et qu'un « ancien employé d'Hillary Clinton a été arrêté pour "trahison" » (c'est également faux). Il a également écrit en 2017 que Melania Trump « a attribué sa bonne santé aux propriétés curatives et nourricières de la nature, et a exhorté les Américains à cesser de s'appuyer autant sur Big Pharma pour leur fournir des "potions magiques" afin de guérir leurs maux » (c'est encore faux).
Si l'implication de la Russie et de ses célèbres usines à trolls dans le dénigrement de la biotechnologie américaine semble exagérée, considérez l'étude réalisée en 2018 par deux chercheurs de l'Université d'État de l'Iowa, Shawn Dorius et Carolyn Lawrence-Dill, qui ont examiné la source des articles contenant le mot « OGM » (organisme génétiquement modifié) et la façon dont le génie génétique était dépeint. Ils ont constaté que les organes de propagande russes de langue anglaise RT et Sputnik produisaient plus d'articles sur les « OGM » que cinq autres grands organes de presse combinés, à savoir le Huffington Post, Fox News, CNN, Breitbart News et MSNBC.
Les deux médias russes ont produit ensemble plus de la moitié de tous les articles relatifs aux OGM sur les sept sites (RT, 34 % ; Sputnik, 19 %), et « RT et Sputnik ont dépeint les modifications génétiques sous un jour extrêmement négatif », écrivent les chercheurs. Les chercheurs ont également constaté que RT publiait « presque tous les articles dans lesquels le terme OGM apparaissait comme un "piège à clics" ».
Mais ce n'est pas tout. En 2022, Russia Today a mentionné favorablement le candidat au Sénat de Pennsylvanie soutenu par Trump (et charlatan notoire à la télévision), Mehmet Oz, qui « s'oppose à Big Pharma et au lobby des OGM alimentaires ». Le site fait également la promotion de la théoricienne du complot et antagoniste du génie génétique Vandana Shiva et affirme, sans preuve, que Bill Gates exploite la guerre en Ukraine pour promouvoir les cultures génétiquement modifiées.
Selon M. Dorius et Mme Lawrence-Dill,
« les attaques russes de désinformation ont reflété tout le spectre des attitudes anti-OGM, couvrant, par exemple, les préoccupations environnementales (pollinisation croisée, perte d'espèces, pollution chimique), les risques pour la santé (une cause de cancer, de Zika), les carences nutritionnelles, la corruption politique, les conséquences sociales et économiques négatives pour les pays en développement (suicide d'agriculteurs indiens), les malversations d'entreprises (manipulation des faits par Monsanto) et la corruption des agences fédérales de réglementation. L'ampleur de la représentation des OGM par Russian News témoigne d'une profonde compréhension des antécédents psychologiques de la méfiance du public à l'égard de la bio-ingénierie et d'une volonté de lier plus fermement ces antécédents dans la conscience du public. »
S'adressant à l'Alliance pour la Science de l'Université Cornell, M. Dorius souligne l'importance de cette campagne de désinformation : « Les OGM sont profondément liés au commerce international, à la politique environnementale et alimentaire, et à la question stratégiquement importante de la sécurité alimentaire. Le fait que nous observions un contraste entre le modèle agricole américain et ce que les nouvelles russes présentent comme un système agricole alternatif et plus propre, suggère qu'il peut y avoir des motivations différentes ou supplémentaires. »
En 2016, la Russie a interdit les OGM commerciaux, ce qui rend les produits fabriqués en Russie plus attrayants pour les consommateurs de Yes ! Magazine. Mais le rejet par la Russie du génie génétique et son adhésion à l'« agro-écologie », un concept vaguement défini qui revient à s'appuyer sur des techniques agricoles primitives et à faible rendement, la condamnent en fin de compte à se laisser distancer de plus en plus par l'agriculture moderne de l'Occident. Parce que la Russie est loin derrière les États-Unis et de nombreux autres pays, tant en termes de sophistication que de recherche et développement dans le domaine du génie génétique, son gouvernement a adopté une stratégie agressive visant à rabaisser et à discréditer les efforts des autres pays. En décourageant l'acceptation des techniques modernes de génie génétique à l'étranger, la Russie espère éviter que le fossé entre son agriculture et celle des autres ne devienne un gouffre.
Comme dans le cas des vaccins contre la Covid-19, la désinformation russe sur les secteurs scientifiques et technologiques dominés par les États-Unis, tels que la fracturation hydraulique et le génie génétique, vise uniquement à nuire aux intérêts américains. Les actions des Russes et de leurs « idiots utiles » basés aux États-Unis sont à bien des égards un retour à la malveillance de l'ère stalinienne : blesser et tuer des Américains, semer la discorde, susciter la méfiance à l'égard des industries dominées par les États-Unis et nuire à notre santé, à notre capacité d'innovation et à notre productivité. Ces attaques gagnent en ampleur, en sophistication et en efficacité. N'est-il pas temps d'agir ?
Cet article est une version mise à jour et augmentée d'un article précédemment publié par le Genetic Literacy Project.
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* Henry I. Miller, MS, MD
Henry I. Miller, MS, MD, est le Glenn Swogger Distinguished Fellow de l'American Council on Science and Health. Ses recherches portent sur les politiques publiques en matière de science, de technologie et de médecine, et couvrent un certain nombre de domaines, notamment le développement pharmaceutique, le génie génétique, les modèles de réforme réglementaire, la médecine de précision et l'émergence de nouvelles maladies virales. Le Dr Miller a travaillé pendant quinze ans à la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, où il a occupé plusieurs postes, notamment celui de directeur fondateur de l'Office of Biotechnology.
Ma note : Ce texte a été écrit avec des oeillères de Yankee. La guerre secrète est également menée contre, notamment, l'Europe.
En 2010, un article suggérait que le soja OGM pouvait être la cause du développement de poils dans la bouche de hamsters... Un autre que les hamsters perdaient leur capacité de se reproduire au bout de deux générations, consciencieusement répercuté par l'officine GMO Evidence (qui était aussi à la manœuvre pour GMO Seralini). En France, c'est Mediapart qui, par un blog, a joué le rôle d'idiot utile dans un article courageusement retiré ; on peut lire l'article ici.
Factor GMO, lancé en novembre 2014, devait être une vaste opération, la plus grande étude jamais réalisée sur la sécurité des pesticides et des OGM (un budget de 25 millions de dollars, 6.000 rats). Cela a tourné en escroquerie (vous pouvez toujours faire un don). Parmi les idiots utiles, Fiorella Belpoggi, de l'Institut Ramazzini.