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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Déclin des oiseaux : bref décryptage d'une manipulation scientifico-médiatique

22 Juin 2023 Publié dans #Article scientifique, #Biodiversité, #Engrais, #Pesticides

Déclin des oiseaux : bref décryptage d'une manipulation scientifico-médiatique

 

André Heitz, Haute Savoie*

 

 

 

 

« Les pratiques agricoles sont à l'origine du déclin des populations d'oiseaux en Europe », tel est le titre traduit d'un article publié dans PNAS le 15 mai 2023, de Stanislas Rigal, Vasilis Dakos, Vincent Devictor et 48 autres auteurs dont la contribution essentielle aura été de fournir des données (et de donner à l'étude l'apparence d'une recherche internationale). [1] C'est de la « science » militante.

 

Son destin de référence pour l'agribashing et la rhétorique décroissante est déjà scellé. Le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en a fait la promotion avec un titre encore plus accusateur, « L’intensification de l’agriculture est à l'origine de la disparition des oiseaux en Europe ». [2] C'est un peu bémolisé dans le texte, mais le coupable est précisé : « […] les recherches montrent que l’effet néfaste dominant est celui de l'intensification de l'agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectares (sic). » Et donc « [c]es travaux démontrent l’urgence de repenser le mode de production alimentaire actuel ».

 

L'étude souffre de malfaçons et biais méthodologiques. C'est même apparent à la lecture du communiqué du CNRS ! Il comporte en effet un graphique qui montre que, sur la période considérée (1980-2016), le déclin général allégué de 25 % est le résultat d'une baisse rapide pendant la première moitié de la décennie 1980 et d'une relative stabilité sur les trois décennies suivantes. Il est dès lors difficile de parler de déclin ou de disparition et de jeter à la vindicte médiatique et populaire une agriculture qui n'a pas connu – que l'on sache – une évolution comparable.

 

L'étude comporte aussi trois graphiques sur l'évolution d'un indice multi-espèces, de l'abondance (des effectifs) et de la biomasse de 115 espèces d'oiseaux communes entre 1980 et 2016 au niveau européen (Union Européenne, Norvège, Royaume-Uni et Suisse). Les effectifs remontent à partir du milieu de la décennie 2000. La remontée, à partir de 2000 environ, est encore plus nette pour la biomasse. Mais ces données essentielles ont été reléguées dans les informations supplémentaires !

 

La thèse du déclin ou de la disparition a aussi été étayée par défaut, par l'absence de références textuelles ou graphiques aux espèces dites « généralistes ». Or celles-ci ont prospéré ! Pour la France, M. Philippe Stoop a calculé sur European Scientist, par exemple, que l'augmentation des effectifs et de la biomasse des seuls pigeons ramiers depuis 2001 est supérieure à la diminution de l'ensemble des espèces des milieux agricoles. [3] Il y a, en quelque sorte, « grand remplacement ».

 

Quant au rôle de l'agriculture, les auteurs ont utilisé un indicateur comptable et non agronomique, peu pertinent, présentant des évolutions très différentes dans le temps et d'un pays à l'autre, et peu représentatif du rôle (allégué) des engrais et des (tous les) pesticides. Des facteurs importants comme l'évolution des habitats, les ressources alimentaires, la météo, la concurrence entre espèces, la prédation ou les maladies n'ont pas été évoqués ou seulement incidemment.

 

Mises côte à côte comme l'a fait Libération, les cartes des déclins (allégués) de l'avifaune et de l'intensification (alléguée) agricole ne montrent pas le lien de « quasi-causalité » allégué. [4]

 

Il n'empêche que l'agriculture, dans toute sa complexité et pas seulement du point de vue de l'intensification, joue un rôle. C'est particulièrement le cas pour les espèces dites « des milieux agricoles », en déclin important (57 % entre 1980 et 2016 selon l'étude) – et concurrencées par les « généralistes ». Les agriculteurs peuvent et doivent contribuer à des évolutions de l'avifaune considérées comme favorables.

________________

 

[1] https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2216573120

[2] https://www.cnrs.fr/fr/lintensification-de-lagriculture-est-lorigine-de-la-disparition-des-oiseaux-en-europe

[3] https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/oiseaux-deurope-les-populations-remontent-mais-ce-nest-pas-forcement-une-bonne-nouvelle/

[4] https://www.liberation.fr/environnement/biodiversite/800-millions-doiseaux-disparus-en-europe-lagriculture-intensive-est-la-principale-responsable-20230515_4C5CGBIAYFCTXICU2ASYNWUCXQ/

 

Une version de cet article été publiée dans La France Agricole du 16 juin 2023.

 

Une analyse plus détaillée a été publiée sur ce blog en trois parties. La première est ici.

 

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H
Un grand remplacement… Le terme sonne terriblement juste en matière de faune. <br /> Prédateurs et ravageurs (loups, lynx, renards, mustélidés, ours, corvidés, cormorans, hérons, écureuils) prolifèrent d’une façon tellement inouïe que je ne sais à quel siècle il faudrait remonter pour qu’il y en ait autant. <br /> Nos ancêtres régulaient farouchement la faune et ce depuis qu’il existe des éleveurs qui veulent protéger leurs troupeaux (et leurs proches) et depuis qu’il existe des agriculteurs qui veulent protéger leurs récoltes.<br /> Par contre presque disparus ou proches de la disparition, de nombreuses espèces d’oiseaux, notamment les plus sensibles à la prédation. <br /> Je commence à ne plus très bien me souvenir de quand et où, en France, ai je vu pour la dernière fois un bruant jaune, un pipit farlouse, un tarier des prés, une fauvette à tête noir, un gobe mouche, une bergeronette des ruisseaux, une petite lulu (une alouette). <br /> La plupart font leur nid au sol ou près du sol et sont infiniment plus aisés à trouver et dévorer que les masses de rats, souris, loirs dont on nous assure que les mammifères carnivores sont friands mais qui n’ont jamais été aussi nombreux. Entre un rongeur qu’il faut traquer parfois des heures durant et quelques apéricubes sans défense qu’on peut gober au passage aisément, pour la masse des prédateurs carnivores, il n’y a pas photo.
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