« Les gardiens de la raison » de FHL : sur les pas de Lyssenko, Goebbels, Vychinski, McCarthy, Torquemada...
(Source)
Faut-il faire de la publicité pour « Les gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique » de M. Stéphane Foucart, Mme Stéphane Horel et M. Sylvain Laurens (éd. La découverte, 368 pages, 567 grammes) ?
Sans conteste oui !
Les deux premiers auteurs sont connus et ont en quelque sorte un casier (« La fabrique du mensonge: Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger » et « Et le monde devint silencieux » pour l'un ; Intoxication » et « Lobbytomie » pour l'autre). Le troisième est sociologue, maître de conférences à l’EHESS, et a publié en 2019 « Militer pour la science. Les mouvements rationalistes en France (1930-2005) » aux Éditions de l’EHESS.
Précisons d'emblée : je n'ai pas eu le déshonneur de figurer dans cet ouvrage, sauf par une note étayant un propos, l'« exploit » de M. Klaus Ammann, professeur de botanique émérite, qui avait placardé 12 thèses à la porte (symbolique) de Greenpeace Deutschland, à Hambourg le 19 novembre 2010, émulant ainsi un certain Martin Luther.
J'aurais pourtant été un « bon client ».
Ne suis-je pas un sulfureux et teigneux lobbyiste, homme de paille et espion de Monsanto selon « Le Roundup face à ses juges » de Mme Marie-Monique Robin ? Un individu qui a/aurait piraté la boîte mail de la dame pour se procurer un de ses courriels, à moins que... Si vous voulez relire une de mes grandes pages, c'est « L'espion de Monsanto vous salue bien, Mme Robin ! »
D'autres ont subi un sort aussi enviable dans « Les gardiens de la raison »... un titre parfaitement exact, peut-être à l'insu du plein gré des auteurs.
Leur propos est le suivant (« Présentation du livre par son éditeur » selon Reporterre, qui a fait service minimum, minimorum... c'est peut-être un signe) :
« Les années 2000 ont vu déferler les mensonges des industriels du tabac, des énergies fossiles ou des pesticides et leurs études commanditées dissimulant la dangerosité de leurs produits. Explorant les nouvelles frontières du lobbying, cette enquête dévoile les stratégies de manipulation qu’emploient désormais ces "marchands de doute" pour promouvoir leur "bonne" science et s’emparer du marché de l’information scientifique.
Leur cible privilégiée n’est plus seulement le ministre ou le haut fonctionnaire. Aux aguets sur les réseaux sociaux, des agences spécialisées visent le professeur de biologie de collège, blogueur et passeur de science, le citoyen ordinaire, le youtubeur, le micro-influenceur. Instrumentalisés pour propager des contenus dégriffés, les amateurs de science sont transformés en relais zélés des messages de l’industrie et en viennent à se considérer comme des gardiens de la raison.
Parmi ces fact-checkers, vérificateurs d’informations autoproclamés, peu savent qu’ils amplifient des éléments de langage concoctés par des officines de relations publiques. Une poignée d’intellectuels et de scientifiques, en revanche, participe sciemment à la réactualisation, autour de la science, de tout le crédo conservateur. Un projet politique volontiers financé par l’argent des industriels libertariens, et qui porte la marque de leur idéologie anti-environnementaliste et antiféministe.
C'est une bonne description de l'ambition de l'ouvrage, mais aussi de ses travers.
Commençons par la référence à la « "bonne" science ».
Sur des sujets qui font l'objet de controverses publiques, il y a « sur le marché » une science qui cherche à savoir et une « science » qui cherche à démontrer ou, lorsque cela est trop difficile, à suggérer.
« Les années 2000 ont vu déferler les mensonges des industriels du tabac... » écrivent-il ? Les productions de cette industrie resteront collées au débat pendant bien longtemps, comme le sparadrap du capitaine Haddock.
Cela colle à une réalité, mais aussi à une idéologie politique et socio-économique à laquelle les deux auteurs journalistes du Monde adhèrent à l'évidence... au point d'omettre, sciemment ou par aveuglement, la montée en puissance de productions « scientifiques » du même type, mais allant dans le sens inverse.
Il y eut dans les anciens temps – ceux notamment de Trofim Lyssenko – la science bourgeoise et la science prolétarienne. Nous avons maintenant une science capitaliste et une science plus difficile à caractériser d'un adjectif, sûrement techno- et éconophobe, au mieux altermondialiste, voire anticapitaliste...
...une science rigoriste selon une chronique de M. Stéphane Foucart et une science d'opinion selon un morceau d'anthologie de M. Philippe Stoop, ou encore une science malade du militantisme et de l'idéologie, selon la formule de M. Marcel Kuntz.
Les trois auteurs ont pris le parti de défendre et de promouvoir les productions de la deuxième catégorie de science – ou plutôt de « science » – et les projets politiques et socio-économiques sous-jacents. Des productions qui connaissent une augmentation vertigineuse dans certains domaines.
Action... réaction...
Des « gardiens de la raison » ont émergé des milieux de la rationalité : des « anciens », dont des membres de l'Académie d'Agriculture de France – ce n'est pas un bon point pour nos trois auteurs ; quelques rares chercheurs de haut niveau en activité ; de jeunes chercheurs enthousiastes, experts en réseaux sociaux, en particulier le collectif No Fake Science ; de « simples citoyens » armés de connaissances et surtout de bon sens (je me flatte d'en (vouloir) être).
Leurs critiques commencent à devenir « gênantes »... il convient donc de dénoncer les gêneurs, puisque leurs analyses sont difficilement contestables. Pour qui cherche à illustrer un cours sur les procédés rhétoriques contestables, cet ouvrage est une formidable mine d'exemples.
Une partie du procédé est exposée dans la citation ci-dessus : ces pauvres gens affublés par dérision du qualificatif de « gardiens de la raison » sont soit complices, soit manipulés et instrumentalisés. C'est tout juste si la méchante industrie ne les a pas lobotomisés et dotés d'une puce leur dictant le message à diffuser avec l'intime conviction qu'il est le fruit de leur réflexion.
Et, bien sûr, cette industrie ne saurait être que d'obédience conservatrice. Pour faire bonne mesure, elle est même « anti-environnementaliste et antiféministe », et même, suprême vice, libertarienne.
Tout ça est cousu de fil blanc et, souvent, franchement risible. La lecture de la prose suscite des rappels à des personnages tels que Goebbels, Vychinski, Mc Carthy, Torquemada, ou encore à des Gringoire et autre Je suis partout.
Il y avait le « cycliste Salengro », il y a désormais les « membres de l'Afis » – c'est une tare : Marcel Kuntz (deux références, dont la deuxième précédée de points de suspension de déshonneur), Gil Kressmann, une certaine Amélie, Marcel-Francis Kahn (qui n'est plus membre, ayant démissionné avec fracas et lancé le hoax des liens d'intérêts de l'AFIS avec Monsanto), Jérôme Quirant (deux références).
Mais ce n'est pas tout, c'est une « enquête » qui ressemble à bien des égards à celles des Dupond et Dupont (voir des gazouillis ci-dessous).
Une série de personnages dont on peut dire qu'ils ont été mis en cause ont répondu, le plus souvent par l'humour, aux allégations erronées ou mensongères, ou encore aux propos et procédés rhétoriques dénigrants, voire malveillants.
Nous avons publié sur ce site M. Marcel Kuntz et son « "Merci aux auteurs du livre Les Gardiens de la Raison" ». Il y a d'autres réactions en texte. Florilège :
-
Association Française pour l'Information Scientifique : « Mise au point à propos du livre "Les gardiens de la raison" – Journalisme d’insinuation : après les articles, le livre » ;
-
La Tronche en Biais (un projet collectif) : « La raison n’est pas un trophée – réponse à Foucart, Horel & Laurens » ;
-
M. Jean Bricmont : « Deux journalistes du Monde et un sociologue attaquent Jean Bricmont dans un livre : il répond » ;
-
M. Laurent Dauré : « Les naufrageurs de la raison (et de la gauche) : réponse à Foucart, Horel et Laurens » ;
-
M. Thomas C. Durand : « Les gardiens de la raison ? »
-
M. Hervé Le Bars : « Je ne suis pas l’homme que vous croyez … »
(Source)
-
M. Franck Ramus : « Les champions de l’intox » ;
(Source)
-
M. Philippe Stoop, « Un diplôme de désinformation décerné par S. Foucart (Le Monde) » ;
-
Mme Virginie Tournay : « Un nouveau journalisme : de l’insinuation à l’inquisition » ;
Et sur Facebook ou Twitter :
-
-
M. Romain Meunier (Evidence Based Bonne Humeur) – voir ci-dessus.
Dans le Journal International de Médecine (JIM), Mme Aurélie Haroche a produit une longue recension de l'ouvrage et des critiques qui ne pêche que par une difficulté de lecture due à une présentation peu conviviale, « Faut-il avoir vraiment peur des gardiens de la raison ? »
En face, le camp des supporters est bien dégarni, malgré les solidarités médiatiques et l'habituel démarchage avant parution : en comptant les articles liés, deux articles dans le Monde ; un article de blog (pathétique) hébergé par le Monde ; trois dans Libération (réservés par prudence aux abonnés) ; un dans l'Humanité (qui n'aurait pas déplu aux stals du siècle dernier) : ainsi qu'un passage sur France Inter, où Mme Sonia Devillers a complaisamment servi la soupe :
-
« C’est la possibilité même de la diffusion de la vérité scientifique auprès du plus grand nombre qui se trouve désormais attaquée » (les guillemets sont dans le titre pour ce qui serait « les bonnes feuilles » ) ;
-
« L’information scientifique sous tutelle d’une agence de communication ? » de M. Stéphane Foucart et Mme Stéphane Horel ;
-
« Dénigrer les écolos, un réflexe qui peut rapporter gros » ;
-
« La fabrique du doute » ;
-
« La science perd-elle la raison ? »
-
«Le rationalisme est devenu un combat pour le droit de dire des choses fausses» (les guillemets sont dans le titre – c'est un entretien avec M. Sylvain Laurens) ;
-
-
« Désinformation scientifique : quand la raison est instrumentalisée par des intérêts privés ».
Il y aussi des amis sur Twitter (voir quelques liens ici). Les paris sont ouverts pour qui concourra pour le prestigieux titre de Savonarole en chef.
« Les gardiens de la raison » n'est pas qu'un règlement de comptes avec l'AFIS et des rationnalistes de toutes les générations.
Les auteurs s'en prennent aussi à un projet de « Science Media Centre à la française ». Au Royaume-Uni, un tel centre produit rapidement, à l'intention des journalistes, mais aussi du public, des réactions de chercheurs et membres du corps académique à des articles scientifiques ayant fait l'objet d'une médiatisation. Nul ne sait à ce stade si ce projet aboutira et comment l'entité sera constituée et fonctionnera.
Mais, comme le montre le titre du deuxième article du Monde, les auteurs agitent déjà le spectre d'une « mise sous tutelle » de l'information scientifique. On les comprend !
À supposer que cela se fasse – et sérieusement –, lorsque sortira une étude scientifique contestable de par sa qualité scientifique ou l'angle qui lui a été donné par les auteurs dans l'article même ou par les communicants de leur institution, le centre fournira aux journalistes des points de vue variés, et surtout, critiques.
Il sera alors plus difficile pour le journalisme militant de vendre de la « science malade du militantisme et de l'idéologie ». Et c'est bien là que le bât blesse !
M. Philippe Stoop a notamment écrit :
« Un de mes hobbies est la mise en évidence des astuces statistiques et biais de protocoles employés par certains chercheurs spécialistes de la "science d’opinion", c’est-à-dire des articles de propagande qui ressemblent suffisamment à des publications scientifiques pour être acceptés par des revues scientifiques, parfois prestigieuses. »
Mais aujourd'hui, M. Philippe Stoop et bien d'autres doivent attendre que la « science d'opinion » ait été médiatisée et relayée pour tenter de remettre les choses en place ; c'est souvent trop tard et, comme ils n'ont pas la même surface médiatique que les militants, peu efficace. Demain peut-être, leur avis pourra fertiliser immédiatement ou quasi l'écho médiatique. Et ça, c'est insupportable !
Concluons par un coup d'œil sur les avis de lecteurs sur Amazon. À l'heure où nous écrivons, il y a deux « cinq étoiles », de fans manifestement subjugués, et six « une étoile » (le zéro étoile n'est pas prévu...).
Les critiques sont aussi cinglantes que méritées. L'un des contributeurs écrit :
« Les gardiens d'une certaine idéologie relativiste (qui gangrène "le monde" ou "le nyt") tentent de régler leur compte très maladroitement avec certains acteurs de la vulgarisation scientifique sans se rendre compte qu'ils ne sont que le relais de la communauté scientifique.
Ce journalisme d’insinuation manie les pires sophismes (attaque ad hominem, culpabilité par association) pour procéder à une véritable chasse aux sorcières.
On devrait toujours fuir comme la peste les sophistes... »
On peut résumer cela par un propos de cour de récréation :
« C'est celui qui dit, qui est. »
Pourquoi alors faire de la publicité pour « Les gardiens de la raison » ? Parce qu'il nous informe sur ce que pourrait être le monde d'après. Ce n'est pas réjouissant.
Virginie Tournay : "Journalisme d’inquisition: le linceul de la raison"
Michel de Rougemont ; "Au nom de la science je vous dézingue"
(Source)
Additif du 3 octobre 2020
"Le Bon, la Brute et le Truand" de M. Gil Rivière-Wekstein ;
Un fil de M. François-Marie Bréon.