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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Quelles sont les exploitations agricoles qui nourrissent le monde et les terres agricoles se sont-elles concentrées ?

14 Août 2021 Publié dans #Article scientifique

Quelles sont les exploitations agricoles qui nourrissent le monde et les terres agricoles se sont-elles concentrées ?

 

Il y a un loup dans cet article scientifique

 

 

 

 

Voilà une étude scientifique – signalée par M. Patrick Vincourt, ancien directeur de recherches de l'INRA – qui tombe à pic en ces temps de pré-sommet du Sommet des Nations Unies sur les Systèmes Alimentaires organisé par le gouvernement italien et se tenant à Rome du 26 au 28 juillet 2021.

 

 

Retour sur la tribune publiée dans le JDD

 

Comme nous l'avons vu dans « Une tribune dans le JDD : "Il faut sauver l'agriculture paysanne"... de la connerie », un lieu commun, moult fois rabâché a refait surface. Voici le paragraphe complet :

 

« Au contraire, l'agroécologie paysanne a fait ses preuves. Les fermes familiales du monde entier, de même que les pêcheurs artisanaux et les communautés indigènes, produisent plus de 70% de la nourriture consommée dans le monde tout en utilisant moins de 20% des ressources productives. Les pratiques de polyculture-élevage ont une efficacité énergétique beaucoup plus élevée que les monocultures et l'élevage industriels. Tandis que les pesticides, les engrais chimiques et les monocultures ravagent les sols et la biodiversité, les techniques agroécologiques ont montré leur capacité à les restaurer. »

 

Signalons incidemment la « Déclaration d’ouverture de la Contre-Mobilisation pour la transformation des systèmes alimentaires colonisés par les multinationales ». Pauvres agriculteurs prétendument représentés par la Via Campesina et consorts...

 

 

Un article scientifique avec des auteurs de la FAO

 

Une très récente étude – « Which farms feed the world and has farmland become more concentrated? » de Sarah K. Lowder, Marco V. Sánchez et Raffaele Bertinic (une économiste agricole indépendante et deux agents de la FAO) – apporte de nouveaux éléments de réponse.

 

En voici le résumé (découpé) :

 

Points forts

 

  • Il y a plus de 608 millions d'exploitations agricoles dans le monde.

 

  • Les exploitations familiales produisent environ 80 % de la nourriture mondiale en termes de valeur.

 

  • Les exploitations de moins de 2 hectares produisent environ 35 % de la nourriture mondiale.

 

  • Les 1 % d'exploitations les plus importantes exploitent 70 % des terres agricoles.

 

  • Les recensements agricoles doivent couvrir les exploitations non familiales.

 

 

Résumé

 

De nombreuses tentatives ont été faites pour estimer la part de la nourriture mondiale produite par des exploitations familiales et par des exploitations de différentes tailles. Cet article met à jour les estimations du nombre d'exploitations agricoles dans le monde, leur répartition et celle des terres agricoles, en utilisant les recensements agricoles les plus récents disponibles, en combinaison avec des données d'enquête lorsque cela est nécessaire.

 

Il révèle qu'il y a plus de 608 millions d'exploitations agricoles dans le monde, dont plus de 90 % sont des exploitations familiales (selon notre définition [« exploitations détenues par un individu, un groupe d'individus ou un ménage dont la main-d'œuvre est principalement fournie par la famille »]), qu'elles occupent environ 70 à 80 % des terres agricoles et qu'elles produisent environ 80 % de la nourriture mondiale en valeur.

 

L'article souligne également l'importance de ne pas faire référence de manière interchangeable aux exploitations familiales et aux petites exploitations (c'est-à-dire celles de moins de deux hectares) : les petites exploitations représentent 84 % de toutes les exploitations agricoles dans le monde, selon les informations de recensement disponibles, mais elles n'exploitent qu'environ 12 % de toutes les terres agricoles et produisent environ 35 % de la nourriture mondiale (bien en dessous des 80 % produits par les exploitations familiales).

 

Un examen complet de l'évolution de la répartition des terres agricoles au fil du temps est également fourni pour mettre en évidence la concentration accrue des terres agricoles parmi les grandes exploitations à mesure que les économies se développent.

 

Les 1 % d'exploitations les plus importantes au monde (celles de plus de 50 ha) exploitent plus de 70 % des terres agricoles du monde.

 

Ces estimations ne sont pas exemptes de biais étant donné les lacunes existantes en matière de données. L'article souligne la nécessité de veiller à ce que les recensements agricoles couvrent les exploitations non familiales afin d'améliorer notre compréhension de l'agriculture et de la production alimentaire dans le monde. »

 

C'est très général et, somme toute, peu informatif. Une petite exploitation maraîchère ne se compare pas à une exploitation de même taille d'un agriculteur de subsistance. Problème similaire à l'autre bout : une ferme de 1.000 hectares en zone marginale ne se compare pas à une ferme de même taille dans une zone fertile.

 

 

Attention aux amalgames... comme dans le JDD

 

Mais il y a un message important : « L'article souligne également l'importance de ne pas faire référence de manière interchangeable aux exploitations familiales et aux petites exploitations [...] »

 

Un retour vers la tribune publiée dans le JDD s'impose à ce stade :

 

«  Au contraire, l'agroécologie paysanne a fait ses preuves. Les fermes familiales du monde entier, de même que les pêcheurs artisanaux et les communautés indigènes, produisent plus de 70% de la nourriture consommée dans le monde [...] »

 

Il y a là un amalgame quasi explicite entre « agro-écologie » et « fermes familiales » qui relève de la malhonnêteté intellectuelle. Celle-ci aura sans doute échappé à nombre de signataires, mais on est en droit de penser que ce ne fut pas le cas pour l'auteur du texte.

 

 

La notion de « ferme familiale »

 

La notion de « ferme familiale » est aussi un casse-tête, comme le montre « Identifying the “family farm” – An informal discussion of the concepts and definitions » (identifier la "ferme familiale" - Une discussion informelle sur les concepts et les définitions), un document de la FAO. Wikipedia a une page assez détaillée en anglais (en français, il faut se contenter d'une ébauche).

 

Le cas des États-Unis d'Amérique est a priori emblématique.

 

Un article du Guardian affirme qu'il y aurait selon un calcul « 250.000 fermes-usines d'un type ou d'un autre ».

 

Mais selon le rapport sur la typologie des exploitations agricoles du recensement de l'agriculture de 2017 publié par le Service National des Statistiques Agricoles (NASS) du Département Américain de l'Agriculture, les exploitations familiales représentent 96 % de toutes les exploitations agricoles américaines, 87 % des terres agricoles et 82 % de la valeur de tous les produits agricoles vendus.

 

 

Les petites fermes font moins de 250.000 dollars de vente, les grandes plus de 500.000 dollars. Pour l'USDA, une ferme familiale est « toute exploitation agricole organisée en tant qu'entreprise individuelle, partenariat ou société familiale. Les exploitations familiales excluent les exploitations organisées sous forme de sociétés non familiales ou de coopératives, ainsi que les exploitations ayant des gérants salariés ». (Source du graphique).

 

 

Les petites fermes sont-elles vraiment plus productives ?

 

« Les exploitations de moins de 2 hectares produisent environ 35 % de la nourriture mondiale » (en valeur selon le graphique 4), est-il dit dans les « Points forts » de l'article de Lowder, Sánchez et Bertinic (36 % dans un monde de 112 pays, a priori représentatif de la situation mondiale, les manquants étant sans doute de petits pays).

 

Fort curieusement, l'article n'étaye d'aucune manière cette affirmation. Il produit cependant des séries de données et de graphiques intéressantes mais difficiles à réconcilier avec l'affirmation.

 

La situation générale est représentée par le graphique 4.

 

 

 

 

Selon nos calculs, les exploitations de moins de deux hectares représenteraient 10,6 % de la surface agricoles d'un monde de 129 pays. Elles seraient donc plus de trois fois plus productives que la moyenne. Mais...

 

Mais le tableau 1 suggère que la valeur de la production est relativement proportionnelle à la surface cultivée dans quatre pays.

 

 

 

 

Cette proportionnalité se retrouve au niveau mondial dans le graphique 3

 

 

 

 

Le graphique 5 fournit une ventilation par groupes de pays et donne une image de la situation très contrastée. On aurait aimé y voir aussi la part de la surface cultivée afin de mieux comprendre les différents cas de figure.

 

 

 

 

Ce graphique fournit aussi la valeur de la production des petites exploitations pour le Brésil, la Chine, l'Inde et le Nigeria. Ces exploitations représentent 69 % de la surface agricole du monde à 129 pays. Hormis dans le cas du Nigeria (+ 23 %), elles dégagent dans chaque pays une valeur très proche de la moyenne nationale.

 

Conclusion : de très sérieux doutes sur la validité de l'affirmation discutée ici.

 

Un autre article que nous publierons prochainement affirme que les exploitations de moins de deux hectares occupent 24 % de la surface agricole et produisent 32 % de l'alimentation humaine avec quelques explications de ce résultat (patience...). Le problème dans l'article de Lowder et al. résiderait ainsi dans le chiffrage des surfaces.

 

 

 

Le graphique de la fin sera pour l'évolution des surfaces dans quatre pays d'Europe.

 

 

 

 

 

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H
Un bon exemple de l'extrême complexité de la question des surfaces et rendements : la riziculture familiale au Japon https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2015-1-page-107.htm. Plusieurs choses à tirer de cette article, -80% des exploitations font moins de 2 ha, -leur fonctionnement repose sur un réseau d'irrigation très sophistiqué et très rigoureux, -elles sont hautement mécanisées, ce n'est pas un hasard si des firmes japonaises sont devenues après guerre les reines du motoculteur et des micro-tracteurs, - elles sont devenues hautement productives grâce à une révolution semencière et à l'utilisation massive d'engrais. Mais on peut aussi remarquer que ses micro-exploitations aussi performantes soient-elles ne font pas vivre ceux qui les exploitent qui ont quasiment toujours un autre revenu principal, donc font des "double" journées et se pose la question du remplacement des exploitants, beaucoup étant âgés. Et si le Japon est autosuffisant pour le riz, c'est une autre question pour le reste des produits alimentaires : 39% d'autosuffisance alimentaire globale seulement, et un des plus gros importateurs mondiaux de produits alimentaires.
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