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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Monsanto et le Parisien : aux racines du soupçon, il y a le soupçon, la mauvaise foi et plus encore (1)

28 Avril 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Glyphosate (Roundup), #Monsanto

Monsanto et le Parisien : aux racines du soupçon, il y a le soupçon, la mauvaise foi et plus encore (1)

 

à propos de « Monsanto et ses "trolls" : aux racines du soupçon »

 

 

Le Parisien a publié coup sur coup, les 19 et 20 avril 2019, deux articles, « Comment le débat sur le glyphosate a pourri sur Twitter » et « Monsanto et ses "trolls" : aux racines du soupçon ». Nous avons analysé en partie le premier dans une livraison précédente, « Glyphosate : décidément, nous ne sortirons pas du manichéisme ni des infox ». Le deuxième s'inscrit dans le même cadre du manichéisme et des infox.

 

Mais il y a plus. Il y a un énorme cercle vicieux qui – nous oserons l'affirmer sans le démontrer à nouveau – relève du complot, ou du moins d'une stratégie de convergence d'intérêts idéologiques et économiques.

 

 

Un système judiciaire états-unien dévoyé

 

Entrons-y par le système judiciaire états-unien dévoyé.

 

Il permet à des avocats de lancer des actions spéculatives. En effet, les avocats ont le droit de se rémunérer au pourcentage des dommages et intérêts éventuellement alloués.

 

Par le mécanisme de la discovery, une partie à un litige peut aussi exiger de l'autre et de tiers impliqués dans l'affaire qu'avant le procès, il se soumettent à des interrogatoires, fassent des dépositions, soumettent des documents (lesquels peuvent aussi être obtenus dans le cas des fonctionnaires en vertu des FOIA, des lois sur l'accès à l'information). L'intérêt est au moins double : on peut se livrer à une fishing expedition, une opération de chalutage pour assembler des éléments de preuve ou des éléments suggestifs ou tout simplement compromettants ; et on peut aussi étrangler financièrement le défendeur et l'amener à accepter une transaction pour mettre fin à l'hémorragie financière.

 

Et, enfin, les procédures en responsabilité civile peuvent se plaider devant un tribunal avec un jury. Un jury souvent prompt à allouer des dommages-intérêts se chiffrant en millions de dollars.

 

Ce qui relevait de la justice est donc devenu une activité de racket.

 

Dans le cas d'espèce, à peine le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) eut-il déclaré le glyphosate « probablement cancérogène », que les cabinets d'avocats prédateurs se mirent en chasse de plaignants potentiels avec des messages tels que : « Êtes-vous atteint d'un lymphome non hodgkinien et avez-vous utilisé du Roundup ? Si oui, vous avez droit à une compensation. Téléphonez... ».

 

 

Actionner le tribunal de l'opinion publique avec les « Monsanto Papers »

 

Ce classement aurait pu être une simple aubaine, l'occasion de faire les poches à Monsanto, et maintenant Bayer. Il n'en est rien. Il a été soigneusement préparé : l'herbicide glyphosate a été inscrit au programme d'un groupe de travail chargé de produire une monographie sur des fongicides de manière « étrange » ; on a par exemple retardé la publication de deux études épidémiologiques nord-américaines à décharge (on en connaît une par une présentation Power Point et deux résumés) ; le classement a été « dopé » peu avant la clôture de la réunion du groupe de travail du CIRC ; des agents du CIRC et des membres du groupe de travail ont promu et défendu le classement bec et ongles, y compris par des méthodes contestables. Et certains membres du groupe de travail se sont mis au service de cabinets d'avocats prédateurs.

 

Les « Monsanto Papers » s'inscrivent dans cette stratégie.

 

Les « Monsanto Papers », ce sont les documents récupérés par des cabinets d'avocats agissant en théorie pour des plaignants, en pratique pour leur propre compte. Documents mis sur la place publique par ces officines et par l'US Right to Know, une entité sans but lucratif dont un des objets réels est de promouvoir les intérêts du biobusiness. Documents savamment exploités pour semer un mélange de doutes et de certitudes (alléguées) sur la dangerosité du glyphosate et pour dépeindre Monsanto et d'autres parties impliquées comme des monstres ou des gens peu recommandables.

 

Notons que l'US Right to Know a aussi mis en ligne – à notre sens contraint et forcé – les documents qui prouvent au-delà de tout doute les diverses malversations dont certains (nous y compris) ont fait état sous les bannières « Portier Papers » et « CIRC-gate ».

 

Le Parisien se risque à évoquer ces questions :

 

« Marcel Kuntz, chercheur au CNRS et membre du groupe Yahoo, confirme au Parisien que les "turpitudes du CIRC" ont été abordées par le cénacle virtuel. Notamment les intérêts de l’un des spécialistes invités par le groupe du travail du CIRC, Christopher Portier, très critiqué par les pro-glyphosate. »

 

Art consommé de l'euphémisme... Mais le Parisien se penchera peut-être sur ces « turpitudes » et « intérêts »... On peut rêver... Mais aux « racines du soupçon » il y a aussi une « information » au mieux hémiplégique.

 

 

Les idiots utiles des médias et des réseaux sociaux

 

Actionner le tribunal de l'opinion publique requiert le concours des médias.

 

La manœuvre n'est pas limitée aux États-Unis d'Amérique. La contestation du glyphosate et la mise en cause de Monsanto-Bayer en Europe sert les intérêts des avocats prédateurs. D'où ce lobbying important à Bruxelles, en partie téléguidé et en tout cas alimenté depuis l'autre rive de l'Atlantique, et le phénomène des carpetbaggers selon l'expression de notre ami David Zaruk, alias Risk-monger.

 

En France, des journalistes complaisants se sont obligeamment mis à disposition et ont déclenché une vague de suivisme. Notons incidemment que ces journalistes militants à la base du glyphosate- et du Monsanto-bashing se sont bien gardés d'écrire sur les « Portier Papers » et le « CIRC-gate », sauf à venir au secours, en tant que de besoins, des entités et personnes mises en cause.

 

Le Parisien écrit ainsi en chapô :

 

« Des documents que nous révélons montrent à quel point la multinationale s’est impliquée dans des groupes de discussion en ligne réunissant chercheurs et lobbyistes pour répliquer aux détracteurs de ses produits. »

 

Le quotidien « révèle »-t-il des documents ? Au sens strict peut-être, dans la mesure où ils n'auraient jamais été divulgués en France. Dans la réalité non : il relaie des documents publiés par ailleurs, avec les histoires, insinuations, affabulations, etc. qui vont avec.

 

 

M. Henry Miller consulte des gens de Monsanto... et alors ?

 

Les deux premières pièces – publiées malgré une clause de confidentialité – en sont une illustration caricaturale.

 

On en reste dans l'article du Parisien au conte de fée du preux chevalier blanc Gilles-Éric Séralini assailli par un gang de scientifiques à la botte de Monsanto :

 

« ...les Monsanto Papers montrent qu’une poignée de scientifiques se sont ligués à la firme dans le but de nuire au Français. »

 

En réalité, l'étude sur les rats de Gilles-Éric Séralini et al. – « la retentissante étude sur les OGM de Monsanto, le Roundup et les rats » selon le Parisien – n'est pas simplement « controversée » (ou « très controversée » comme il écrit). Ni attaquée par des factieux malveillants et à la solde de Monsanto.

 

Dès le lendemain de sa publication, le 20 septembre 2012, le toxicologue Gérard Pascal avait prononcé un verdict sans appel dans le Figaro : « Cela ne vaut pas un clou ».

 

Et dans les jours et les mois qui ont suivi, des critiques sont venues : d'un grand nombre de scientifiques des domaines pertinents, non seulement en France mais aussi ailleurs ; de scientifiques qui se sont exprimés par des lettres à l'éditeur de la revue Food & Chemical Toxicology (F&CT) à titre individuel, par des prises de position collectives ou par l'intermédiaire de leurs associations ; de scientifiques qui se sont exprimés dans la presse générale ou sur des blogs ; des agences d'évaluation et de sécurité sanitaire françaises (l'ANSES et le HCB), allemandes, australo-néo-zélandaise, belge, brésilienne, canadienne, danoise, européenne (EFSA, avec le concours de six. États membres), néerlandaise et roumaine ; d'instances compétentes en matière d'éthique scientifique, notamment pour l'expérimentation animale ; de journalistes scientifiques de journaux réputés ; d'associations de journalistes (s'agissant notamment des conditions inédites de l'embargo) ; et évidemment de Monsanto, le producteur de l'événement NK 603.

 

Fait unique dans les annales, six académies scientifiques françaises se sont unies – liguées selon le vocabulaire conspirationniste – pour émettre un avis fort critique sur l'étude et les événements connexes.

 

Même le CIRC, pourtant à la recherche d'éléments infamants pour le glyphosate, n'a pas retenu cette étude :

 

« Le groupe de travail a conclu que cette étude menée sur une formulation à base de glyphosate était inadéquate pour l'évaluation car le nombre d'animaux par groupe était faible, la description histopathologique des tumeurs était médiocre et les incidences de tumeurs chez des animaux individuels n'étaient pas fournies. »

 

Trois études de grande envergure, une française et deux européennes ont aussi, en pratique, invalidé l'étude Séralini. Cela a incité M. Sylvestre Huet à écrire sur son blog hébergé par le Monde « OGM-poisons ? La vraie fin de l’affaire Séralini » (notre analyse ici).

 

Le Parisien ignore ou occulte tout cela, ainsi que tous les événements qui ont eu lieu depuis septembre 2012. Tout comme précédemment le scandaleux Envoyé Spécial sur le glyphosate de France 2 du 17 janvier 2019. Rien ne saurait invalider la thèse que Monsanto « s'est démené pour détruire des recherches indépendante certaines recherches indépendantes » et qu'elle est « allé très loin pour anéantir une des enquêtes les plus dérangeantes publiées sur le Roundup » (Envoyé Spécial, 50:10).

 

Le Parisien monte donc en épingle un événement censé impressionner les foules :

 

« ...le lobbyiste américain Henry Miller, également membre d’AgBioChatter, transmet à la Monsanto un brouillon d’article au vitriol à amender avant envoi au magazine Forbes, dont il est chroniqueur. Il y accuse notamment l’étude Séralini d’être "frauduleuse". Comme le montrent des documents que nous nous sommes procurés, Eric Sachs, un employé de la firme, annote le texte, le 22 septembre, à cinq endroits. »

 

Forcément « lobbyiste », Henry Miller... Forcément « au vitriol » l'article... En réalité, M. Eric Sachs n'a fait que suggérer de supprimer une phrase offensante et inutile et d'apporter quelques corrections.

 

Mais n'apprend-on pas dans les écoles de médias à « définir un angle » ?

 

 

(Source)

 

 

L'essentiel n'est-il pas d'imprimer dans l'esprit des lecteurs la théorie d'une conspiration ?

 

À croire que c'est péché pour une firme de vouloir défendre deux lignes essentielles de son activité – le glyphosate et les OGM tolérant le glyphosate – ou de contribuer à leur défense par un examen critique d'un article du médecin et chroniqueur Henry Miller dans Forbes. Et que c'est péché pour celui-ci de s'assurer de l'exactitude et de l'opportunité de ses arguments auprès de celui-là.

 

Un « avertissement » qui passe pour une invitation à une manœuvre

 

Ces échanges et cet article ont été précédés par un « avertissement » de M. Drew L. Kershen déniché dans la correspondance du groupe de discussion AgBioChatter.

 

Le Parisien écrit ;

 

« Quand, le 19 septembre 2012, Le Nouvel Observateur (rebaptisé depuis L’Obs) publie la retentissante étude sur les OGM de Monsanto, le Roundup et les rats [ma note : l'étude a été publiée par Food & Chemical Toxicology], un universitaire de l’Oklahoma partage sur AgBioChatter quelques angles d’attaque. Mais met en garde le forum sur les risques que représenterait une prise de position hostile à Séralini en France. "Quelqu’un possédant des compétences scientifiques doit immédiatement qualifier cet article de science falsifiée et frauduleuse" mais ce scientifique "doit vivre aux États-Unis afin d’éviter les lois sur la diffamation pénale en vigueur en Angleterre, en France, au Pérou, etc.", suggère Drew L. Kershen, dans un e-mail rendu public l’an dernier par l’ONG américaine US Right To Know»

 

Superbe rédaction qui laisse entendre une manœuvre et une tentative de dénigrement dans des juridictions donnant la préséance à la liberté d'expression. Pourquoi « quelques angles d'attaque » alors qu'il s'agissait de critiques argumentées et de mise en évidence de faiblesses, voire plus ?

 

Nous reproduisons ce courriel ci-dessous (avec nos caviardages).

 

 

Comme on peut le voir, l'analyse – faite le jour de la mise en ligne de l'article de Séralini et al. – est tout à fait pertinente. Mais chut ! Cela dérange la belle histoire du martyr assailli par les coups de Monsanto (mais résistant bravement).

 

 

Ah ! M. Henry Miller a été payé par Monsanto...

 

Comment se termine le chapitre Henry Miller ?

 

« Il sera plus tard démontré que le scientifique zélé a touché de l’argent de Monsanto pour un article de 2015 auquel il a pourtant peu participé, comme l’a expliqué Envoyé Spécial. Au vu du conflit d’intérêts, plusieurs articles co-signés par Miller et parus dans Forbes ont depuis été dépubliés. »

 

Ah, encore une fois, la belle affaire ! Il « a touché de l'argent »... Mais, horresco referens, c'est de l'argent de Monsanto...

 

 

[À suivre...]

 

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