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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Tu ne prononceras pas son nom...

17 Décembre 2015 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Gilles-Éric Séralini

Tu ne prononceras pas son nom...

 

 

Nous devons à un « auteur, blogueur, agitateur » un sérieux avertissement : malheur à celui qui prononcera le nom de... car la plainte en diffamation menace. On connaît les béatitudes... Il va falloir s'habituer aux damnations : malheur à ceux qui font œuvre d'information : ils seront appelés au prétoire.

 

Osons tout de même rapporter une interview donnée à Exberliner, qui se présente comme « Berlin in English since 2002 ».

 

 

Le journal frappe fort d'entrée :

 

« En Octobre, le chercheur en biologie moléculaire ..., au parler franc, a reçu le Whistleblower Award allemand décerné tous les deux ans pour son travail révolutionnaire [ground-breaking] et son courage dans l'exposition des risques sanitaires du maïs génétiquement modifié et de l'herbicide Roundup. Le mois dernier, il a attaqué en justice avec succès l'hebdomadaire Marianne pour diffamation lorsque celui-ci a répété une accusation de ... de Forbes»

 

Nous nous auto-censurons ! Écrit par des journaux et blogs favorables à ses thèses, le nom du délit résonne comme un cri de victoire. Écrit par nous il risque de résonner comme un appel au prétoire.

 

Il faut aussi faire preuve de circonspection si l'on veut critiquer le journal. Une atteinte à l'honneur et à la considération, non pas du journal, mais de la personne évoquée dans le journal, est si vite arrivée...

 

Mais on s'autorisera tout de même de noter que le prix n'est allemand que parce qu'il est décerné par des associations allemandes – dont la notoriété (tout de même modeste) n'existe que par suite de cette décision d'honorer M. ... Et que, dans le monde dans lequel nous vivons, dénoncer les prétendus dangers des OGM et du Roundup est... sans danger. L'inverse n'est pas vraiment vrai.

 

La science et le bon sens de la journaliste est vraiment remarquable :

 

« C'est l'herbicide le plus utilisé dans le monde. [...] Vous avez toutes les chances d'en avoir pris une bouffée à chaque fois que vous vous êtes couchés sur un gazon bien manucuré. [...] Et s'il est toxique pour les rats au point d'être létal, il a toutes les chances de ne pas être non plus bon pour votre santé. »

 

Il est clair que l'on manucure un gazon avec un herbicide (total) ! Et il est vrai qu'il est létal pour les rats... n'y a-t-il pas une célèbre expérience qui a montré que les rats mâles soumis pendant deux ans à une forte dose de Roundup (dans une concentration dans l'eau de boisson qui correspond à la moitié de la dose qui sort du pulvérisateur) vivaient plus longtemps et avaient moins de tumeurs que les rats abreuvés à l'eau claire ? Quant à notre santé, il faut donc croire que les autorités du monde entier ont autorisé un produit qui a toutes les chances de ne pas être bon pour elle.

 

Mais, sur ce dernier point, il est vrai que l'interview déborde de critiques, disons... de faiblesse, à l'encontre des autorités.

 

M. ... a donc exposé les risques sanitaires avec un grand courage. Selon la journaliste,

 

« Le géant agrochimique Monsanto, producteur tant du Roundup que du maïs, a immédiatement riposté sous la forme d'une implacable campagne de diffamation, enrôlant des scientifiques et des journalistes pour discréditer l'étude. »

 

Mais, trois ans après, le Roundup est en difficulté et :

 

« Entre-temps, le travail de ... avec l'organisation de recherche indépendante ... et son franc-parler ont fait de lui un héros de la lutte contre le puissant lobby agrochimique. »

 

 

La journaliste demande donc à M. ... s'il a été surpris par le prix qui lui a été décerné. Réponse :

 

« Et bien, oui. Je savais que la communauté scientifique était derrière moi parce que j'ai reçu des coups de téléphone et des lettres du monde entier. Je ne savais pas que la Fédération des scientifiques allemands s'intéressait mais, vous savez, à moins que vous ayez affaire à des lobbyistes, les bonnes réactions prennent en fait un certain temps. Il faut du temps pour lire et comprendre ce qui se passe.

 

« Mes détracteurs venaient d'une très petite communauté de quelque 20 personnes qui ont été bien identifiées, toutes de l'industrie ou liées à l'industrie, des scientifiques qui ont en fait été impliquées dans l'examen et l'autorisation des produits que je mets maintenant sous les feux des projecteurs. Ils ont travaillé ou travaillent pour des agences telles que l'EFSA (l'Autorité européenne des aliments et de la sécurité (sic)), ou le BfR (Institut fédéral pour l'évaluation des risques) en Allemagne, ou l'EPA aux États-Unis. Lorsque j'ai publié mon étude, ces scientifiques m'ont critiqué dans les 24 heures. »

 

Pourquoi a-t-il utilisé les deux produits ?

 

« Nous avons choisi le Roundup parce que c'est l'herbicide le plus important qui pollue l'eau et les aliments. Le maïs est un des OGM majeurs dans notre alimentation, avec le soja. Ce maïs, NK 603, qui est autorisé pour l'alimentation humaine a été rendu tolérant au Roundup – en fait aux herbicides majeurs du monde – et contient pour cette raison des niveaux élevés de l'herbicide, qui finit dans nos aliments. [...] Pour cela, nous avons étudié des rats qui ont reçu du maïs normal à manger et un tout petit peu de Roundup à boire. Pas beaucoup : nous avons utilisé les niveaux autorisés dans l'UE, 0,1 partie par milliard. C'est plus ou moins ce que les Allemands finissent par boire dans leur eau quand les champs sont traités avec du Roundup ! »

 

En gros, c'est polenta à tous les repas. Pour le Roundup, voir ci-dessus pour la dose maximale. Du reste, il existe une limite maximale de résidus (1 ppm dans le cas du maïs).

 

La journaliste se hasarde à aborder la question des critiques. Réponse :

 

« C'étaient des arguments stupides. En fait, Monsanto a utilisé les mêmes rats dans leur étude, afin de pouvoir mettre le Roundup et le maïs transgénique sur le marché. Ce sont des rats communs utilisés dans 250.000 études à travers le monde. Donc, si j'ai eu faux, alors 250.000 études à des fins d'évaluation toxicologique sont fausses et nous devons resoumettre tout. Le fait est que j'ai eu trois à cinq fois moins de tumeurs dans les témoins que dans les rats nourris avec du Roundup et des OGM. Ça, c'est une différence statistique convaincante. »

 

On s'autorisera ici une citation de la Note d'appui scientifique et technique du 2 décembre 2014 – de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail relatif à l'analyse des différences de la publication de Séralini et al. (2014) "Republished study: long-term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize" par rapport à la publication initiale de 2012. Nous le ferons longuement pour éviter toute suspicion de tri sélectif :

 

« D'après les auteurs, les résultats de ces tests montrent qu'il existe une différence significative entre le nombre de tumeurs mammaires du groupe R (faible dose) et celui observé dans le groupe témoin (p < 0.05). Toutefois, les données brutes fournies avec la publication ne permettent pas de reproduire ce test (il faudrait pour cela disposer du nombre de tumeurs pour chacun des rats et non pas du nombre total de tumeurs par groupe). Néanmoins, certaines indications données dans le texte ("50% to 80% of female animals had developed tumors in all treatment groups", "with up to three tumors per animal", "whereas only 30% of controls were affected", "with 80% of animals affected in each R treatment groups") combinées aux données brutes fournies par groupe permettent de reconstituer de manière probable les données brutes par rat. Si on se place entre 707 et 714 jours (le groupe témoin a alors 4 tumeurs et le groupe R faible dose en a 14), on constate en effet qu'il est possible d'obtenir des données brutes qui donnent une p-value significative aux tests considérés (calculs réalisés sous le logiciel R avec la fonction kruskalmc). Néanmoins, ceci n'est plus possible après 714 jours, car le nombre de tumeurs du groupe témoin passe à 5 puis 6, ce qui rend les tests non significatifs, notamment à la fin de l'expérimentation.

 

« Séralini et al. (2014) semblent donc avoir sélectionné a posteriori le moment qui était opportun pour avoir un test statistique significatif. Or, réaliser ce test à un moment choisi au vu des données revient en fait à effectuer ce test à tous les instants et sélectionner l'instant où il devient significatif. La correction nécessaire n'est alors plus une simple correction de Dunn au vu du nombre de groupes à l'instant où le test est réalisé, mais cette correction multipliée par le nombre d'instants (ici plus de 700), ce qui rendrait ce test non significatif (si les tests avaient été significatifs à la fin de l'expérimentation prévue, cette correction multiple n'aurait pas été nécessaire). L'ajout de ce paragraphe n'apporte donc pas d'élément probant par rapport aux questions statistiques soulevées par la publication de 2012. »

 

L'article d'Exberliner s'étale sur trois pages web. Le discours qui y est présenté est largement connu. Nous vous livrerons encore cette réponse à la question « Donc vous préconisez un accès ouvert aux données de santé publique » (question qui prend un sel particulier au vu des contorsions auxquelles l'ANSES a dû se livrer pour produire une analyse des maigres données disponibles) :

 

« J'ai écrit un livre, intitulé « Plaisirs cuisinés ou poisons cachés », pour essayer et répondre à cette question. Nous avons trouvé que cela est dû à une très mauvaise habitude qui a débuté à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Savez-vous que le Zyklon-B a été le premier insecticide pulvérisé sur les champs de France, par exemple ? Et ensuite ils ont dit : « Ceci est confidentiel car c'est un produit militaire, et nous l'évaluerons nous-mêmes, et nous le montrerons aux autorités de régulation » – qui venaient juste d'être créées. Ainsi les autorités de régulation ont été heureuses d'accepter les données de l'industrie comme confidentielles, et cette collusion entre les autorités et l'industrie n'a pas cessé depuis. »

 

On peut dire le plus grand mal des autorités et de l'industrie. C'est bien moins risqué que d'évoquer dans un hebdomadaire français des propos reproduits dans un journal états-unien...  N'insistons pas : lancer des alertes sur de prétendus lanceurs d'alerte peut être risqué.

 

 

Au fait, le Zyklon B a été homologué pour la première fois en France en 1958, essentiellement pour la protection des semences de céréales et la protection des céréales stockées, c'est-à-dire pour des traitements en milieux confinés. L'autorisation a été retirée en 1988, à la demande de l'industriel ; une variante a perdu son autorisation de mise en marché en 1997. 1958 ? Cela faisait belle lurette que l'on utilisait des insecticides dans les champs de France. Il existe du reste un remarquable ouvrage, Histoire de la protection des cultures, avec, en plus petit : « de 1850 à nos jours » (Christian Bain, Jean-Louis Bernard, André Fougeroux, éditions Champ libre) qui atteste de l'antériorité des solutions phytosanitaires chimiques.

 

Quant aux autorités de régulation, le Service de la Protection des Végétaux date de 1941 et l'homologation d'une loi (n°525 du 2 novembre 1943) relative à l'organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole, reprise dans l'ordre juridique post-vichyste par l'ordonnance n° 45-680 du 13 avril 1945 validant l'acte dit loi du 2 novembre 1943 relative à l'organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole.

 

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