Selon Marianne, l'avenir de l'agriculture est dans le passé !
Il est né le divin enfant nouveau gourou
Ils nous prennent pour des courges !
Dans un billet précédent, « Glané sur la toile (20) : "Faire pousser des légumes sans eau, c'est possible" », nous vous avions présenté une lecture critique à partir d'un « document » diffusé par France 2 dans son journal de 20 heures du lundi 7 décembre 2015. Nous avions déploré, au-delà des outrances du « reportage », le fait que des modes de production hors normes soient jetés en pâture au grand public sans la nécessaire contextualisation.
Nous n'étions pas les seuls : trois éminents scientifiques à la retraite – MM. Alain Deshayes, André Gallais et Georges Pelletier, ont écrit une lettre ouverte à la direction de France 2. On la trouvera sur le blog de M. Marcel Kuntz.
Nous avions aussi brièvement analysé les propos de deux chercheuses de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), propos également hors normes dont la pertinence au regard de la réalité scientifique, et même de la réalité du monde qui nous entoure, nous paraissait pour le moins douteuse. Pour être clair, nous avions par exemple trouvé un relent de lyssenkisme, autrement dit d'hérésie scientifique.
Nous avions vu que la fable était le phénix des hôtes des médias : Arte en novembre 2014 ; Rue89 en mars 2915 ; France 2, donc, en septembre 2015.
Trois mois se sont écoulés... et Marianne s'y est collé à son tour dans son numéro du 11 au 17 septembre 2015.
Cinq pages intitulées :
« Agriculture : quand l'avenir est dans le passé ».
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On peut en tomber à la renverse ! En résumé :
« Pascal Poot est l'homme qui fait "pousser les légumes sans eau". Avec lui, de plus en plus d'agriculteurs reviennent aux origines en semant ce qu'ils récoltent, sans dépendre des industriels. Un mouvement de fond qui intéresse les chercheurs de l'Inra, et inquiète les géants du secteur. »
C'est beau, bucolique, comme panégyrique. Le ou les journalistes ont assisté à un stage, le temps d'un wekend, avec un public varié dont « pas mal de jeunes gens avides de nouvelles formes de production agricole ». Au détour du texte, on évoque « l'image d'Épinal du semeur parcourant son champ, entre l'Angelus de Millet et la terre qui ne ment pas. » Nostalgie... Nostalgie... Le passé qui serait notre avenir va bien jusqu'à ces époques.
Cette envolée lyrique avait pour but d'expliquer pourquoi « [l]es citadins imaginent facilement que les graines appartiennent à ceux qui les cultivent » ; ce serait donc comme si la propagande alter et anti – celle qui se sert de Monsanto comme épouvantail – aurait été inopérante ! Et c'est le début d'un laïus pour expliquer au final que :
« Un agriculteur n'a donc pas le droit de replanter ni d'échanger ce qu'il a semé. Mais il le voudrait qu'il ne le pourrait d'ailleurs pas. Les variétés hybrides ont pour caractéristique de ne pas pouvoir se reproduire. »
On ne peut qu'être estomaqué devant tant d'ignorance et d'impudence. Est-ce cela que le journaliste a « appris » lors du stage ? Était-ce trop contraignant de consulter des sources fiables, notamment sur la législation en matière de variétés et de semences ? Les textes du Réseau semences paysannes ou du GNIS, par exemple, sont pourtant facilement accessible. A-t-il compris – ce que sait un jardinier amateur même peu informé – que le monde des semences commerciales ne se limite pas aux hybrides ?
Marianne nous offre aussi un condensé de génétique et d'amélioration des plantes, avec force citations de M. Poot. C'est effarant et atterrant. Deux citations de M. Poot :
« [S]i le paysan ressème l'hybride, il va tomber sur un des parents dégénérés. »
« Dans les semences bio de type F1, il arrive qu'un des deux parents soient un OGM... »
On poursuit avec deux agriculteurs. Comme par un hasard organisé, il s'agit de ceux qui ont aussi été interviewés dans le reportage de France 2, avec le même type d'arguments. L'originalité réside tout de même dans le fait qu'ils apparaissent dans l'ordre inverse...
Et on finit avec une conclusion – forcément – mais de Mme Véronique Chable, de l'INRA :
« Nous sommes de plus en plus suivis au niveau européen et, en France, la situation commence à évoluer. La prise de conscience vient des citoyens de plus en plus inquiets de ce que propose l'agriculture intensive. Les semences paysannes sont le véritable avenir. »
Il règne à l'INRA une liberté de parole qu'on ne saurait contester. Mais là – comme dans le cas précédent où elle a évoqué l'hérédité des caractères acquis – on doit s'interroger : à quel titre Mme Chable s'est-elle exprimée ? Avec quelle portée scientifique et politique pour l'INRA et, plus généralement, la recherche française ?
Nous voyons difficilement la direction de l'INRA alignée derrière l'avenir de l'agriculture française qui serait dans le passé, sous la forme de semences paysannes*. Nous attendons d'elle qu'elle fasse publier une mise au point.
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* Selon Wikipedia :
« Les semences paysannes, dites encore de pays ou anciennes, sont celles qu'un agriculteur prélève dans sa récolte en vue d'un semis ultérieur mais qui, contrairement aux semences de ferme, ne sont pas préalablement issues de semences certifiées achetées à un semencier. »
La distinction essentielle est aue l'utilisateur de semences paysannes sélectionne (ou prétend sélectionner) son matériel végétal pour l'adapter à ses conditions de culture, son « terroir », alors que l'utilisateur de semences de ferme cherche à maintenir l'identité variétale inchangée.
Il est aussi question dans l'article critiqué ici d'« industriels ». Les semences sont produites par des... agriculteurs. Et les « industriels » qui traitent la production des agriculteurs-multiplicateurs (producteurs de semences) sont souvent des coopératives. La présence de géants de l'agrofourniture ne doit pas faire oublier la complexité du tissu économique.