Numéro Spécial d'Envoyé Spécial sur le glyphosate et Monsanto : on s'attend au pire
Télérama nous abreuve de sornettes
Si vous n'êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens qui vous nourrissent et aimer ceux qui les en empêchent.
L'actualité des « gilets jaunes » et de l'effondrement des immeubles de Marseille nous a privés le jeudi 13 décembre d'un grand moment de désinformation orchestré par une spécialiste du genre : un Numéro Spécial d'Envoyé Spécial consacré au glyphosate.
Envoyé Spécial, c'est déjà spécial... alors que dire d'un Numéro Spécial d'Envoyé Spécial... Mme Élise Lucet devait nous entretenir de cinq sujets selon le Blog TVNews sur le thème : « Glyphosate, comment s’en sortir ? ». Thème largement théorique...
Cela doit commencer comme ceci :
« Peut-on sortir du glyphosate ? Pourquoi interdire cet herbicide, considéré par de nombreux scientifiques comme dangereux pour la santé, est-il aussi long et difficile ? Pour cette émission exceptionnelle, Elise Lucet va à la rencontre des citoyens sur le marché de Marly-le-Roi, en région parisienne, pour savoir ce qu’ils en pensent. Et elle leur propose de se prêter à une petite expérience… »
Saurons-nous que le glyphosate est utilisé depuis 40 ans dans le monde entier et que « en sortir » n'est devenu un mot d'ordre pour activistes et politicards qu'à l'occasion de la demande de renouvellement de son autorisation et, surtout, du coup d'éclat du Centre International de Recherche sur le Cancer qui l'a classé « cancérogène probable » (comme par exemple la viande rouge, l'eau chaude (les boissons chaudes) et le métier de coiffeur) en mars 2015, juste à temps pour interférer avec le processus décisionnel européen ?
Nul doute que les « experts » du marché de Marly-le-Roi auront été triés sur le volet... C'est ainsi que procède la propagande.
Et la « petite expérience » est évidemment un dosage de glyphosate dans les urines... le « glyphotest d'Envoyé ». De quoi promouvoir les actions d'instrumentalisation de la justice utilisant des idiots utiles, désignés par exemple par « pisseurs involontaires de glyphosate ».
Nous aurons ensuite une confrontation entre deux agriculteurs. « L’un est pro glyphosate, l’autre 100% bio ». L'autre « n’a pas touché à un pesticide depuis 27 ans ! » et « va tenter de convaincre [l'un] qu’on peut se passer de l’herbicide et gagner sa vie ». À quel prix ? Avec quelles conséquences ?
Il y aura un volet politique avec un retour sur les débats de l'Assemblée Nationale. Puis les choses sérieuses :
« Monsanto, la fabrique du mensonge. Une enquête de Tristan Waleckx, Guillaume Beaufils et Mikael Bozo. Monsanto, la firme américaine qui a inventé et commercialisé le glyphosate est dans le viseur de la justice. Des documents internes et confidentiels, les "Monsanto Papers », révèlent comment le géant industriel a créé le doute, prétendant que le glyphosate n’était pas dangereux et en faisant rédiger en secret par ses propres scientifiques des études soi-disant indépendantes. Des documents accablants qui ont convaincu les juges lors d’un procès retentissant aux Etats-Unis : celui de Dewayne Johnson, jardinier atteint d'un cancer, qui a fait condamner Monsanto à 289 millions de dollars ! Vous entendrez son témoignage en exclusivité. »
Les téléspectateurs apprendront-ils, d'une part, que le verdict a été réduit à quelque 78 millions de dollars et, d'autre part, que Bayer (Monsanto) a fait appel et que la « partie » est loin d'être terminée ?
Enfin, dernière séquence : lorsqu'une « bonne nouvelle » – celle qui va dans le sens des partis pris qui sont la marque de fabrique de cette race de documenteurs – ne correspond plus à la réalité... on oublie la réalité. Et en avant pour un « Sri Lanka, un pays sans glyphosate »...
Un commentateur a écrit sur le Blog TVNews :
« Est ce que madame Lucet dira que le glyphosate est ré-autorisé au Sri Lanka? n'est ce pas une preuve de son utilité? »
Nous avons une autre question : Madame Lucet retirera-t-elle une séquence dont elle ne peut plus ignorer qu'elle est largement dépassée (et qui contiendra sans nul doute les éléments classiques de désinformation moult fois diffusés) ?
« Mais par précaution, le gouvernement a décidé en 2015 d’interdire le glyphosate, mesure radicale unique au monde. Comment, dans les campagnes, les rizières, les plantations, a-t-on appris à vivre sans glyphosate ? »
Justement... on sait maintenant qu'on n'a pas pu s'en passer.
Justement aussi... la rédaction ne s'est pas demandé pourquoi, seul parmi plus de cent pays, le Sri Lanka aurait pris une « mesure radicale unique au monde »... « par précaution ». Les cent et quelques autres seraient-ils irrespectueux de la santé publique et de l'environnement ?
Télérama ne pouvait que faire l'article pour ce Numéro Spécial d'Envoyé Spécial. Cela a donné : « “Envoyé spécial” : comment Monsanto a orienté l’opinion sur la dangerosité du glyphosate ».
On rêve ! Le glyphosate est devenu un paria grâce à un activisme débordant dans divers milieux – y compris les médias militants – et Monsanto aurait « orienté l'opinion... » ?
Ce n'est là que le premier factoïde, le premier fait alternatif qui résume l'ensemble de la séquence. Comment étayer « Monsanto, la fabrique du mensonge » ? Avec des mensonges, pardi !
Mais l'article commence par le choc d'une photo.
Problème : le glyphosate n'a aucun effet sur les abeilles... Certes, il est argué par un certain militantisme, celui qui ne s'embarrasse d'aucune honnêteté, que le glyphosate tuant les mauvaises herbes, les gentilles abeilles se trouvent privées de nourriture... sauf que le fait est que cette théorie s'applique à toutes les mesures de désherbage.
Bien sûr, le procès Dewayne « Lee » Johnson c. Monsanto et les « Monsanto Papers » seront en bonne place dans le documenteur :
« Pour un numéro d’Envoyé spécial consacré au glyphosate, Tristan Waleckx a foré cette mine au contenu explosif. Il raconte cette cynique "fabrique du doute", dont l’exposition au grand jour vient couper l’herbe sous le pied du géant des pesticides… »
Encore un qui se prend pour un grand reporter... il aura sans nul doute foré la mine de la désinformation qui circule depuis quelque temps. Mais c'est Envoyé Spécial...
Et qu'a donné son forage ? Essentiellement :
« On y voit à l’œuvre la fabrique du doute, la manière dont Monsanto a orienté l’opinion sur la dangerosité du glyphosate en participant en secret à des études scientifiques destinées à jeter le discrédit sur les travaux des chercheurs, qui montraient, eux, la toxicité du produit. C’est ce que l’on appelle le ghostwriting, "écriture fantôme" : une tromperie éditoriale consistant à faire croire que les articles niant les dangers du glyphosate ont été rédigés par des chercheurs "indépendants", alors qu’ils ont été écrits par Monsanto. Les chercheurs acceptent d’y apposer leur signature contre une rémunération. »
L'auteur a l'air de maîtriser son dossier (ironie). Nous avons droit à James Parry :
« ...Monsanto a besoin d’une étude favorable. Or Parry conclut à une génotoxicité de l’herbicide. Son rapport est enterré, et Monsanto se tourne alors vers des chercheurs plus coopératifs. Ce sont des méthodes qui ont été utilisées par l’industrie du tabac. Chaque fois il s’agit d’entretenir le doute, en payant des scientifiques pour contredire d’autres scientifiques. Le but est de jouer la montre, de gagner du temps pour continuer à vendre ses produits. »
James Parry avait produit un torchon d'une indigence crasse. Nous avons démonté le bobard dans « "Monsanto Papers" : comprendre la guerre du Monde contre Monsanto ». Mais les factoïdes ont la vie dure...
Bref, on ne sort pas des « Monsanto Papers » qui ont rapporté deux prix de journalisme à leurs auteurs grâce à des jurys entachés de conflits d'intérêts – plus précisément la présence d'une jurée émargeant au journal le Monde. Bref, avec ce Numéro Spécial d'Envoyé Spécial, on reste dans le merveilleux monde tribal de la désinformation.
Rendez-vous le 17 janvier 2019.
Il est évidemment loisible au Conseil Supérieur de l'Audiovisuel de visionner cette émission avant sa diffusion et, pour le moins, d'exiger les mises au point nécessaires.