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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Gagnants et perdants de l'interdiction du maïs GM au Mexique

7 Août 2021 Publié dans #OGM, #Glyphosate (Roundup), #Mexique

Gagnants et perdants de l'interdiction du maïs GM au Mexique

 

Luis Ventura*

 

 

Image : Shutterstock/Mikel Dabbah

 

 

Comme cela a été minutieusement rapporté, le Mexique a publié début 2020 un décret présidentiel visant à interdire le glyphosate et le maïs génétiquement modifié (GM) – y compris les importations de maïs GM – d'ici 2024. Bien qu'il faille attendre trois ans, le gouvernement prend déjà des mesures pour mettre en œuvre cette interdiction, notamment en refusant les importations de glyphosate et en retardant certaines importations de maïs génétiquement modifié en provenance des États-Unis.

 

Ces mesures créent de l'incertitude des deux côtés de la frontière. Du côté mexicain, les associations d'agriculteurs s'unissent pour engager des actions en justice afin que le gouvernement revienne sur son décret. Du côté américain, les agriculteurs américains craignent que l'arrêt des importations ne viole les accords commerciaux bilatéraux, tels que l'ALENA [remplacé par l'ACEUM], alors même qu'ils cherchent à profiter de l'interdiction.

 

En raison de l'importance économique considérable du commerce du maïs entre le Mexique et les États-Unis, les agriculteurs américains voient dans ce décret une occasion de réorienter la production vers du maïs non GM afin de continuer à exporter vers le Mexique. Jusqu'à 40 % du maïs produit aux États-Unis est importé par le Mexique, qui ne peut donc pas se permettre de perdre ce marché. Si la réorientation de leur modèle de production vers le maïs non génétiquement modifié peut sembler une solution raisonnable, le recours au maïs biologique – non GM – est-il une option envisageable pour les producteurs et les consommateurs mexicains ?

 

 

Analyse

 

Il convient de mentionner que le décret résulte d'une décision unilatérale, selon les rapports de presse. Les responsables gouvernementaux n'ont pas consulté les associations d'agriculteurs ou les producteurs qui dépendent des importations de maïs génétiquement modifié pour survivre. Le décret peut donc être considéré comme l'expression d'une volonté politique, plutôt que comme le reflet des besoins et des souhaits des agriculteurs, des producteurs, des scientifiques et des consommateurs. La principale question qui se pose maintenant est de savoir si les Mexicains sont prêts à acheter du maïs biologique cher aux États-Unis. Et même s'ils le veulent, peuvent-ils se le permettre ?

 

Le Mexique est l'un des principaux importateurs de maïs en raison de la forte demande intérieure de cette céréale, qui est à la base de la chaîne alimentaire et de la cuisine mexicaine. Il est d'ores et déjà évident que les producteurs nationaux, à qui il est également interdit d'utiliser des semences génétiquement modifiées, ne seront pas en mesure de satisfaire la demande de maïs. Le décret souligne donc l'urgence de s'approvisionner en maïs non génétiquement modifié pour éviter une crise sociale, économique et alimentaire. En raison des coupes sombres dans le financement de la recherche scientifique, du développement et des infrastructures, le Mexique pourrait ne pas avoir la capacité de tester toutes les céréales importées. Le maïs biologique, qui est déjà certifié non génétiquement modifié, est donc l'option la plus probable pour appliquer les mesures prévues par le décret.

 

S'orienter vers la production biologique peut sembler tentant, en raison de la bulle marketing qui entoure l'agriculture biologique, et un producteur américain peut y voir un geste intelligent. Mais si le marché biologique est très présent dans les pays riches et développés, comme les pays européens et les États-Unis, il en va tout autrement pour les pays en développement. Les produits biologiques sont toujours plus chers que leurs homologues conventionnels. Bien que certains consommateurs mexicains puissent se permettre d'acheter du maïs génétiquement modifié importé, ils sont peu nombreux. Le coût plus élevé des produits biologiques se répercutera sur tous les produits de la chaîne alimentaire mexicaine, entraînant une hausse substantielle du prix des aliments qui pourrait empêcher certaines familles de pouvoir faire trois repas par jour.

 

La promotion de l'agroécologie et d'autres pratiques dites durables par le gouvernement mexicain actuel fait appel à des valeurs culturelles fortes déjà présentes dans la société mexicaine. Mais de manière réaliste, promouvoir des techniques agricoles anciennes comme l'agro-écologie, tout en refusant aux agriculteurs l'accès à l'innovation dans les champs, ne contribuera pas au développement du pays, vendu dans la presse comme l'objectif des actions du président. En effet, le gouvernement s'assure que le Mexique restera à la traîne dans le processus de modernisation, car les mesures prises par le gouvernement actuel perdureront longtemps après son départ du pouvoir.

 

Le décret ne précise pas ce qui se passera si les agriculteurs américains commencent à cultiver du maïs génétiquement édité, puisqu'il n'existe pas aujourd'hui, et qu'il n'existera pas dans un avenir proche, de technique capable d'identifier ces nouvelles variétés dans les importations. Puisque le décret ne tient pas compte de ces nouveaux produits, cela signifie-t-il que le maïs génétiquement édité peut être le bienvenu sur le marché mexicain ?

 

Il est clair que s'il y a un besoin, quelqu'un trouvera le moyen de le combler. En poursuivant la voie qu'il a empruntée en ce qui concerne l'accès aux cultures génétiquement modifiées, le gouvernement mexicain ouvre la voie aux agriculteurs américains qui cultivent du maïs non génétiquement modifié pour qu'ils puissent bénéficier de l'interdiction et prospérer. Mais comme la majorité des Mexicains ne peuvent pas se permettre le luxe d'acheter des produits biologiques, le gouvernement doit également tenir compte des difficultés que l'interdiction entraînera pour ses citoyens, ainsi que pour l'environnement et l'économie. La conversion du pays à un système de production agro-écologique et biologique nécessitera davantage de terres agricoles et de ressources, qui sont toutes deux rares.

 

Le gouvernement mexicain doit écouter son peuple, à commencer par les agriculteurs qui demandent à avoir leur mot à dire dans ce processus. Si le gouvernement refuse d'écouter ses agriculteurs, tous les Mexicains en subiront bientôt les conséquences.

 

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* Source : Winners and losers in Mexico's GM corn ban - Alliance for Science (cornell.edu)

 

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