Parquons les députés pour les empêcher de rencontrer les « lobbies »
Mme Marion Lenne est la députée de mon arrondissement. Je ne suis pas particulièrement ses activités, mais il arrive que celles-ci se présentent à moi.
J'ai été effaré de la voir signer, avec 53 collègues, une tribune dans le Monde, « Nous, députés de La République en marche, demandons une interdiction du glyphosate », le 22 octobre 2017 ; elle se dit pourtant agronome (ISTOM, École Supérieure d’Agro-développement International) et devrait connaître les éminents services rendus par celui qui fut appelé « l'herbicide du siècle ».
J'ai été ravi de la voir signer une autre tribune avec 10 autres députés LaREM contre les mesures envisagées par le gouvernement sur l’immigration – l’introduction d’un délai de carence retardant l’ouverture des droits pour l’accès à la couverture maladie universelle des demandeurs d’asile ou encore l’instauration d’une entente préalable visant à encadrer voire limiter l’accès à certains soins médicaux pour les personnes en situation irrégulière.
Et puis Mme Marion Lenne a mis en ligne sur son compte Instagram un photomontage la montrant, ainsi que trois autres députés Larem (Mme Aina Kuric (Marne), M. Jean-Bernard Sempastous (Haute-Pyrénées) et Mme Liliana Tanguy (Finistère)), déguisés – enfin, affublés d'accessoires se voulant de fantaisie –, à la célébration du 25e anniversaire de Com’Publics, le 5 novembre 2019, au restaurant Chez Françoise, à deux pas des Invalides.
Un fouille-merde du quotidien célèbre pour les taches d'encre qu'il laisse sur les doigts de ses lecteurs a trouvé la preuve du délit – que dis-je, du crime – et pondu un article sobrement intitulé « La soirée déguisée de quatre députés LREM avec des lobbyistes »
Parce qu'une agence « spécialisée en affaires publiques et communication institutionnelle » devient dans le langage neutre, dépassionné et respectueux d'autrui du journaleux un « lobbyiste »...
L'entreprise utilise, certes, le mot « lobbying », et pas qu'une fois, par exemple dans :
« Com’Publics conseille les entreprises, les organisations professionnelles, les associations et les institutions dans le développement de leur stratégie de communication institutionnelle et de lobbying auprès des pouvoirs publics nationaux et territoriaux. »
Mais dans l'article de Libération, ce mot prend une connotation bien négative. À preuve : Mme Aina Kuric affirme :
« L’anniversaire était juste à côté de l’Assemblée, ça me semblait normal d’y aller. Le lobbying n’est pas quelque chose que je vois forcément de manière péjorative. Com’Publics ne fait pas de lobbying pour le tabac. »
Et le collaborateur de ce quotidien qui ne verse pas dans le lobbying, même pas en faveur du militantisme anti-pesticides – ben voyons... c'est un journal – conclut péremptoirement, doctement et sentencieusement :
« Certes, mais du lobbying quand même. »
C'était la conclusion d'un chef-d'œuvre du journalisme de caniveau, militant, jusqu'à ce que le député Jean-Bernard Sempastous vînt apporter son grain de sel :
« La soirée des 25 ans de Com Publics a eu lieu avec l’agence Com Publics, mais également des syndicats, des fédérations et de nombreux députés de tous bords politiques confondus, pas seulement quatre députés LREM. Comme tous les députés, nous échangeons avec des représentants d’intérêts et Com publics défend un certain nombre de représentants d’intérêts. Dans mon cas je les rencontre puisqu’ils assistent des acteurs du thermalisme avec qui je discute de façon transparente dans le cadre du groupe d’étude transpartisan sur le thermalisme au sein de l’Assemblée nationale. Les liens avec l’agence n’influent en aucun cas mes choix en tant que député et cela est vérifiable. »
Oui, mais pour Libé – et pour une partie importante de la faune journalistique – la promotion d'intérêts auprès des décideurs politiques, c'est mal... Même quand il s'agit d'une entreprise enregistrée auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) ; enregistrée précisément parce que cela l'habilite à promouvoir des intérêts.
Mais pour Libé et ses petites mains, ce n'est pas casher. Il ne faut surtout pas que les décideurs politiques soient informés des besoins et des désirs des acteurs de la vie économique et sociale (enfin... d'une certaine partie), et des conséquences des décisions qu'ils sont amenés à considérer et à prendre.
Comme ce monde de lobbyistes est décidément incontrôlable, il n'y a plus qu'une solution : parquer les députés, sénateurs, etc. pour les empêcher de rencontrer ces gens glauques.
On fera bien sûr une exception, par exemple sous la forme d'un droit de visite, pour une catégorie de représentants d'intérêts – les leurs propres ou d'autres portés par procuration, comme ceux du biobusiness par Générations Futures – qui ont été suffisamment astucieux pour appeler leur lobbying « plaidoyer ». France Nature Environnement annonce ainsi avoir dépensé entre... 3.750.000 euros et 4.000.000 euros pour ses activités d'influence.
Au final, on ne peut que remercier Mme Marion Lenne d'avoir suscité cette grandiose contribution de Libération à la bonne santé de la vie publique, ainsi que Mme Aina Kuric et M. Jean-Bernard Sempastous pour leurs salutaires mises au point.
Mme Marion Lenne publie son agenda. On y apprend – comme du reste sur sa page Facebook où elle fait dorénavant l'objet d'un vil harcèlement – que sa petite récréation a duré de 19h30 à 21h15, après quoi elle est retournée à l'Assemblée Nationale pour une séance publique qui s'est terminée aux alentours de 2-3 heures du matin... du lendemain quand même.
Ça, c'est un échange courtois, même s'il a mal commencé. Tous ne sont pas du même tonneau…